Mouvement des frères musulmans : Après la trahison, le temps du déchirant révisionnisme
Percutant, précis et d’une mémoire éléphantesque, la dernière analyse de René Naba a totalement dénudé errements, égarements et trahisons du mouvement des frères musulmans. Si cette tendance s’est accentuée durant les printemps arabes, force est de constater que ce mouvement, en agissant de la sorte, a carrément œuvré à scier la branche sur laquelle il était assis.
Cet auto-suicide, sans doute inspiré indirectement par le sionisme via les monarchies du Golfe, a tout naturellement conduit ce mouvement vers de déchirants et pathétiques repositionnements. Premier à donner le « la » de ce réajustement stratégique, le Hamas palestinien a carrément tenté d’afficher son autonomie et sa spécificité, liée à la défense de la cause palestinienne elle-même. Mais, manque de pot, cette initiative a coïncidé avec la visite au Maroc, menée en grandes pompes, des dirigeants de ce mouvement.
Rabat, ami et allié désormais déclaré de l’entité sioniste, risque ainsi de transformer le Hamas palestinien en une véritable girouette. Pour l’auteur de cette analyse, « La revendication de l’indépendance de la branche palestinienne de la confrérie constitue un fait sans précédent dans les annales de la nébuleuse islamiste, s’apparentant à un bouleversement de l’ordre d’une révolution copernicienne. Elle risque de provoquer un séisme au sein de la Confrérie et de saper sa crédibilité en la privant de son principal argument de propagande: le combat pour la Palestine ».
Cette décision a été dévoilée dans un entretien off que le chef du mouvement islamiste palestinien, Ismail Haniyeh a eu avec des dirigeants libanais proches de la résistance, lors de son dernier séjour à Beyrouth, et que le directeur du quotidien libanais Al Akhbar M. Ibrahim Al Amine, révèle dans les colonnes de son journal, en date du 28 décembre 2020, rompant la confidentialité de la conversation. Où qu’il se tourne, en effet, le Hamas fait face à de faux-vrais amis, et de nombreux Judas en puissance, perdant de vue les vrais et authentiques alliés de la cause palestinienne. D’où cette nécessité de louvoyer et de faire le dos rond face aux bourreaux qui persécutent et assassinent les « frères » en Egypte.
«Hamas, non seulement considère l’Égypte comme une grande puissance régionale, mais également la grande puissance régionale ayant la plus grande proximité géographique avec la principale base de la résistance palestinienne, Gaza. L’intérêt de la résistance palestinienne est d’entretenir des relations directes et constructives avec le gouvernement égyptien, de manière à assurer la protection des intérêts de la résistance à Gaza, et, partant les intérêts des Palestiniens», a-t-il fait valoir.
Ainsi, l’ennemi de mes amis n’en est pas moins mon… ami. Une chatte ne reconnaitrait pas ses petits dans cet indescriptible capharnaüm. Au delà de l’Égypte, le Hamas a procédé à une redéfinition de ses relations sur le plan régional, engageant un dialogue intensif avec l’Iran et le Hezbollah, de même que la Syrie, via la formation paramilitaire chiite libanaise.
La prise de distance du Hamas va priver la confrérie de son argument de propagande de poids en ce que la branche palestinienne constitue la seule formation du mouvement en confrontation directe avec Israël, –voire la seule formation sunnite en confrontation directe avec l’entité sioniste–, à rebours des orientations générales des «frérots», que cela soit leurs parrains, la Turquie et le Qatar, de même que la branche syrienne des FM, qui se sont acharnés dans la destruction de la Syrie; ou encore la Tunisie du temps de la présidence de Mouncef Marzouki et son alliance avec An Nahda, la branche tunisienne des FM, où près de 5.000 djihadistes tunisiens s’étaient rendus en Syrie pour participer à la destruction du pays et non à la libération de la Palestine. Ou enfin l’Égypte du temps de l’islamiste Mohamad Morsi, qui avait décrété le jihad contre la Syrie….
Le Jihad contre la Syrie, un pays qui avait pourtant mené avec l’Égypte 4 guerres contre Israël et non de dénoncer le traité de paix avec I’entité sioniste, comme l’a fait le petit Liban soumis à deux invasions sionistes avec la complicité des milices chrétiennes; voire même lever le blocus de Gaza, dirigé par le Hamas, l’homologue égyptien de la confrérie… tant il est vrai qu’il est plus facile de crier avec le loup que d’affirmer son indépendance, à la manière des Talibans qui ont contraint les États Unis à négocier pendant deux ans à Doha avant de consentir à leur assurer une sortie honorable d’Afghanistan. Khaled Mécha’al, l’ancien dirigeant du Hamas, avait déblayé la voie à un tel recentrage en procédant à un acte de contrition avant de céder la place à son successeur. Ce démarquage paraît devoir ancrer le Hamas définitivement dans l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américano-pétro monarchique dans la zone.
