Montage automobile : la fin d’une utopie ?
Une avalanche d’anomalies, de micmacs, de nuages denses et d’anguilles sous roches ont marqué, pendant plusieurs années, le dossier automobile en Algérie. Une situation qui ne peut durer. Et pour mettre fin à cet imbroglio, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune promet que le dossier des véhicules sera réglé durant le semestre en cours, avec à la clé le passage de l’Algérie à une nouvelle expérience reposant sur «le véritable montage» automobile.
Dans sa rencontre périodique avec les médias, le Chef de l’Etat n’est pas passé par trente-six-chemins pour affirmer que «si le montage automobile n’aboutit pas, d’ici 3 ou 4 ans conformément au cahier de charges, à la réalisation d’une intégration d’au moins 40%, à la création de postes d’emploi et à la fabrication de pièces algériennes, il n’y aura pas de montage automobile». L’arrêt des usines de montage, accentuée par une décision antérieure d’interdiction d’importation de véhicules moins de trois ans, a provoqué un véritable chaos.
Au niveau des banques, les dossiers étaient entassés sans qu’ils connaissent une suite. Les compagnies d’assurance, où la branche automobile est fortement présente, enregistrent des pertes colossales à cause de l’absence de nouvelles souscriptions. Dans une de se déclarations relayées par la presse, le patron du groupe automobile Elsecom, Abderrahmane Achaïbou, indiquait que le montage de voitures a causé, depuis 2016, une perte de 8 milliards de dollars.
Des pertes, un nombre d’emplois créés en -deçà des attentes, un taux d’intégration parfois infinitésimal, le montage automobile tel que mené, était un échec. Même tempo, ou presque, pour l’importation des véhicules qui est truffée de non-dits. Notons qu’à la mi-février, 9 autorisations temporaires d’importation de voitures ont été accordées, et dont les noms ne sont pas communiqués à ce jour.
Pour les prévisions, les experts les plus optimistes indiquaient que si tout se goupillait merveilleusement bien, les premiers véhicules devraient venir d’Europe au second semestre de l’année 2021. Sinon le secteur de l’automobile sera encore paralysé et les prix de l’occasion continueront d’aller crescendo. A ce sujet, Abderrahmane Mebtoul économiste, affirme que «si on avait continué dans l’ancienne politique du montage des voitures, cela aurait conduit inévitablement comme à une véritable hémorragie financière avec des sorties de devises pour 500.000 unités de montage entre 9/10 milliards de
dollars/an horizon 2020, un tiers des recettes de Sonatrach au cours de 60/65 dollars le baril». Aujourd’hui, les regards sont braqués sur le nouveau cahier de charges. Si le document n’est pas décisif à lui seul, il dessinera les contours de la nouvelle politique du montage que les pouvoirs publics vont suivre à l’avenir.
Maya Merzouk
Interview :
Mourad Goumiri, expert financier : «Le choix d’un partenaire ou deux
au maximum est fondamental»
Le Chef de l’Etat vient d’annoncer que l’Algérie passera vers une nouvelle expérience reposant sur le «véritable montage» automobile. Quelles sont les conditions nécessaires pour éviter de perpétuer l’imbroglio et les revers qui ont entaché ce secteur?
Le choix d’un partenaire ou deux au maximum est fondamental. En effet, au lieu d’éparpiller nos efforts avec plusieurs constructeurs, il est nécessaire de concentrer nos moyens sur des constructeurs automobiles de notoriété avérée et de faire un choix sur un véhicule low-cost, pour satisfaire la demande nationale et engranger une expérience
certaine sur le moyen terme. Les entreprises publiques et privées nationales devront être sélectionnées pour mener à bien le projet comme cela a été fait pour le complexe militaire de Tiaret en partenariat avec Mercedes.
Par cette annonce, peut-on comprendre que le recours à l’importation des véhicules, neufs ou de moins de trois ans, sera exclu, notamment avec les niveaux bas dans lesquels évolue le dinar algérien par rapport à l’Euro et au dollar?
Dans une première phase, de deux à trois ans, l’importation de véhicules neufs est indispensable pour satisfaire la demande solvable. Il faut revenir sur la décision d’importer des véhicules d’occasion, pour éviter que notre pays ne devienne un déversoir de véhicules
d’occasion trafiqués. La dépréciation du dinar aura un effet sur les prix relatifs des véhicules et les taxes fiscales et douanières vont permettre de réguler le marché et en même temps de renflouer les caisses du Trésor public.
Un nouveau cahier de charges est fin prêt. En votre qualité d’expert qui a longtemps travaillé sur ce dossier, qu’espérez-vous trouver dans ce texte pour une efficacité optimale?
