Najem Sidi, cofondateur et président du Comité Action et Réflexion pour l’Avenir du Sahara Occidental (CARASO) : « La question sahraouie se trouve à la croisée des chemins »
Najem Sidi est un militant sahraoui très engagé, très dynamique, que l’on croise sur tous les fronts, et dans tous les combats, médiatique, diplomatique, politique, associatif et autre. Il nous a réservé l’exclusivité de sa discussion, constructive, qu’il a récemment eue à Paris avec le chef de la diplomatie espagnole, José Mnuel Albares. Ce dernier s’est montré sensible aux arguments légaux et humains avancés. Et c’est sans doute ainsi que les lignes bougent, et qu’il devient possible de contrer la grossière propagande du Makhzen. Dans cet entretien, Najem Sidi est revenu sut le nilan de CARASCO, le récent arrêt De la CJUE rendue en faveur du Polisario, représentant unique et légitime du peuple sahraoui, les lettres adressées par Pedro Sanchez et Emmanuel Macron à Mohamed VI, l’éventualité du départ anticipé du président français, mais aussi la Marche de la Liberté, menée par l’infatigable militante et iconique Claude Mangin.
La Patrie News : Où en est l’avancée de la cause sahraouie, notamment en France et en Europe. Peut-on parler de verre à moitié vide ou bien à moitié plein, à la faveur des lettres de Pedro Sanchez et Emmanuel Macron à Mohamed VI, et de l’arrêt historique rendu par la CJUE en faveur du Front Polisario ?
Najem Sidi : Je suis de nature de ceux qui voient le verre à moitié plein. Ceci dit, je pense que la cause sahraouie a eu une importante avancée en 2024 suite à la décision du 4 octobre 2024 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette décision a annulé les accords commerciaux entre l’UE et le Maroc, jugés contraires aux droits du peuple sahraoui. La CJUE a souligné que ces accords ne respectaient pas les principes d’autodétermination, renforçant ainsi la légitimité des revendications sahraouies sur le plan international.
En ce qui concerne les lettres envoyées par Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol et Emmanuel Macron, président français au roi Mohamed VI du Maroc. Le premier a exprimé son soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en avril 2007, et l’autre a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Nul n’ignore le soutien indéfectible du gouvernement français à l’occupation marocaine. En effet, la France a toujours aidé le Maroc avec du matériel et des fournitures dans l’agression marocaine contre le peuple sahraoui. Les récents propos de Christophe Lecourtier, ambassadeur français au Maroc, en témoignent. En conséquence, ce que nous voyons aujourd’hui en termes de battage médiatique et de déclarations ici et là n’est rien d’autre qu’un jeu d’intérêts visant à obtenir plus et à établir une position plus profonde pour la France qui a perdu son prestige d’antan et son influence en Afrique.
Pour ce qui est de l’Espagne, le parlement a refusé récemment de transférer la gestion de l’espace aérien du Sahara Occidental au Maroc. Un échec cuisant pour ce dernier qui nourrissait depuis longtemps l’espoir de voir l’Espagne lui confier cette mission hautement symbolique et qui est contrôlé depuis 1976 par ENAIRE, l’organisme public espagnol, sous mandat de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI). Une telle décision politique risque de raviver les tensions diplomatiques latentes entre l’Espagne et le Maroc.
En somme, la question sahraouie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Elle dispose d’un corpus juridique solide en tant que question de décolonisation au niveau de l’ONU et d’un socle de solidarité internationale actif.
Quel a été le rôle joué par le Comité Action et Réflexion pour l’Avenir du Sahara Occidental (CARASO), ainsi que son impact, sachant que vous en êtes un des principaux animateurs ?
Le Comité CARASO a joué et joue un rôle significatif dans la sensibilisation et le soutien à la cause du peuple sahraoui en France en plaidant pour leur droit à l’autodétermination. Il organise et participe dans des événements, des conférences et des campagnes d’information. Il appelle non seulement à un soutien actif et plus équilibré du gouvernement français pour la cause sahraouie mais en attirant l’attention des médias et d’informer le public sur les enjeux du conflit.En effet, dès le début de sa création, le comité a considéré que le statu quo est l’ennemi numéro1 de la cause sahraouie et dans cette optique, il ne cesse de mobiliser tous les leviers possibles pour le briser compris par des correspondances en interpellant les leaders politiques et des rencontres formelles et informelles avec toutes les parties susceptibles de pouvoir appeler à un dialogue constructif et à la recherche d’une solution pacifique qui respecte le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.C’est ainsi que dernièrement, j’ai réussi à rencontrer et discuter de façon constructivement avec José Manuel Albares, chef de la diplomatie espagnole lors de son passage à Paris. J’ai attiré son attention sur les discriminations et violences endurées par le peuple sahraoui sous l’occupation marocaine, notamment la répression et l’intimidation infligées aux sahraouis qui participent à des manifestations pacifiques pour réclamer un référendum d’autodétermination et ai mentionné les conditions de vie difficiles dans les camps de réfugiés sahraouis où règnent pénuries d’eau potable en été et infrastructures sanitaires et éducatives. J’ai aussi ajouté que l’Espagne, ancienne puissance administrante, qui soutient l’Ukraine pourrait jouer un rôle positif pour le respect de la volonté du peuple sahraoui à s’autodéterminer et ainsi jouir de la liberté et de la dignité.C’est même un devoir moral de l’Espagne envers le peuple sahraoui.
