Modernisation du Secteur Public Marchand
Éléments d’analyse et propositions sur la gouvernance
(1er Partie)
(*) Ali OUMELLAL
Cadre du Secteur de l’industrie et de l’investissement.
Cette contribution peut être considérée comme une première mise en forme de certains avis et réflexions exprimés lors de nombreux échanges qui ont souvent lieu entre cadres exerçant dans le secteur public et partageant la préoccupation de voir le fonctionnement des entreprises publiques se mettre aux standards des impératifs d’une gouvernance moderne et leur contribution au développement économique de notre pays plus efficiente.
Il s’agit de quelques éléments d’analyse que nous soumettons en vue de cristalliser les propositions, autrement plus élaborées, à formuler à l’adresse des pouvoirs publics concernant l’évolution de la situation économique nationale en général et l’avenir du Secteur Public Marchand (SPM) en particulier. Ce d’autant que la modernisation de la gouvernance et le développement des entreprises publiques figurent aux priorités du plan d’action du gouvernement.
Un accent sera mis sur les questions qui ont, particulièrement, trait à la modernisation de la gouvernance du SPM. Nous essayerons de développer une approche sur le risque pénal pesant sur le manager de l’Entreprise Publique Économique (EPE) : une conséquence de la « pénalisation » de l’acte de gestion ou plutôt une question résultant d’un mode de gouvernance éculé ? Certaines questions liées à la vie et au développement de l’EPE (telle que la mise en œuvre des plans de développement et de modernisation) seront également abordées dans leurs aspects se rapportant à la gouvernance.
Nous reviendrons prochainement dans d’autres contributions sur d’autres problématiques telles que la composition et le fonctionnement des organes sociaux des entreprises, la conduite des processus de liquidation des EPE’s, la valorisation du potentiel des actifs inexploités relevant du patrimoine des entreprises publiques, la problématique du partenariat et de l’ouverture de capital des EPE’s, …
Le contexte :
A la fin de la première décade des années 2000’s, l’État a mis en œuvre un programme de grande envergure visant l’assainissement et la modernisation des entreprises publiques. Il clôt une longue période de désinvestissement durant laquelle la volonté de se désengager du Secteur Public Marchand (SPM) a été clairement affichée à travers, notamment, l’annonce d’un vaste programme de privatisation et d’ouverture de capital des EPE’s.
Ce programme de développement, qui a nécessité la mobilisation de fonds colossaux, a permis l’assainissement de la quasi-totalité des dettes et autres découverts bancaires des entreprises et le rétablissement de leurs équilibres financiers. Fortement soutenues par trésor public, elles ont également bénéficié de crédits, substantiellement bonifiés, pour la modernisation de leur outil de production et la concrétisation de nouveaux projets d’investissement.
Un dispositif réglementaire et procédural totalement éclaté, confus et difficilement restituable :
En revanche, il convient de noter qu’excepté la réorganisation opérée en 2014/2015, consacrant le passage des Sociétés de Gestion des Participations (SGP) aux Groupes Industriels, force est de reconnaitre que la configuration des entreprises relevant du Secteur Public Marchand et leur mode de gouvernance n’ont pas connu l’évaluation ni les adaptations que dictaient, pourtant, l’importance de l’effort financier consenti par l’État d’une part et les équivoques et disfonctionnements criards observés d’autre part.
Cependant, bien que le cadre législatif et réglementaire n’ait pas connu de réformes profondes depuis 2001 (Ordonnance N° 01-04 du 20 août 2001 relative à l’organisation, la gestion et la privatisation des entreprises publiques économiques et ses textes d’application), dans la pratique, le mode de supervision des participations de l’État a, néanmoins, subit quelques mutations significatives mais biaisées parce que dictées par la nécessité de dépasser des situations de blocage conjoncturelles et ne sont nullement intégrées dans une vision globale et un processus cohérent. Ces « réformes » ont été, parfois, formalisées par des résolutions du CPE dites de portée générale ou par des notes circulaires alors que d’autres fois, elles ont été simplement consacrées par « un modus operandi » communément admis par les différents intervenants.
