Mohamed ALLAHOUM dit ANTAR : « Un destin singulier »
C’est un 1er novembre que choisit le commandant Mohamed Allahoum pour nous recevoir personnellement au seuil du domicile familial sis à El Biar. On sent au premier regard que c’est un militaire de carrière, qui se tient droit, malgré ses 96 ans. Sa stature nous impressionne Il est grand, fort, d’où probablement son pseudo de « Antar », un nom qui dans la mémoire collective symbolise la force, la virilité. Il est brun, porte de petites moustaches, son regard est pétillant d’intelligence, sa poignée de main, ferme. Homme du monde, avec prestance, malgré son incapacité à 100%, nécessitant une présence permanente à ses côtés, c’est encore lui qui nous introduit dans son salon. Sur les murs, la série de photos immortalisant des moments forts de la Révolution nous rappelle que nous sommes conviés par un patriote avéré. Et sur la desserte celles de l’épopée familiale. Les Anciens imposant dans leurs tenues d’époque y trônent en bonne place. Nous nous installons et autour d’un thé à la menthe, commence l’entretien, avec cet homme qui a mené avec brio les travaux de la commission mixte de cessez-le-feu, chargé de veiller à l’arrêt des combats sur le terrain, comme étape à la période transitoire avant le recouvrement de l’indépendance le 5 juillet 1962.
La famille
Les Allahoum sont originaires de Chellal, tribu des Ouled Madi. Le grand-père est cadi alors que le grand oncle paternel Fodil ira à El Abiadh Sidi Cheikh dès 1864 grossir les rangs des Ouled Sidi Cheikh, qui se soulèvent déjà à l’époque, contre la présence coloniale française et ses exactions, à l’instar de bien d’autres régions d’Algérie qui, depuis 1830, jusqu’au-cessez-le-feu, le 19 mars 1962, n’a cessé d’opposer une farouche résistance à l’occupant.
Le père Fodil Benabdelkader, caïd, capitaine dans l’armée française, est envoyé au Maroc comme officier instructeur de la police chérifienne. Il épouse Menana Bent Saddok, une fille de la région de Tanger. De cette union naîtra une fratrie de 9 enfants. Mohamed qui vient au monde, un 11 janvier 1921, sera le cinquième. Il fera ses études primaires à M’Sila puis au collège Bencheneb de Médéa, d’où il ressort avec un brevet supérieur en poche. La France de Vichy ayant créé les chantiers de jeunesse, le jeune Mohamed fera un stage à Fort-de-l’eau où il y avait une école d’officiers. « J’y ai été nommé assistant. »
Mohamed Allahoum a participé, durant sa carrière militaire, à la campagne d’Italie Bataille de Monte Cassino ; à la campagne de France, au débarquement de Provence-Saint-Maxime du 15 septembre, qui lui valent deux citations où sont loués son « magnifique courage et allant ». De même que lui est attribuée la Croix de guerre avec étoile de bronze en 1944 et en argent en 1945
Malgré ses faits de guerre avérés, il décline l’invitation de la Mutualité des amis des combattants, aux cérémonies faites sur le Charles-De-Gaulle à Toulon et à celle aux monuments aux morts à Verdun mais finit par être condamné à mort par contumace par le tribunal militaire d’Alger en date du 24 mai 1958, pour désertion.
La désertion
A la quatrième année de notre révolution, nous fait- il remarquer, il n’est plus possible aux soldats d’origine algérienne de porter l’uniforme français et de saluer le drapeau tricolore. Les désertions sont allées croissant depuis le 1er novembre 1954. Elles se poursuivent chaque jour, aucune menace, aucun danger, aucune action psychologique n’a d’effet sur le moral des soldats patriotes. C’est le cas de ce groupe de 10 officiers algériens de l’armée française dont il fait partie, qui réussissent à rejoindre le FLN en 1958. Il est le seul haut gradé, capitaine de réserve, et à 38 ans. Les 9 autres, sont tous de jeunes sous-lieutenants qui ont fait leurs études à l’école de Saint-Maixent. Parmi eux : Bouzada Mohamed ; Ben Msabih Mostepha ; Allahoum Mohamed ; Allahoum Abdelmadjid ; Kerkab Mokhtar ; Mohammed Ben Mehamed ; Aggoun Ahmed ; Ait Mahdi Mohamed Amokrane, impliqué dans l’affaire des officiers algériens, arrêté en septembre 1957, incarcéré à Frênes puis libéré en janvier 1958. Il y a aussi, Latrèche Abdelhamid.
