Mai 1975. Sur la scène du Palais des Festivals à Cannes, Jeanne Moreau, présidente du jury de la 28ᵉ édition, annonce les films nommés pour la Palme d’or. Des œuvres de cinéastes de renommée mondiale sont en lice : « Parfum de femme » de Dino Risi ; « Alice n’est plus » de Martin Scorsese ; « A Touch of Zen » de King Hu ; « L’Enigme de Kaspar Hauser » de Werner Herzog …. La distinction est remise à un réalisateur producteur algérien, Mohamed Lakhdar Hamina, pour « Chronique des années de braise », une fresque impressionnante qui a marqué l’histoire du cinéma mondial.
Durant près de trois heures, ce film puissant raconte les luttes du peuple algérien face à l’injustice, à l’indigence et à la violence coloniale. Lakhdar-Hamina y retrace, avec sensibilité et acuité, la montée d’une conscience nationale, de la grande sécheresse de 1939 au déclenchement de la guerre de libération en novembre 1954. Il évoque les événements charnières de ce cheminement (l’épidémie de typhus, les massacres du 8 mai 1945, la défaite de la France à Dien Bien Phu, les élections truquées de 1947, la naissance des premiers maquis). Le récit est porté par deux personnages centraux : un paysan et un conteur fou, témoins et tisseurs de la mémoire populaire. L’histoire de Lakhdar Hamina se termine quand l’histoire de la révolution nationale commence.
Ce film, devenu une œuvre référence du cinéma africain et arabe, fête, cette année, les 50 ans de sa Palme d’or. Cet anniversaire est assombri, néanmoins, par la disparition de son artisan, ce vendredi à l’âge de 91 ans.
Lakhdar-Hamina laisse derrière lui une œuvre majeure, ponctuée de films remarquables. Le Vent des Aurès (1967), Hassan Terro (1968), Vent de sable (1982), La Dernière image (1986), Crépuscule des hommes (2014), Décembre… autant de récits profondément ancrés dans l’histoire du cinéma.
Le 7e art , pour Mohamed Lakhdar Hamina, n’était pas qu’un art mais un acte de résistance et de résilience. « Le cinéma est l’arme des sans-voix », disait-il. Par l’image, il a documenté les souffrances, nourri les espoirs et sublimé les luttes d’un peuple pour sa dignité et son indépendance. Son œuvre transcende l’esthétique pour constituer une archive édifiante de l’un des colonialismes les plus brutaux du XXᵉ siècle. Elle est également une leçon de courage artistique, d’engagement politique et de patriotisme.
Avec la disparition de Mohamed Lakhdar-Hamina, l’Algérie autant que le monde du 7ᵉ art, perdent un cinéaste de talent et une conscience engagée.
S. Hammadi-Biskri