Le cahier des charges a pour vocation de créer une véritable industrie de montage automobile (en CKD SKD) et non pas des importations déguisées de véhicules neufs. Le taux d’intégration doit se réaliser sur plusieurs années, avec un minimum de 30% au départ et en fonction de la production nationale de sous-traitance, à travers des contrats de moyen terme entre les constructeurs étrangers et les sous-traitants nationaux de manière à veiller sur la qualité des pièces détachées de la marque retenue, tant pour le montage que pour la maintenance du parc automobile.
Vous revendiquez le recours aux véhicules électriques. Le terrain est-il propice pour tenter l’expérience? Que peut apporter la locomotion électrique? L’avenir de la construction automobile, dans le monde entier, s’oriente sur le moteur électrique dans les cinq prochaines années. L’Algérie ne doit pas rater ce rendez-vous planétaire, comme nous
avons raté, il y a plusieurs années, celui du moteur à explosion. C’est donc une chance pour nous que de planifier ce virage et de le négocier avec un constructeur crédible unique.
Cette option stratégique doit être accompagnée par le développement intensif d’un grand projet de production d’énergie électrique d’origine solaire car nous disposons de gisements uniques au monde. Le mariage de ce couple indissociable (moteur électrique et énergie
solaire) doit permettre à notre pays de préparer son avenir énergétique (le mix énergétique) et de nous projeter dans l’économie écologique (en termes de pollution et de préservation de nos réserves d’hydrocarbures) qui sera le grand défi mondial, dans les dix prochaines années.
Propos recueillis par Maya Merzouk
Brahim Guendouzi, économiste : «D’importantes créances détenues par
des banques publiques sur les entreprises privées de montage
automobile»
Quel est l’impact de l’absence de nouvelles souscriptions sur les banques et sur les compagnies d’assurance? «L’arrêt du montage automobile selon le dispositif CKD /SKD ainsi que le retard mis dans le programme d’importation de véhicules neufs
décidé pour 2021, se répercutent surtout sur les citoyens qui ne peuvent acquérir de voitures neuves pour leurs besoins ainsi que sur les entreprises dans le cadre de leurs activités. Les compagnies d’assurances subissent également un manque à gagner dès lors que l’assurance – auto est obligatoire. Moins il y a de véhicules en circulation et moins de polices d’assurance à souscrire. Par contre, les banques sont moins touchées du fait que le crédit à la consommation destiné à l’achat de véhicules montés uniquement en Algérie (carconsidérés comme une production nationale) n’est pas très important. Aussi, les établissements bancaires ressentent moins la crise actuelle touchant le secteur automobile comparativement aux sociétés d’assurance. Il faut ajouter à cela, le contexte de la pandémie qui ne favorise pas l’octroi de crédit à la consommation aux ménages.
Au demeurant, les banques publiques détiennent encore d’importantes créances sur les entreprises privées de montage automobile, qu’elles n’arrivent pas à récupérer du fait de l’arrêt de l’activité de montage en CKD/SKD décidé par les pouvoir public».
Propos recueillis par Maya Merzouk
Hassan Khelifati, P-dg d’Alliance Assurances : «recul de 9% du chiffre
d’affaires de la branche automobile en 2020»
La suspension des activités des usines de montage automobile a entrainé l’arrêt des ventes de véhicules, d’où la baisse des souscriptions. Un important manque à gagner pour les compagnies d’assurance. Joint par nos soins, Hassan Khelifati patron d’Alliance Assurances affirme qu’en 2020, le chiffre d’affaires de la branche automobile a connu un recul de 9%, et prévoit que la chute continue durant l’année en cours. En effet, dit-il, l’absence de nouvelles souscriptions a pesé. Mais, ajoute M. Khelifati, «il y a aussi la dégradation du pouvoir d’achat qui se traduit par le basculement des portefeuilles de l’assurance «tous risques», vers d’autres types moins chers.
Maya Merzouk
Abderrahmane Achaïbou, patron du groupe automobile Elsecom :
«l’Algérie était moins exigeante vis-à-vis de ses partenaires
étrangers”
Sollicité par nos soins, Abderrahmane Achaïbou, concessionnaire automobile a conforté les propos du Président de la république d’aller vers un vrai montage, relevant l’impératif d’éviter les erreurs du passé.
A ses yeux, ces anachronismes enregistrés sont le «résultat d’une mauvaise négociation et un manque d’exigence de la partie algérienne».
Citant l’exemple de Renault, M. Achaïbou dira qu’elle fait ses preuves à travers le monde dont en Russie, en Turquie et au Maroc. Ainsi, il appelle à plus d’exigence vis –à-vis des partenaires étrangers.
Maya Merzouk