La révolution copernicienne revisitée…
Et de rappeler qu’ « en un invraisemblable égarement, les Frères Musulmans se sont distingués lors de la séquence dite du printemps arabe, par sept fautes majeures, qui ont favorisé sa répression par l’Égypte, sa criminalisation par l’Arabie saoudite et la désaffection de bon nombre de ses sympathisants à travers le monde, et partant son tragique isolement:
A – Le déboulonnement lors de la chute de Tripoli, en 2011, de la statue de Nasser, artisan de la première nationalisation réussie du tiers monde, le Canal de Suez et, à ce titre, cible d’une triple agression de la France et de la Grande Bretagne et d’Israël; C’est à dire des deux puissances coloniales de l’époque et leur créature; complétée onze ans plus tard par une nouvelle agression en 1967, avec les encouragements des monarchies pro américaines, le chah d’Iran, le Roi Hussein de Jordanie et le Roi Faysal d’Arabie.
B – La tenue à Paris en juillet 2011, d’un congrès de l’opposition syrienne, sous l’égide des Frères Musulmans et de Bernard Henry Lévy, le fer de lance de la stratégie médiatique israélienne sur le théâtre européen, dont le parrainage fut désastreux pour la crédibilité de l’opposition syrienne…. Avec en corollaire la militarisation du conflit syrien plongeant la Syrie, voie de ravitaillement stratégique du Hezbollah libanais face à Israël, dans une guerre sans fin, faisant le jeu des pétromonarchies du Golfe, en détournant quelque peu le groupe contestataire à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, écartant durablement toute transition démocratique dans ce pays en lui substituant un conflit inter-étatique visant à déterminer la hiérarchie des puissances dans l’ordre régional.
C – La Fatwa du Jihad contre la Syrie décrétée par Mohamad Morsi avec la caution de 107 Oulémas salafistes wahhabites, contre un pays qui a livré en alliance avec l’Égypte quatre guerres contre Israël; gravissime cas de déconnexion mentale jamais égalée dans le monde.
D – La supplique de Youssef Al Qaradawi, le milliardaire Mufti du Qatar, demandant à l’OTAN de bombarder la Syrie, seul pays du champ de bataille avec le Liban à n’avoir pas signé un traité de paix avec Israël.
E – La trahison de Khaled Mecha’al, chef du bureau politique du Hamas, en 2011, et son ralliement sur une base sectaire à la coalition islamo-atlantiste dans sa guerre contre la Syrie, un pays qui lui avait offert l’asile politique pendant 14 ans après avoir échappé à une tentative d’empoisonnement en Jordanie de la part des services israéliens. Une faute impardonnable, s’il en est, qui lui vaudra son exfiltration du commandement de son mouvement et son exil au Qatar.
F – L’incendie par les islamistes égyptiens de la maison de Mohamad Hassanein Heykal, l’ancien confident de Nasser et ancien directeur du grand journal égyptien Al Ahram, provoquant la destruction d’une des plus riches bibliothèques du Monde arabe, un trésor historique incomparable…. dans le prolongement de la pulsion destructrice des islamistes contre les bouddhas de Bamyane et des stèles de l’islam noir de Tombouctou (Mali)
G- Enfin et dernier et non le moindre, la caution donnée par le chef du Parti de la Justice et du développement du Maroc, Abdel Ilah (esclave de Dieu) Benkirane à une normalisation des relations entre Israël et le Maroc. Plus près de nous encore, «Si la Tunisie ne s’est pas engagée sur la voie de la normalisation avec l’entité sioniste, ce n’est pas tant en raison de la position timorée d’An Nahda, mais grâce à la ferme position du président Kais Es Saied, hostile à toute forme de normalisation». De même la position du Parti de la Justice et du développement, la branche marocaine de la confrérie a constitué un «scandale politique et moral» à l’effet de provoquer un «séisme parmi ses adhérents», d’autant plus manifeste que le Roi Mohamad VI du Maroc, Commandeur des croyants, est président du Comité Al Qods, chargé théoriquement de la protection de ce 3eme Haut Lieu de l’Islam.
Machiavélisme suprême ou summum de la perfidie? Dans ce Royaume aux mœurs florentines, le monarque a assigné «la sale besogne» à son premier ministre Saad Eddine Al Othmani d’apposer sa signature sur le document de normalisation entre le Maroc et I’entité sioniste, maintenant les mains souveraines dans une blancheur immaculée de cette souillure dont l’opprobre rejaillira immanquablement sur son féal islamiste, au delà, sur la mouvance confrériste dans son ensemble. Une normalisation qui officialisait, enfin, au grand jour la connivence souterraine de la monarchie chérifienne et Israël, d’un demi siècle marquée notamment par l’assassinat de Mehdi Ben Barka, le chef charismatique de l’opposition marocaine et l’espionnage au profit de l’État hébreu du sommet arabe de Casablanca (1964).
Sur le plan protocolaire, le cosignataire marocain de l’accord israélo-marocain aurait dû être un membre de l’appareil sécuritaire marocain (le directeur du renseignement militaire, voire le directeur de la sûreté générale marocaine ou encore le chef des services de renseignement), équivalent du signataire israélien, M. Meir Ben Shabbat, conseiller à la sécurité du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. En conclusion, la mise en place de ce réajustement stratégique et structurel nécessite pas mal de sacrifices. Et de renoncements aussi. Le Maroc, par exemple, ne pourra plus faire semblant d’être le défenseur acharné et le champion de la cause palestinienne, tout en demeurant l’ami et le complice de l’occupant sioniste. En physique quantique, la théorie copernicienne y perdrait carrément son latin. Et ses équations aussi…
Kamel Zaidi