Ces péripéties ont eu pour conséquences de générer, épisodiquement, des amalgames tels qu’il est impossible de restituer le dispositif légal référentiel, pourtant existant et souvent pertinent, qui encadre les modalités de délibération sur une situation ayant trait à la gestion, l’administration et le contrôle de l’entreprise publique.
A ce titre, les ambiguïtés observées, fréquemment, ne sont que l’aspect visible du contexte de confusion caractérisant la gouvernance des participations de l’État. Il en va ainsi et à titre d’exemple :
Ces ambiguïtés peuvent parfois atteindre même le fonctionnement du CPE, sa composante et les modalités de sa convocation.
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Les interventions, par le passé, récurrentes (quasi-chroniques) modifiant le mode de gouvernance par le recours abusif aux résolutions du CPE et autres notes traitant d’aspects parcellaires, sans vision globale et cohérente, ont conduit à un dispositif procédural totalement éclaté, confus et difficilement restituable. Les accumulations sur plusieurs années de ce mode opératoire ont engendré une caducité, de fait, des textes fondamentaux (Lois, Ordonnances et Décrets) régissant les capitaux publics marchands.
Il en a découlé que les prises de décisions les plus élémentaires, concernant la vie de l’entreprise, sont souvent l’objet d’échanges les plus laborieux et « d’exégèse » convoquant, pour une même situation, différentes références réglementaires toutes fondées néanmoins contradictoires les unes avec les autres.
En dernière analyse et compte tenu de ces éléments, on peut affirmer, objectivement, qu’en l’état actuel des choses le dispositif de gouvernance des entreprises publiques est inopérant voire même bloqué.
C’est en cela que la refonte initiée par les autorités trouve toute sa nécessité et sa pertinence.
Dans ce contexte, c’est à un véritable chantier de réforme et de modernisation de la gouvernance du SPM qu’il faudra s’atteler. Il requiert, préalablement, l’engagement d’une épreuve d’évaluation et de diagnostic incluant tout autant les cadres juridiques et les dispositifs réglementaires existants que l’exercice-même de cette gouvernance tel qu’il ressort des pratiques et postures des différents acteurs impliqués dans la vie de l’entreprise publique.
Dans ce cadre, une revue générale et complète de l’ensemble des textes législatifs/réglementaires et des dispositifs relatifs à la gestion des participations de l’État devra être établie.
L’analyse critique des dispositifs et des pratiques débouchera sur des propositions de mise en cohérence, d’adaptations et le cas échéant de mise en place de nouveaux instruments de gouvernance et de nouveaux outils de supervision.
Cette révision se prononcera également sur le maintien des organes tel que le Conseil des Participations de l’État (CPE), leur amendement ou leur remplacement par de nouvelles entités de pilotage.
Il s’agira de refonder la gouvernance des entreprises publiques et des participations de l’État avec l’objectif de les extraire aux contingences de la gestion administrative et tutélaire en clarifiant le rôle de chacun des acteurs : l’État actionnaire, le Ministère de supervision, le Trésor Public et le Domaine National, la composition et le fonctionnement des organes sociaux, les managers, les modalités de leurs désignation, d’évaluation et de révocation, …
Un changement substantiel de la configuration et de la consistance du portefeuille :
Sur un autre plan, on note que les entreprises publiques ont connu, ces dernières années, plusieurs opérations de restructuration internes (fusion-absorption, création de nouvelles filiales, dissolutions et mises en liquidations, …). Aussi, elles ont engagé des investissements considérables et investi de nouveaux domaines d’activités.
Ces actions ont engendré un changement de la configuration et de la consistance du portefeuille tel qu’elles ont compliqué la mission des structures en charge du suivi et de l’évaluation (CPE, Ministères, …) et de la consolidation des agrégats économiques (ECOFIE, ONS, …). L’État propriétaire et ses démembrements concernés ne disposent plus d’une connaissance précise du patrimoine économique public. Ce défaut conjugué à la défaillance du système de gouvernance entrave le rôle de l’État actionnaire dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de développement et de fructification de son potentiel d’actifs.
C’est ainsi que l’absence d’une stratégie globale a impacté négativement la mise en œuvre des plans de développement et de modernisation des EPE’s (lancés à partir de 2010). Ces derniers ont ainsi abouti aux résultats, pour le moins mitigés, que nous connaissons alors qu’ils ont nécessité la mobilisation de fonds publics colossaux.
