Questions pour Reporters Sans Frontières, TV5 Monde et Le Monde
Ces derniers jours, en raison en particulier de l’affaire du journaliste Khaled Drareni et de sa condamnation (3 ans, puis 2 ans en appel), l’ONG Reporters Sans Frontières et certains médias francophones, et non des moindres – comme TV5 Monde ou le journal Le Monde – ont fustigé de manière véhémente l’Etat algérien, le définissant notamment comme un « régime autoritaire », « une dictature » (édito du Monde du 16 septembre 2020), et même « un régime despotique » (Christophe Deloire – secrétaire général de RSF dans un entretien à TV5 Monde, le 16 septembre 2020).
Puisque ces organes semblent bien connaître la réalité algérienne, nous nous permettons donc de leur poser humblement quelques questions :
Selon le décompte du comité national pour la défense des détenus, l’Algérie comptabiliserait une cinquantaine de détenus d’opinion sur les 8 derniers mois (entre mi-janvier et mi-septembre 2020 – depuis la mise en place du nouveau gouvernement) – sans que l’on sache exactement les contextes et raisons de leurs détentions. À titre comparatif, en France, sur une période similaire (8 mois, de novembre 2018 à fin juin 2019) et hors contexte de crise sanitaire, plus d’un millier de gilets jaunes ont été condamnés à de la prison ferme (plus de 3000 condamnations dont plus de 1/3 à la prison ferme)[1]. Et ce, bien souvent, pour des raisons comparables à celles des « détenus d’opinion » algériens, au point d’être appelés « prisonniers politiques » par leurs co-détenus[2].
Question 1 : Si donc, pour RSF, Le Monde, TV5 Monde, le « régime » algérien est « totalitaire », et l’Algérie une « dictature », que pensent-ils donc du « régime » français – qui est le leur ?
Par ailleurs, Reporters Sans Frontières s’est très rapidement ému publiquement de l’agression de journalistes, en France, par des gilets jaunes – participant allègrement au processus de disqualification de ce mouvement. Il a par contre, avec TV5 Monde et le Monde, été fort tardivement sensible aux violences policières à l’encontre des journalistes en France. Ces dernières étant signalées dès le 10 décembre 2018 par le Syndicat National des Journalistes[3]. RSF, ainsi que TV5 Monde et le Monde, n’ont pas été, non plus, parmi les premières organisations et médias à documenter la réalité des répressions en France.
Question 2 : comment expliquez-vous donc cette focale sur la situation algérienne et cette difficulté à voir ce qui se passe en France ?
RSF a mobilisé le gratin du journalisme institutionnel français – Laurent Delahousse, Anne-Claire Coudray, Bernard de La Villardière, … – dans une action en soutien à Khaled Drareni devant l’ambassade d’Algérie en France, le 7 septembre 2020. Chose étrange alors que le sort des journalistes Jamal Khashoggi (assassiné), Julian Assange (emprisonné) n’a entraîné aucune réaction comparable de soutien de la part de RSF et ces journalistes.
Question 3 : Ne pensez-vous pas que cette maladroite mobilisation est de nature à donner du grain à moudre à ceux qui reprochent à Khaled Drareni d’être trop lié à des intérêts étrangers, en particulier français ?
Le Monde écrit dans son édition du 16 septembre que: « l’intention du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, [est] de faire taire les partisans du Hirak et de préserver le système tel qu’il est.»
Question 4. Sachant que ce dernier a profité de sa possibilité de grâce présidentielle (le 1er juillet 2020 à l’occasion du 58ème anniversaire de la fête d’Indépendance) pour libérer des détenus du hirak condamnés définitivement (en accord avec la loi algérienne)[4] -, que faut-il donc penser du président français Emmanuel Macron qui, à notre connaissance, n’a accordé aucune grâce présidentielle aux gilets jaunes, et ce malgré la demande d’amnistie portée par sa société civile[5] ?
La plupart des détenus d’opinion, y compris Khaled Drareni, sont poursuivis en justice, et condamnés en vertu principalement de quatre articles du code pénal : 79 (atteinte à l’intégrité du territoire national), 98 (participation à un attroupement armé ou non armé pouvant troubler l’ordre public et refus de l’abandonné après la première sommation), 100 (incitation à attroupement non armé), ainsi que l’article 144bis pour injure ou diffamation à l’égard du président (il est précisé dans cet article que « les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public »).
Question 5. Pensez-vous qu’il s’agisse là de lois de circonstance, élaborées spécifiquement pour le hirak, des lois « scélérates » comme la loi anti-casseur passée en France en 2019 (pour réprimer le mouvement des gilets jaunes) ? Petit indice pour vous aider à resituer les choses : elles datent de 1975 (pour les articles 98 et 100) et 2006 (pour les articles 79 et 144bis).
Puisque nous arrivons aux questions juridiques, nous avons quelques questions subsidiaires.
Question 6 : la justice en Algérie, en France, ou ailleurs, doit-elle juger en fonction de l’opinion de RSF, de l’opinion de l’opposition politique, ou en fonction du code pénal, fut-il imparfait et critiquable ?
Question 7. Puisque vous manipulez l’affaire Khaled Drareni pour mieux critiquer les institutions algériennes, et que vous le présentez, dans une vision très manichéenne, comme un journaliste intègre face à un pouvoir arbitraire, pensez-vous que son tweet public du 24 mars (que nous reproduisons à la suite), dans lequel il ne se réfère à aucune source, est une information, une manière détournée de produire l’information, une possible infraction à l’article 100 du code pénal ?
Resituons par ailleurs le contexte : il était alors sous contrôle judiciaire et les institutions de l’Etat luttaient contre la pandémie, interdisant comme partout ailleurs les rassemblements (y compris pour motifs privés).
Merci bien pour toutes vos réponses.
Signé : un algérien qui se pose des questions.
[1]https://www.liberation.fr/checknews/2019/11/08/un-millier-de-gilets-jaunes-condamnes-a-de-la-prison-ferme-depuis-le-debut-du-mouvement_1762173
[2]https://www.bastamag.net/gilets-jaunes-prisonniers-politique-colere-sociale-detention-justice
[3]http://www.snj.fr/article/violences-polici%C3%A8res-contre-les-journalistes-la-libert%C3%A9-d%E2%80%99informer-menac%C3%A9e-1410344471
[4]https://www.liberte-algerie.com/actualite/six-hirakistes-beneficient-de-la-grace-presidentielle-341313
[5]https://amnistiegj.fr/