Samir Rouabhi, expert en TIC à la Patrie news : « Les réseaux sociaux ont favorisé l’émergence de candidats …. »
La Patrie news : De très nombreux candidats aux élections locales font campagne sur les réseaux sociaux. Pourront-ils toucher un maximum d’électeurs sur les espaces virtuels ?
Samir Rouabhi : La politique est un métier. La communication est un autre métier et internet est également un métier. Il n’y a absolument aucune place pour l’amateurisme dans aucun d’eux. Celui qui est incapable de se construire une image forte et de vendre son image et son programme dans le monde réel, aura infiniment plus de problèmes à se faire valoir dans le monde virtuel, qui a en plus ses propres codes, ses propres techniques et ses propres méthodes. On ne peut pas se mettre au virtuel pour contourner les difficultés du monde réel. L’affaire Cambridge Analytica nous a montré ce qu’on peut faire en poussant les techniques d’optimisation du web à leur paroxysme : manipuler les foules et influencer les résultats du vote.
Mais sans aller jusque-là, la communication dans le virtuel a vraiment ses propres codes : c’est une relation directe, entre un citoyen et ses représentants. Pas de place aux faux-semblants. Peu de place aux communiqués officiels et à la communication institutionnelle. Et à l’inverse, le virtuel favorise la spontanéité, le langage simple au détriment du langage formel, le contenu à fort potentiel viral, voire même le contenu polémique. Nous avons vu comment le Président Trump tenait son audience en haleine dans l’attente de son prochain tweet. Le graal de la communication dans les réseaux sociaux c’est la viralité. Mais c’est également son cauchemar : on peut aisément imaginer combien de fois a été partagée la fameuse phrase Entre viralité et contenu polémique, le scandale n’est jamais très loin. Il est également nécessaire de maîtriser et de jongler avec les différents types de contenus et de médias et les utiliser à bon escient : photo, phrase choc, phrase humoristique ou polémique, live interactif, podcast, infographie commentée et sourcée, citation appropriée, commentaire circonstancié de l’actualité…
Le plus grand exemple de l’art du tweet en dehors du monde politique vient de l’entrepreneur américain Elon Musk qui arrive à manipuler le monde du business et le monde des médias avec ses tweets mystérieux. Il a même organisé récemment un sondage sur le fait, oui ou non, il va vendre des actions tesla pour payer ses impôts. Il voulait de cette manière illustrer aux citoyens américains qu’il paye ses impôts.
La majorité des candidats sont des inconnus. Ils mettent, sur les médias sociaux, leurs portraits, des slogans. Est-ce suffisant pour capter des voix ?
Comme je vous l’ai déjà dit, nous sommes ici aux confluences de deux arts majeurs : la communication politique et la technologie. Réussir sa campagne électorale nécessite de maîtriser les deux. Ce qui était nécessaire dans le monde politique d’hier (avoir un programme et des soutiens, savoir communiquer, soigner son image et être capable d’empathie…) le reste aujourd’hui. En plus il est nécessaire de maîtriser l’outil technologique, ses techniques et ses codes. Les réseaux sociaux marchent par capillarité. Une réputation se construit de proche en proche. Ceci si on ne compte que sur le référencement naturel. En clair, une personnalité publique doit avoir un noyau dur d’adhérents très motivés et très actifs. C’est par eux et à travers eux que s’étendra le cercle d’influence : si votre meilleur ami ou un contact proche interagit énormément avec une personnalité en likant, commentant et partageant ses posts, cette personnalité va finir par se retrouver parmi vos suggestions et ainsi de suite. L’audience d’un candidat peut naturellement s’étendre. Mais construire son réseau de la sorte est très lent et ne se fait pas à deux semaines d’échéances importantes. Il est alors possible d’utiliser l’argent pour accélérer l’acquisition de fans avec de la publicité. Ce qui s’appelle le référencement payant. Outre le fait qu’il soit extrêmement difficile de faire cela chez nous, Facebook a fini par interdire la publicité politique sous prétexte que l’on ne peut acheter de la réputation avec de l’argent et qu’il est malsain de faire émerger des idées grâce à l’argent. La vraie raison est le grand nombre de casseroles médiatiques qu’il traine et qui ont fini par nuire à son image et lui valoir des procès. Il faut alors utiliser d’autres moyens pour faire émerger ses idées politiques : les groupes de discussion, les influenceurs… Cela dit, les réseaux sociaux et la communication non conventionnelle ont favorisé l’émergence de candidats en dehors des blocs traditionnels. On peut désormais et grâce aux nouvelles technologies, se passer du soutien de partis politiques et émerger sans eux, à condition de maîtriser parfaitement les codes de ce nouveau moyen de communication et de se baser sur ses propres qualités, sa capacité à former une communauté puissante autour basée sur les rapports directs avec les citoyens. Nous en sommes certainement très loin mais il faut un début à tout.
Propos recueillis par Soulef Biskri