Rapport annuel d’Amnesty Internationale : Le Maroc sévèrement épinglé
La première réflexion qui vient à l’esprit en feuilletant ce volumineux rapport annuel de 512 pages, c’est que les droits de l’Homme vont très mal un peu partout dans le monde. Et spécialement au Maroc. Car, la seconde réflexion qui vient à l’esprit juste après, c’est que cette ONG ait décidé d’inclure le Maroc avec le Sahara Occidental, alors que ce sont là deux Etats distincts. Bref, cette ONG en apparence frileuse, qui n’accorde qu’une pognée de pages au royaume chérifien, y déverse quand même un concentré de remarques et de faits qui épinglent très sévèrement le Makhzen, pour lequel les droits humains n’ont jamais compté. « À quatre reprises au moins, les autorités ont réprimé des manifestations pacifiques organisées par des personnes qui réclamaient une amélioration de leurs conditions de travail, et invoqué le décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire pour rejeter les revendications de travailleuses et de travailleurs », pointe notamment ce rapport. Il ajout qu’ « En avril, la police a arrêté arbitrairement 33 enseignant·e·s qui manifestaient pacifiquement à Rabat contre des mesures en matière d’éducation qu’ils jugeaient néfastes pour l’enseignement public ». Comme mentionné dans notre précédent article, cette pandémie est prise comme prétexte pour réprimer et/ou interdire toutes les manifestations. Ce rapport, en revanche, se montre peu regardant sur les pratiques perpétrés par les dirigeants marocains. Les manifestations pacifiques sont en effet au nombre de plusieurs dizaines et non pas de quatre comme le prétend ce rapport. Le rapport mentionne en revanche l’emprisonnement des manifestants pacifiques. Cela, avant d’enchainer sur les journalistes embastillés à cause de leurs idées ou de leur travail à l’image de Souleimane Raissouni et Omar Radi. Les sujets qui osent les soutenir ou leur porter secours risquent de très sèves représailles. « Arrêté en juin après avoirparticipé à un rassemblement pacifique desoutien aux journalistes emprisonnés OmarRadi et Soulaimane Raissouni, ce défenseurdes droits humains avait été inculpéd’« insultes aux institutions constitutionnelles, aux principes et aux symboles du royaume »,de « dénonciation de crimes fictifs » etd’ « atteinte à l’autorité judiciaire ». en tous cas, ce n’est pas Club-med dans les sinistres geôles de Mohamed VI. « Des personnes ont été détenues dans des conditions extrêmement dures, notamment avec un placement à l’isolement prolongé et pour une durée indéterminée, en violation de l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements. Le journaliste Soulaimane Raissouni, rédacteur en chef du journal Akhbar Al Yaoum, était détenu à l’isolement depuis son incarcération, en mai 2020. En signe de protestation contre cette mesure, il a entamé le 8 avril une grève de la faim, à laquelle il amis un terme 118 jours plus tard ». et, comme mentionné au début de cet article, il est regrettable que cette ONG ait confondu les territoires sahraouis illégalement occupés avec le sol marocain. Dans ce qui va suivre, il sera question d’un prisonnier sahraoui, et non pas marocain même si le rapport ne le mentionne nulle part. la Patrie News a maintes fois évoqué le cas du journaliste sahraoui Mohamed-Lamine Heddi, privé de tous ses droits, jusqu’à celui de recevoir la visite de ses proches. « Condamné en lien avec la manifestation de Gdeim Izik, Mohamed Lamine Haddi était détenu à l’isolement depuis 2017. En mars, des surveillants pénitentiaires ont mis un terme à la grève de la faim qu’il observait pour protester contre les mauvais traitements dont il faisait l’objet : ils l’ont nourri de force, ce qui est considéré comme un acte de torture au regard du droit international ». Et d’évoquer en quelques mots à peine le cas emblématique de l’égérie de la cause sahraouie Soltana Kheya. « Des membres des forces de sécurité ont fait irruption à trois reprises au moins en2021 au domicile de Sultana Khaya. Cette militante sahraouie a déclaré que, au cours de l’une de ces opérations, en mai, les agents des forces de sécurité l’avaient frappée et avaient tenté de la violer avec des matraques, et avaient brutalisé et violé sa sœur. Le 15 novembre, des membres des forces de sécurité se sont introduits chez elle, l’ont violée et ont agressé sexuellement ses deux sœurs et sa mère âgée de 80 ans ». voilà les seuls petits mots consacrés à cette martyre en train de se sacrifier pour défendre l’indépendance de son pays, le Sahara Occidental. Le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été renouvelé en octobre, mais comme les années précédentes il ne comportait pas de composante relative aux droits humains. Les organisations de défense des droits humains ne pouvaient toujours pas se rendre au Sahara occidental ni dans les camps du Front Polisario ». cette nécessaire extension de la surveillance du respect des droits humains représente la principale pierre d’achoppement entre le Maroc et les instances onusiennes. Si les représentants de celle-ci sont libre de se rendre dans les camps de réfugiés, contrôlés par le front Polisario, il leur est en revanche toujours interdit de se rendre dans les camps de réfugiés. « Cette année encore, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux, des universitaires et des militant·e·s ont été réprimés dans l’exercice légitime de leur liberté d’expression. Sept personnes au moins ont été arrêtées et/ou traduites en justice pour des infractions liées à la liberté d’expression. L’universitaire et militant des droits humains Maati Monjib, qui était détenu à la prison El Arjat, près de Rabat, la capitale, a été remis en liberté provisoire le 23 mars. Sous le coup depuis octobre 2020 d’une mesure arbitraire d’interdiction de quitter le territoire, il n’a pu se rendre en octobre comme prévu en France, où il avait un rendez-vous médical et devait voir sa famille. Le journaliste indépendant Omar Radi, quine ménageait pas ses critiques à l’égard des autorités, a été condamné en juillet à six ans d’emprisonnement pour espionnage et viol, à l’issue d’un procès qui n’était pas conforme aux normes internationales d’équité. En particulier, il n’a pas pu exercer son droit de prendre connaissance de tous les éléments présentés contre lui et de les contester éventuellement. Les embastillements et harcèlements judiciaires sont légions au royaume de Mohamed VI. Le rapport ne mentionne pas par contre la fabrication de fausses preuves infamantes pour détruire socialement, professionnellement et médiatiquement tous ceux qui osent tenir tête à ce régime totalitaire. Et de finir en beauté, si cette formule ironique nous était permise, avec le scandale Pegasus : « En partenariat avec la coalition Forbidden Stories, Amnesty International a révélé en juillet que les autorités marocaines avaient largement fait usage du logiciel espion de surveillance Pegasus mis au point par l’entreprise NSO Group. L’outil de surveillance a été utilisé contre des journalistes, des militant·e·s et des personnalités politiques de nationalité française et marocaine. Les appareils d’Hicham Mansouri, journaliste marocain vivant en exil en France, de Claude Mangin, l’épouse de Naama Asfari, militant sahraoui emprisonné au Maroc, et de Mahjoub Maliha, défenseur sahraoui des droits humains, ont été infectés par le logiciel Pegasus, en violation des droits de ces personnes au respect de leur vie privée et à la liberté d’expression ».
Mehdi Ghayeb