Stratégie Numérique en Algérie : Les Ambitions de Tebboune Face aux Défis Structurels
Par Abdelkader Reguig *
« Les entreprises émergentes sont un pilier de l’économie nationale, d’autant qu’elles s’appuient sur des technologies de pointe, telles que l’intelligence artificielle, qui permettent l’innovation et la performance. »
Le Président Abdelmadjid Tebboune
Un constat d’urgence : Entre Retards et Volonté Politique
Dès 2008 et 2010, deux congrès internationaux sur les TIC, organisés par l’Union Nationale des Scientifiques et Technologues Algériens (UNSTA), alertaient sur le retard algérien dans la concrétisation d’une stratégie numérique ambitieuse. Malgré des engagements politiques symboliques, comme au SMSI de Tunis en 2005, la mise en œuvre demeure fragmentaire. En 2023, avec un taux de pénétration internet de 63 % (Banque Mondiale) et un secteur numérique ne contribuant qu’à 4 % du PIB, l’Algérie peine à rivaliser avec des voisins tels que la Tunisie, dont les technopôles génèrent 15 % des exportations technologiques.
Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président Tebboune a placé la numérisation des administrations au cœur de ses priorités. Considérée comme un levier essentiel pour moderniser l’État, garantir la transparence et améliorer les services publics, cette vision se heurte néanmoins à des blocages structurels qui suscitent aujourd’hui l’impatience du chef de l’État.
Tebboune et la Numérisation : Une Vision, des Obstacles
La numérisation est inscrite dans le cadre des priorités de l’État algérien, présentée comme un mécanisme clé pour l’édification de l’« Algérie nouvelle ». Le président Tebboune n’a cessé de marteler que ce processus est « inévitable », insistant sur l’impératif de réduire les délais de sa généralisation pour « épargner au citoyen les déplacements entre les services administratifs ».
Pour accélérer cette transformation, le Haut-Commissariat à la Numérisation a été créé en 2022, chargé de piloter la stratégie nationale, d’évaluer les réalisations sectorielles et de proposer des correctifs. Cependant, lors du dernier Conseil des ministres, Tebboune a exprimé une « nervosité palpable » face au retard dans l’interconnexion des données entre les ministères. Il a exigé un rapport circonstancié sur le taux de connexion des secteurs ministériels et l’avancement du Centre de données national (Data Center), projet phare confié au consortium chinois Huawei.
Ce blocage technique et bureaucratique illustre les défis persistants : lenteurs administratives, manque de coordination interministérielle et résistances au changement. Pourtant, le Data Center, dont la livraison est jugée stratégique, doit permettre l’hébergement local des données sensibles, renforçant la souveraineté numérique et la coopération algéro-chinoise.
Technopôles : Un Potentiel Sous-Exploité
Le pays dispose pourtant d’atouts majeurs : 12 000 diplômés annuels en STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques), dont 30 % sont au chômage. Les recommandations de l’UNSTA préconisaient la création de technopôles spécialisés, inspirés de modèles comme Suzhou en Chine (chiffre d’affaires dépassant 100 milliards de dollars) ou du Rwanda, où Kigali Innovation City a attiré 500 millions de dollars d’investissements. Ces hubs pourraient catalyser des secteurs clés : IA, biotechnologies, énergies renouvelables, et agroalimentaire 4.0.
(L’objectif de l’agroalimentaire 4.0 est d’améliorer la qualité, la sécurité et la durabilité des produits alimentaires, tout en réduisant les coûts et en augmentant la compétitivité des entreprises agroalimentaires.)
Infrastructures et Coopération Panafricaine : Le Paradoxe Algérien
Le projet de câble en fibre optique Alger-Abuja, opérationnel depuis 2022, illustre l’ambition régionale de l’Algérie. Avec un débit de 100 Tbps, il réduit les coûts d’accès internet de 40 % pour les universités africaines. Pourtant, le pays peine à capitaliser sur cet atout : seules 10 % des PME utilisent des solutions cloud, contre 65 % en Tunisie (UIT 2023).
Nouvelles Données, Nouveaux Défis
– Financement : Le plan « Smart Algeria 2025 » prévoit 1,2 milliard de dollars pour la digitalisation des services publics, mais les start-up locales ne captent que 2 % de ces fonds.
– Écosystème : L’Algérie compte 200 start-up tech, contre 3 000 en Tunisie. Un cadre fiscal attractif (exonérations d’impôts sur 8 ans) et des incubateurs publics (Algeria Venture) pourraient inverser la tendance.
– Diaspora : Les 45 000 experts algériens à l’étranger représentent un réservoir de compétences. Le réseau « TechAlgérie Connect » a permis le transfert de 50 projets innovants depuis 2020.
Recommandations Stratégiques : Urgence d’Agir
1. Créer un Ministère de l’Innovation
pour coordonner technopôles et investissements.
2. Renforcer les liens universités-entreprises : Seuls 8 % des chercheurs collaborent avec l’industrie (contre 35 % en Malaisie).
3. Adopter une loi sur les données ouvertes. pour stimuler l’IA et la e-gouvernance.
Conclusion : L’Heure des Choix
« Le monde de demain sera numérique »: cette prophétie, rappelée par des experts algériens de la diaspora, exige une action rapide. Les technopôles spécialisés dans des domaines critiques (défense, souveraineté technologique) et la modernisation réglementaire pourraient propulser l’Algérie dans le top 50 des économies numériques d’ici 2030. Mais chaque année de retard coûte 2,5 % de croissance potentielle (Forum Économique Mondial).
Le Président Abdelmadjid Tebboune, conscient de l’enjeu, doit désormais transformer la pression en accélérateur.
Comme le souligne Elon Musk : « L’échec est une option ici. Si les choses n’échouent pas, vous n’innovez pas assez. »
Abdelkader REGUIG
Président de l’Ordre des Ingénieurs Experts Arabes (ORAREXE). Genève, Suisse
Email : orarexe@gmail.com