Mesdames et Messieurs, la presse algérienne vous remercie
La condamnation de notre confrère, Khaled Drareni, a suscité un élan de solidarité sans précédent, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Cela nous réconforte nous autres journalistes de nous savoir soutenus en cas de coup dur.
Cet élan est exceptionnel à tout point de vue. D’abord, parce qu’il s’agit d’un journaliste algérien. Activant dans la presse dite «indépendante», privée, et, néanmoins, correspondant de médias étrangers. Médias français plus exactement.
Ensuite, parce que d’aucuns le présentent comme une figure du «Hirak» (soulèvement populaire entamé le 22 février 2019 pour dire non à un mandat de trop, le cinquième, de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika). Drareni est aussi décrit comme un «journaliste-révolté» ou encore «journaliste-militant». Même si l’éthique distingue entre le journaliste, le révolté et le militant.
En lisant, ces derniers jours, les «unes» de certains journaux, les communiqués, fusant de part et d’autre, ainsi que les commentaires de soutien, circulant via les réseaux sociaux, une série de questions nous vient à l’esprit. Un questionnement différent de celui provoqué par la chute de la pomme devant les yeux d’Isaac Newton, mais plutôt comme un réflexe enclenché naturellement chez un lecteur assidu de la presse, possédant une assez bonne mémoire pour se rappeler de la succession des évènements.
La première question, dans ce contexte, consiste à se demander où étaient passées toutes ces voix révoltées algériennes, étrangères et entre les deux, lorsque ce même Drareni avait fait l’objet d’un licenciement abusif de la Radio Chaîne III, un média public — donc de propagande aux yeux de beaucoup —, à l’ère des Bouteflika et de leur oligarchie ? Ce même «journaliste-militant» avait été une autre fois victime d’un débauchage arbitraire d’une chaîne de télévision privée, alors qu’il avait contribué à la montée de son audimat, grâce à une émission qu’il animait.
Cette fois-ci, aussi, aucun petit doigt n’a été bougé ni parmi les nôtres ni outre-mer. Une question, aussi intrigante, s’insère naturellement dans ce fil conducteur : pourquoi d’autres journalistes algériens, maghrébins, africains…, ayant subi les affres de la dictature, de l’oppression du muselage… n’ont pas eu la chance de bénéficier d’autant de solidarité et de médiatisation ? Leur emprisonnement et, dans certains cas, leur liquidation physique, sont passés sous silence. Pourtant, l’équité, la déontologie, la morale exigent des organisations et associations de défense des droits des journalistes, à l’image de la fameuse Reporters sans frontières (RSF), de ne pas verser dans le «triage sur le volet» des cas à défendre et de ceux à ignorer.
Le deux poids, deux mesures n’a pas sa place dans la «noble» mission de ces formations professionnelles se disant de portée internationale. À moins qu’elles aient une façade de bon Samaritain, dissimulant un fond de mercenariat. Surtout lorsqu’il s’agit de jeter de l’huile sur le feu et d’envenimer les choses dans un pays sous-développé, en quête de stabilité sociopolitique.
C’est comme si les défunts Gisèle Halimi et Jacques Vergès faisaient sciemment, ou à des fins peu orthodoxes, de plaider la cause d’un militant FLN et pas un autre, pourtant victime du même système colonial. Ou qu’un médecin choisit les malades à guérir, sur la base d’une sélection orientée !
Ces «hurlements» auraient eu de la crédibilité, s’ils avaient pleuré la mort, dans les geôles, du journaliste Mohamed Tamalt, décédé dans une indifférence déconcertante. Une brève vidéo montrant sa vieille maman, terrassée par la disparition cruelle de son enfant, avait fait, pour un laps de temps, le tour de Facebook, avant de tomber dans l’oubli.
Les canards qui consacrent, en ce moment, leurs manchettes et «unes» pour crier au scandale, n’avaient même pas évoqué le décès tragique de Tamalt.
Un sentiment de honte vous prend, lorsque vous entendez des confrères justifier leur passivité devant un tel drame, en chargeant le défunt. «Il était indéfendable.
Il était grosse gueule et avait mauvais caractère.» Ou, pis encore, il était «des services. Certains services… ».
Où étaient ces «tambours», tonnant une guerre médiatique, exploitant l’affaire Drareni, lorsque les journalistes algériens, ou «des» journalistes algériens, comme aiment à le préciser les sociologues, se faisaient assassiner, durant plus d’une décennie, au su et au vu du monde entier, par des terroristes, que beaucoup qualifiaient, sciemment, pour ne pas dire par complicité, de «djihadistes» ou «d’opposants armés», pour justifier leurs actes criminels ?
Au lieu d’éclairer l’opinion, les opinions, sur la situation primant durant les années 1990 en Algérie, certaines voix, s’élevant aujourd’hui pour plaider la cause de Drareni, semaient le trouble. Elles ont même été jusqu’à inventer un dérivé de l’opération «Bleuit» : «le qui tue qui» pour fragiliser la relation entre le peuple algérien et son armée.
Ces parties, qui se reconnaîtront, consacraient d’importants moyens humains et financiers, à médiatiser des contre-vérités pour faire durer ce qu’ils appelaient la «guerre civile» en Algérie.
À croire qu’il faut travailler pour des médias étrangers, et s’exprimer dans une langue autre que l’arabe, pour attirer l’empathie de certains lobbies et leur brouhaha.
Mourad Debih