L’élaboration de ces plans de développement a privilégié une approche « individuelle » pour chacune des entreprises. C’est une anomalie de gouvernance que chaque entité soit appréhendée indépendamment du reste du portefeuille des participations et non dans le cadre d’une vision cohérente d’un État propriétaire/actionnaire investisseur disposant d’une stratégie réfléchie, coordonnée et pilotée rigoureusement. Une démarche « titubante » dont il a découlé, à titre d’exemple, plusieurs cas d’investissements identiques (double-emploi) et dans les mêmes projets au niveau de deux voire de plusieurs entreprises publiques. Ce dont a résulté une allocation des ressources à tout le moins irrationnelle.
A ce titre, l’établissement d’un inventaire exhaustif des actifs économiques relevant du secteur public marchand (groupes, filiales, actifs immobiliers exploités et inexploités, participations partielles minoritaires et majoritaires, les moyens de production, …) revêt un caractère capital et urgent. Il permettra à l’État actionnaire de disposer d’une cartographie actualisée de son portefeuille d’entreprises (par secteurs et filières d’activité, par degré d’importance stratégique,…) et des analyses SWOT mettant en relief les potentiels dont dispose chacune dans sa filière et son domaine d’activité.
Ceci devra conduire à la déclinaison d’une approche cohérente du management des participations permettant la concrétisation des objectifs assignés aux entreprises publiques dans le cadre des politiques publiques et de la stratégie économique tracées par les pouvoirs publics.
Ces éléments exposés brièvement font apparaitre, au final, qu’il s’agit de sortir de la vision étriquée limitant la problématique de la gouvernance du Secteur Public Marchand (SPM) au rôle plus ou moins interventionniste que jouent les institutions de l’État dans la supervision de l’EPE et/ou à la place qu’occupe le manager dans le dispositif global.
C’est dans cette perspective que sont formulées, succinctement, les quelques pistes de réflexion suivantes :
- Refonte radicale du dispositif de gestion des capitaux publics marchands à travers l’élaboration d’une nouvelle Loi d’orientation sur la modernisation, le développement et la gouvernance des entreprises publiques.
L’Ordonnance N° 01-04 du 20 août 2001 relative à l’organisation, la gestion et la privatisation des entreprises publiques économiques a été élaborée et promulguée dans un contexte marqué par :
- Une grave crise économique et financière prolongeant une plus grave crise sécuritaire qui a ébranlé les fondements de l’État national et dont notre pays venait à peine d’entamer le dépassement,
- Une situation de quasi-faillite menaçant la majorité des EPE caractérisée par des déséquilibres économique et financier structurels,
- La volonté clairement exprimée par l’État de se désengager des EPE’s en lançant un processus massif de privatisations et d’ouverture de capital touchant la quasi-totalité des entités du secteur public marchand.
Dans ces conditions, l’Ordonnance 01-04 appelée communément « loi sur les capitaux marchands » (par extrapolation et en référence à l’Ordonnance 95-25 relative à la gestion des capitaux marchands) et ses textes d’application se sont focalisés sur les modalités de conduite et d’encadrement du processus de privatisation et de défaisance. C’est en quelques sortes un texte transitionnel devant encadrer le passage d’une situation de détention majoritaire (ou totale) des entreprises par l’État à une situation où ce dernier détiendrait une position minoritaire dans le capital. On observera d’ailleurs que l’essentiel de la production des textes règlementaires (décrets, résolutions du CPE, notes de procédures, …) qui a suivi la promulgation de ladite ordonnance est totalement orienté sur la conduite des privatisations et l’énoncé des modalités de suivi et d’évaluation des engagements des repreneurs. En revanche, on relève pertinemment, à titre d’exemple, que l’ensemble de ces textes n’effleurent que sommairement les aspects relatifs au développement et à la gouvernance de l’entreprise alors qu’ils sont, aujourd’hui, au cœur des enjeux entourant l’avenir du secteur public marchand.
