Mohamed Arkab au journal SPIEGEL: « Nous aimerions travailler avec l’Allemagne sur la production d’hydrogène vert »
Alors que l’Europe cherche de nouveaux fournisseurs de gaz pour devenir plus indépendante de la Russie, l’Algérie est devenue au centre de l’attention au vu de ses riches réserves en gaz. Outre les usines de production de gaz naturel liquéfié (GNL), trois gazoducs relient l’Algérie à l’Europe. L’Algérie est traditionnellement un important fournisseur de gaz pour l’Europe, principalement pour l’Espagne et l’Italie, qui ont reçu respectivement 14,3 et 23 milliards de mètres cubes de l’Algérie l’année dernière. Une augmentation des livraisons d’environ 40% d’ici 2023 a été décidée avec l’Italie. Dans un entretien au journal allemand Spiegel, le ministre de l’Energie Mohamed Arkab explique ce que l’Allemagne doit faire acquérir plus de gaz. Une interview que « La Patrie News » a traduit pour ses lecteurs.
SPIEGEL : M. Arkab, êtes-vous satisfait du regain d’intérêt européen pour le gaz algérien ?
Mohammed Arkab : Notre marché traditionnel du gaz naturel a toujours été l’Europe. La majorité de nos exportations passent par deux pipelines via l’Espagne et l’Italie. De plus, nous fournissons du GNL. Nous avons intérêt à étendre nos activités avec l’Europe et pouvons augmenter considérablement la production de gaz naturel en peu de temps. Environ la moitié de nos réserves de gaz n’ont pas encore été exploitées.
SPIEGEL : L’Algérie a récemment convenu avec l’Italie d’augmenter les livraisons de gaz de 40 % par rapport au volume précédent. Pourriez-vous également vendre et livrer du gaz pour l’Allemagne si elle faisait la demande ?
Mohamed Arkab : Nous disons : si l’Allemagne veut nous acheter du gaz, alors investissez dans de nouveaux gisements avec nous. Comme les Italiens avec le groupe ENI. Nous avons un programme ambitieux de 39 milliards de dollars pour accroître la production dans le secteur pétrolier et gazier d’ici 2026. Le groupe public, Sonatrach, lèvera la majorité, et nous recherchons des partenaires pour le reste. Nous espérons que les Européens ne changeront pas de cap et nous laisser seuls avec les investissements. Pendant longtemps, l’Europe a défendu la protection de l’environnement et n’a fait aucune distinction entre le pétrole et le gaz. En conséquence, aucun investissement n’a été réalisé.
SPIEGEL : Mais les entreprises étrangères sont également réticentes à investir en raison d’une bureaucratie excessive et d’une législation peu claire.
Mohamed Arkab : En 2020, une nouvelle loi sur les hydrocarbures est entrée en vigueur. Nous y avons inclus des normes internationales pour les contrats, le partage de la production et les contrats à risque. Avant, les investisseurs devaient passer par diverses agences gouvernementales et c’était un peu opaque. Ils ont maintenant un seul interlocuteur et des processus simplifiés. Avec notre partenaire italien ENI, nous avons signé les premiers contrats dans le cadre de cette nouvelle loi.
SPIEGEL : Il existe également un partenariat avec la société russe Gazprom. Jusqu’où va l’implication de Gazprom dans des projets en Algérie ?
Mohamed Arkab : Gazprom est l’une des nombreuses entreprises qui investissent en Algérie. La Société n’est actuellement engagée dans aucune production autre que l’exploration.
SPIEGEL : L’Algérie entretient des liens étroits avec la Russie depuis longtemps. Moscou n’est-il pas mécontent que l’Algérie augmente ses livraisons à l’Europe ?
Mohamed Arkab : L’Algérie est l’amie de tout le monde. Nous sommes un fournisseur fiable et sûr. Nous sommes libres de contracter avec des entreprises européennes si c’est dans l’intérêt des deux parties. Bien sûr, nous ne pouvons pas servir toute la demande européenne, mais nous avons des capacités qui ne sont pas encore utilisées. Nous voulons inviter les entreprises européennes à investir dans cette production.
