Pénurie des médicaments
Un phénomène récurrent et aggravé en France et dans le reste de l’Europe
Les praticiens de la santé et les pharmaciens algériens lancent constamment des alertes sur l’indisponibilité de produits hospitaliers et de médicaments vendus en officines… Plus de 300 DCI (denominations communes internationales), dans diverses classes thérapeutiques, sont en rupture de stocks, s’alarment-ils . Il s’avère que le phénomène n’est pas circonscrit à l’Algerie. Le dernier numéro de l’émission « Complément d’enquête », qui sera diffusé ce soir sur la chaîne publique France 2, aborde la problématique, vécue plus intensément dans la rive nord de la Méditerranée. En collectant l’information auprès de plusieurs interlocuteurs en lien direct avec le secteur pharmaceutique en France, les journalistes investigateurs ont mis en relief la récurrence des pénuries de médicaments, souvent vitaux, in-situ. En 2020, l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’ANSM, a enregistré le signalement de 2446 médicaments en rupture de stock. Un sondage, réalisé par France Assas Santé, a révélé qu’un Français sur quatre avait été confronté, au moins une fois, à une pénurie de médicaments. L’organisme a conclu que la situation est pareille dans de nombreux pays européens. “Quand on échange avec nos collègues des pays voisins, on voit qu’ils sont aussi très confrontés au sujet, c’est une impression qui est partagée.” a corroboré un conseiller technique auprès de l’organisme cité à France télévision. Les laboratoires pharmaceutiques justifient le manquement à leurs engagements et obligations par les aléas d’approvisionnement de la matière première sur le marché mondial, les incidents de production et une demande mondiale accrue sur certains produits. Ils n’évoquent, toutefois pas, un paramètre nodal de la crise : le renoncement délibéré à la production de médicaments anciens, ayant perdu le brevet, à cause de la faiblesse de leur rentabilité. « Une étude de rentabilité réalisée à partir de 3530 signalement, auprès de l’ANSM entre 2012 et 2018 a montré que 63,4% des médicaments en rupture avaient une autorisation de mise sur le marché vieille de plus de 10 ans. De quoi faire baisser les prix, et donc potentiellement l’intérêt des entreprises pharmaceutiques à produire ces traitements » explique-t-on.
Par ailleurs, la pandémie au Sras-Cov-2 a contribué largement aux dysfonctionnement du marché pharmaceutique global. La fermeture des frontières, pendant des mois, a impacté durement les pays dépendant de la Chine et de l’Inde, en matière de produits pharmaceutiques manufacturés. La France, citée en exemple, a délocalisé 80% de son industrie pharmaceutique vers ces pays pourvoyeurs de main-d’oeuvre bon marché. « Nous ne pouvons pas continuer à dépendre à 80% ou 85% de principes actifs pour les médicaments qui sont produits en Chine, ce serait irresponsable et déraisonnable”, déclarait le ministre français de l’Economie et des Finances, en février 2020. Sur ce point, les autorités algériennes ont été clairvoyants en privilégiant, il y a plus de dix ans déjà, la production nationale (l’objectif étant d’atteindre une autosuffisance à hauteur de 70% et exporter à terme vers les pays subsahariens). La proportion des programmes d’importations baisse d’année en année, par l’interdiction d’introduire sur le marché national les médicaments fabriqués localement. Les pouvoirs publics ont aussi pris la mesure de sécuriser la disponibilité des traitements vitaux pendant 3 à 6 mois. Dans une déclaration publique en avril 2020, soit a l’émergence de la première vague des contaminations au coronavirus en intra-muros, le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Dr Lotfi Benbahmed, a indiqué que son département « avait pris des mesures préventives, en appelant les importateurs et les fabricants locaux à former un stock de matières premières produites localement pour garantir un approvisionnement du marché national en médicaments ». En France, les laboratoires pharmaceutiques sont astreints, par décret entré en vigueur le 1er septembre 2021, de garantir un stock de deux mois pour les “médicaments d’intérêt thérapeutique majeur”.
Soulef Biskri