Dans le contexte actuel, la question de la privatisation ou d’ouverture de capital doit être appréhendée, également, du point de vue du développement et de l’efficience du mode de gouvernance et non du strict point de vue de l’exigence de défaisance en raison de quelque situation de faillite économique de l’entreprise publique ou de déséquilibre financier insurmontables. En ce sens, l’ouverture de capital de l’EPE devra être perçue comme un moyen de modernisation de sa gouvernance.
L’expérience a montré un traitement différentié entre les entreprises totalement détenues par l’état et celles dont le capital a été ouvert à un partenaire privé. On observe une certaine « retenue » chez les démembrements de l’administration à intervenir « par injonctions » au sein des entreprises dont le capital social est mixte (quand bien même l’État y est majoritaire). A titre illustratif, le cas des cimenteries détenues en partenariat entre le GICA et des opérateurs étrangers et celui de SAIDAL dans laquelle une partie du capital est détenue par des petits porteurs d’actions sont des exemples et des retours d’expériences à considérer de près en matière de gouvernance !
Le 20 aout 2022 a marqué le 21ème anniversaire » de l’ordonnance 01-04. En 21 ans, le contexte économique mondial a subi un bouleversement extraordinaire, la situation et l’environnement économiques dans notre pays ont totalement changé et les entreprises publiques ont connu une mutation considérable.
Ce contexte requiert la reconsidération radicale de l’ensemble du dispositif. La création d’une Entité qui sera en charge de la Gestion et du Développement des Participations de l’État (voir ci-après) sera examinée dans le cadre de la révision de l’Ordonnance N° 01-04 du 20 août 2001 et de la refonte de tout l’édifice législatif et réglementaire de gestion des capitaux marchands.
Cette révision emportera, également, la redéfinition de la place et du rôle du Conseil des Participation de l’État (CPE), des « ministères de supervision » des EPE et des organes sociaux (Assemblée Générale et Conseil d’Administration).
A ce titre, il est préconisé l’engagement d’un chantier « historique » pour l’élaboration d’une Loi d’Orientation sur la modernisation, le développement et la gouvernance des entreprises relevant du secteur public marchand (SPM).
L’élaboration de ladite Loi d’Orientation sera l’occasion d’une lecture critique et d’un aggiornamento de la Loi 88-01 du 12 janvier 1988 dans ce qu’elle recèle de plus pertinent. Elle définira entre autres le périmètre du SPM, son portefeuille d’entreprises, la stratégie de son développement, sa contribution dans la mise en œuvre des politiques publiques, son mode de gouvernance ainsi que les rôles et attributions de chacun des intervenants. Cette loi permettra la mise en cohérence de l’ensemble des textes régissant le SPM par l’actualisation et la modernisation des dispositions concourant à son développement et formalisera l’obsolescence des procédures et pratiques contrariant la performance et l’efficacité managériale. L’élaboration de cette Loi sera également l’occasion d’expurger des autres textes (code de commerce et autres) tous les aspects et chapitres spécifiques aux entreprises publiques. Cet élagage de toutes les dispositions, figurant dans les autres textes, « distinguant » les EPE’s des « autres » entreprises sera perçu comme un signal fort en direction des opérateurs économiques et consacrera le principe de l’Entreprise Algérienne UNIQUE sans distinction de statuts juridiques et de la provenance de ses capitaux. La maturation et l’élaboration de cette Loi fera l’objet de larges consultations associant l’ensemble des parties concernées (les institutions, les cadres en activité ou à la retraite, les partenaires sociaux,…) et s’associera les services d’une expertise éprouvée.
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(*) Ali OUMELLAL
Bio Express
M. Ali Oumellal, président du Conseil d’Administration d’Icosia Capital (filiale Madar Holding)
Après avoir enseigné à l’université au début de sa carrière, M. Ali Oumellal a occupé le poste de Directeur de l’EPE Ex Enafroid, puis cadre dirigeant à l’INDELEC avant d’intégrer le ministère de l’industrie et des mines où il a occupé plusieurs postes, dont le dernier est celui de Secrétaire Général du ministère par intérim.
Actuellement, M. Ali Oumellal est président du Conseil d’Administration d’Icosia Capital, une société de Capital Investissement relevant du Groupe Madar Holding.