Photo des 10
Les 10, recherchés arrivent à échapper aux griffes de l’armée française
De Paris, Si Mohamed Allahoum va à Montpellier pour prendre son cousin et homonyme, qui était en garnison là-bas. Ils gagnent ensuite Marseille en taxi où ils ont rendez-vous avec le sous-lieutenant Bouzzada, originaire de Colomb Béchar. De là, ils rejoindront Tunis pour être enfin regroupés. Après avoir été interrogés par le Dr Frantz Fanon, ils sont tous affectés à l’école des cadres en Tunisie où ils rencontrent le lieutenant Hoffman et l’adjudant Bounani. C’est alors que Si Mohamed Allahoum et Abdelhamid Latrèche sont affectés au Maroc. Ils prennent l’avion pour Rome et de là s’envolent vers l’aéroport de Rabat-Salé. A Rabat, ils sont accueillis par le colonel Saddek Benyellès et le lieutenant Ben Ahmed, tous deux, responsables au sein de l’ALN. Ils prennent la route vers Nador, où Mohamed Allahoum arrive avec son fils Fodil à peine âgé de 8 ans. Il ne l’avait pas vu depuis 4 ans.
Directeur du centre d’instruction /ouest
Premier contact avec Abdelaziz Bouteflika et Houari Boumediene sortant d’une réunion tenue avec Benchérif, Zerguini et Chabout. Boumediene qui les attendait, les réunit et étant le plus gradé des 10, lui donne le commandement et le nomme directeur du centre d’instruction ouest se trouvant à Kebdani. Mohamed Allahoum se souvient qu’une semaine à peine après son installation, Houari Boumediene, alors chef d’état-major, vient visiter les dortoirs des djounoud. Il revient deux mois après avec Boussouf essayer un canon de fabrication locale qui éclate. « Il nous fallait des armes, des munitions, des postes de transmission. Il nous fallait connaître au monde le caractère colonial de l’occupation et le désir de paix d’une population spoliée de sa terre, malmenée, torturée, rongée par la misère… Mais aussi penser à former les hommes qui auraient à l’indépendance la responsabilité de prendre les rênes d’une Algérie libre et souveraine. »
C’est ainsi que Si Mohamed Allahoum avec son compagnon Idir s’attellen dès son arrivée à diriger, de mains de maître, les différents camps. Il y en avait plusieurs au Maroc. Celui de Khemisset le 1er, Larache, Zenghen, Berkane.
Les disciplines enseignées sous sa responsabilité étaient variées pour la formation des bataillons (C’est à Kebdani, que seront formés les commandos qui sous la direction de Bouaziz ont perpétré les attentats en France, de même que seront formés les maquisards de certains pays amis, dont l’Afrique du Sud, l’Angola particulièrement le MPLA, les Iles du Cap Vert). De nombreux responsables de ces pays, devenus indépendants, sont passés par ces centres de formation.
En somme ce seront des milliers de djounoud opérationnels qui seront passés par des formations très spécialisées comme l’artillerie. Un exemple, Mekerba, étudiant en math sup et math spé, a fait partie de cette formation de l’artillerie lourde . Il quittera l’armée en 1962, pour occuper un poste de responsabilité à l’Industrie. Comme lui, les exemples sont légion.
Si Mohamed Allahoum se chargeait aussi de la formation sanitaire, prise en charge par le Dr Amir ; celle des hommes-grenouilles ; le service de la formation des élèves officiers, ancêtre de la renommée Académie de Cherchell, d’aujourd’hui. Par là, ont transité le général Lamari, qui y était instructeur, Ahmed Senhadji, Mohamed Zerhouni… Il a aussi sous sa responsabilité, la sécurit, le stockage des armements ainsi que la formation pour le dressage de chiens bergers allemands. Un mot au passage sur l’école des cadres implantée au domicile Benyekhllef à Oujda en 1958 où, sera formé le futur encadrement du MALG et des services de renseignements. Noyau central pendant la guerre du service des transmissions et qui se prolongera à l’indépendance aux services de renseignements. On retrouve dans leurs rangs les Khalef dit « Merbah »,les frères Zerhouni, Ali Tounsi….
Commission du cessez-le-feu
Le temps passe avec son lot quotidien de martyrs, de sacrifices, de crises, mais aussi d’acquis et de victoires sur l’ennemi.
Arrive le 19 mars 1962, jour où les armes se sont tues. C’est la fin des hostilités et ce après sept années de lutte qui a démarré le 1er novembre 1954.Après de longues et âpres négociations avec le gouvernement algérien, la France a fini par reconnaître l’existence de la nation algérienne.