SPIEGEL : L’Algérie est en conflit politique avec l’Espagne et le Maroc. Vous n’avez pas renouvelé les fournitures de gaz pour le Maroc après l’expiration du contrat. L’Espagne doit-elle aussi craindre quelque chose du genre ?
Mohamed Arkab : Nous avons prolongé les contrats avec l’Espagne et il n’y a eu aucun problème. L’Algérie honore ses obligations conventionnelles et les honorera toujours. Nous avons toujours été un fournisseur fiable pour l’Europe, même lorsque notre pays a traversé des moments difficiles.
SPIEGEL : Allez-vous augmenter les prix du gaz pour l’Espagne ?
Mohamed Arkab : Les contrats d’approvisionnement sont réévalués tous les trois ans, tant en volume qu’en prix. Plus récemment, nous avons renouvelé les contrats avec l’Italie et augmenté la capacité. C’est maintenant au tour de l’Espagne. Le prix mondial du gaz est annexé au prix du pétrole. Lorsque le prix du pétrole augmente, comme c’est le cas actuellement, les prix du gaz suivent. Il est donc évident qu’une augmentation est en cours de discussion
SPIEGEL : Si la production augmentait de manière significative, quelles voies de transport le gaz emprunterait-il pour atteindre l’Europe ?
Mohamed Arkab : Nous avons des capacités d’exportation de GNL. Un projet de deuxième pipeline vers l’Italie est actuellement en réalisation. Pourquoi construire un gazoduc alors que les Européens achètent leur gaz en Russie ? Le deuxième projet sur lequel nous travaillons actuellement est le pipeline transsaharien de 4 000 kilomètres reliant le Nigeria à l’Algérie via le Niger. De nombreuses infrastructures ont déjà été réalisées en Algérie. Le gazoduc peut être achevé en trois ans et nous pouvons transporter 20 à 30 milliards de mètres cubes de gaz depuis le Nigeria.
SPIEGEL : Il y a un projet concurrent pour un pipeline du Nigeria via le Maroc. Certains pays européens semblent préférer ce dernier car ils ne veulent pas dépendre uniquement de l’Algérie ?
Mohamed Arkab : Notre pipeline est plus sûr. Il est économiquement viable. L’autre oléoduc traverserait 12 pays sur 6 000 kilomètres et une partie traverserait l’Atlantique. C’est infiniment plus compliqué. Et le financement n’est pas clair non plus. En revanche, l’Algérie a les moyens et est disposée à financer une grande partie du gazoduc transsaharien.
SPIEGEL : L’Algérie possède également le troisième plus grand gisement de gaz de schiste au monde, qui devrait cependant être exploité en utilisant des méthodes risquées telles que la fracturation hydraulique. Allez-vous bientôt extraire du gaz de schiste pour augmenter la production ?
Mohamed Arkab : Pour le gaz de schiste, nous n’en sommes qu’à la phase d’évaluation. Pour l’instant, nous travaillons toujours sur du gaz conventionnel. 50 % de nos réserves sont intactes. Il existe encore de nombreux gisements de gaz conventionnel inutilisés dans l’ouest algérien. Jusqu’à présent nous avons exploité exclusivement les gisements situés à l’est du pays. Et nous avons deux grands gisements inexploités en offshore.
SPIEGEL : L’Algérie a aussi élaboré une stratégie pour la transition énergétique. Les précédentes tentatives pour s’éloigner des combustibles fossiles ont échoué. La hausse des prix du pétrole et du gaz aura-t-elle, à nouveau, des conséquences sur ce plan ?
Mohamed Arkab : Nous ne ferons pas l’erreur commise il y a dix ou quinze ans. Nous voulons investir les recettes de la vente de gaz dans la transition énergétique, qui est notre priorité. Mais pour les dernières technologies, nous avons besoin de partenaires, de préférence l’Allemagne. Nous avons construit le premier système photovoltaïque avec une participation allemande dans le sud de l’Algérie. Et nous aimerions travailler avec l’Allemagne sur la production d’hydrogène vert. Nous pouvons devenir un partenaire dans les énergies renouvelables. L’Algérie a 3000 heures d’ensoleillement par an et nous avons l’espace nécessaire pour le photovoltaïque. Avec des lignes électriques sous-marines traversant la Méditerranée, nous pourrions fournir à l’Europe une énergie propre et renouvelable.
R.N