Les relations algéro-françaises n’ont jamais été aussi mauvaises depuis juillet 1962. Au moment où l’extrême droite verse de l’huile sur le feu, la France officielle ne fait rien non plus pour éviter la rupture totale. Un avis sur ce sujet sensible, sachant que la question sahraouie a été un des éléments déclencheurs de cette crise ?
Vous avez raison : les relations algéro-françaises traversent l’une de leurs phases les plus tendues depuis l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962 et souffrent d’un double blocage : historique et politique. Cette dégradation s’inscrit dans un contexte multiforme, est effectivement préoccupante, et votre remarque sur la question sahraouie comme facteur déclencheur est très pertinente aux côtés d’autres contentieux historiques, mémoriels et géostratégiques. Et pourtant, c’est le comportement du président français Emmanuel Macron qui a provoqué la tension. Au mois de juillet 2024, il a décidé tout seul, sans l’avis de quiconque, de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental en piétinant le droit international. Pour l’Algérie, cette reconnaissance a été perçue comme une trahison diplomatique et une remise en cause de l’engagement de la France à respecter les résolutions de l’ONU sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.De ce fait, la France s’est isolée et a perdu de la crédibilité en choisissant un pays au détriment du reste des autres pays. Cela a aussi ravivé la tension et l’instabilité dans la région. Or, pour l’Algérie, la question sahraouie est une question de principe : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.La France ne doit pas tourner le dos en affrontant non seulement les sahraouis mais ses relations précieuses avec l’Algérie. C’est préjudiciable pour la France.
La marche de la liberté initiée par Claude Mangin, épouse du prisonnier politique sahraoui Naâma Asfari, a sillonné une bonne partie de la France et de l’Espagne. Bilan et avis ?
Je connais Claude et son époux Naâma depuis des années. Claude est une militante pacifique infatigable, toujours pleine d’idées. La dernière en date : la Marche de la Liberté. Elle l’avait initiée le 30 mars 2025 à Ivry-sur-Seine sous l’impulsion de l’association des Amis de la République Arabe Sahraouie Démocratique (AARASD). La marche a sillonné la France et l’Espagne avec un parcours bien défini. Cette initiative a le mérite de mobiliser de nombreux militants engagés et des associations dans le but d’exiger la libération des prisonniers politiques sahraouis et de dénoncer leurs détentions arbitraires.
Cette marche a été un acte de solidarité et un puissant symbole de la lutte pour les droits humains. Elle a suscité non seulement un large soutien populaire, avec des centaines de participants et de bénévoles impliqués tout au long du parcours mais aussi une visibilité médiatique permettant de sensibiliser le public européen aux conditions désastreuses de détention des prisonniers politiques sahraouis et d’interpeller les gouvernements français, espagnol et marocain sur le respect du droit international.
Mais malheureusement, le Maroc n’a pas saisi cette opportunité pour redorer son blason terni. Il a retenu et refoulé Claude Mangin et les autres membres de la marche vers l’Espagne brisant ainsi l’espoir de la quintessence de la marche de la liberté.
Il est de plus en plus question d’un départ anticipé de Macron de la présidence française. Y a-t-il possibilité que Paris, membre permanent du Conseil de Sécurité, revienne vers cette ‘‘neutralité positive’’ souhaitée par la RASD, pour reprendre une expression utilisée par l’ancien chef de la diplomatie sahraouie, Mohamed Sidati, dans un entretien qu’il m’avait accordé ?
Le départ anticipé d’Emmanuel Macron de la présidence française est un sujet d’actualité, mais ce scénario est peu crédible. Toutefois, la politique étrangère de la France, notamment en ce qui concerne la question du Sahara Occidental, elle fait l’objet récemment de débats intenses sur l’échiquier politique français. En reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, Macron a adopté une position piétinant la légalité et le droit international. La neutralité positive, au regard de la position actuelle de la France, semble peu probable à court terme.
Entretien réalisé par Mohamed Abdon