La période qui s’est étendue du cessez-le-feu à l’indépendance a connu des phases transitoires très dangereuses, qui devaient nécessairement aboutir à un arrêt des hostilités et à cet effet chacun des deux gouvernements a désigné une commission centrale pour le cessez-le-feu chargée de veiller à l’arrêt des combats sur le terrain, comme étape de la période transitoire avant le recouvrement de l’indépendance le 5 juillet 1962.
Sur demande du GPRA, l’Etat-major général de l’Armée de libération nationale met le capitaine Mohamed Allahoum à la disposition du Gouvernement provisoire de la République algérienne. Le Président Youcef Benkhedda le nomme alors commandant et le désigne pour être à la tête de la commission mixte du cessez-le-feu, formée de quatre membres. En outre, il y aura le capitaine Nour Eddine Khelladi, le lieutenant Sadek Guellal, Réda Rahal. Tous ont à l’esprit que cette mission menée au service de la paix était suicidaire, comme s’il s’agissait d’effectuer un saut dans le néant sans aucun contact sur le terrain avec les wilayas pendant une période de crise. Il est à noter que l’acte le nommant lui donne la prérogative de prendre personnellement des décisions et de trancher toutes les questions que posait l’application du cessez-le-feu.
Le général Navlet était chargé du coté français de leur faciliter la tâche, sur ordre du général De Gaulle qui avait donné des instructions pour créer les meilleures conditions à sa réussite.
Souvenez-vous, cette période a connu de grands risques, compte tenu des crises qui ont eu lieu du coté algérien : le gouvernement provisoire de la République algérienne et l’Etat-major général n’étaient pas d’accord pour le cessez-le-feu, compte tenu des concessions faites à l’Etat français. Et du coté français, pour ce qui est de l’armée française des généraux : le maréchal Juin, le général Salan, Jouod, Zeler, et l’organisation de l’armée secrète (OAS) concernant les civils ainsi que la dégradation de la situation militaire interne, notamment au sein des wilayas, sans omettre la présence des harkis qui pour les Algériens sont des traîtres et pour les Français des militants zélés. Il fallait donc trouver la personne idoine qui accepte d’affronter une si délicate négociation.
On est en mesure de se demander le pourquoi de ce choix par le GPRA.
Primo, de par sa stature Mohamed Allahoum en impose. Il connaît parfaitement les deux armées pour y avoir exercé dans l’un et l’autre des postes de responsabilité. C’est un homme engagé qui a su faire son choix au moment opportun. L’Algérie profonde qu’il a sillonnée d’est en ouest, du nord au sud, n’a pas de secret pour lui. La guerre, les crises, il connaît aussi. De plus, pour être fils de militaire, la rigueur, l’intégrité et la discipline, il en connaît un bout. Il est rationnel, méthodique, fier, pas facile de l’avis de ceux qui l’ont approché au camp de Kebdani et d’ailleurs. Il est courageux, honnête et incorruptible car toute sa vie, ce fils de caïd, l’a vécue dans l’aisance. Mohamed Allahoum a su intégrer avec harmonie les valeurs des deux civilisations. Tout cela va lui servir pour mener à bien cette délicate et non moins explosive négociation, où la vie de chacun des membres de cette commission du cessez-le-feu ne tient qu’à un fil.
5 juillet 1962 : l’Indépendance
A l’indépendance, le commandant Allahoum est nommé à la SN Repal puis à la nationalisation du pétrole, à l’EGA, par Boumediene, Président du Conseil de la Révolution, en tant que P-DG. « J’avais remplacé Maachou ». On le retrouve comme chargé de mission à la présidence de la République de 1969 à 1971.
A cette période, il fera partie de la délégation officielle en mission aux lieux Saints de l’Islam et devient Hadj. Deux ans après, il prendra sa retraite mais se lance en 1976, dans la création à Ghardaïa, d’une usine de fabrication de plâtre avec la Société française Cofrage moderne. Il y restera une année. De retour à Alger, il acquiert un terrain aux eucalyptus où il compte construire un complexe touristique. Il abandonne le projet, repris par ses enfants qui en font un centre commercial, pour enfin s’occuper de sa famille, une fratrie de 3 filles et 5 garçons. Le commandant Allahoum reste un homme qui a su prendre le meilleur de ses deux cultures et par-dessus tout, les bons plats du terroir. Il met en pratique à bon escient le modernisme et la tradition. C’est d’ailleurs dans cette optique, qu’il a élevé sa progéniture, à égalité de droit.
A 96 ans, il garde l’esprit alerte. Lis beaucoup et continue de s’intéresser de loin à ce qui se fait dans le pays, sa patrie.
Paru dans la revue Mémoria, FÉVRIER 2017