Tahar Zbiri : les raisons de la déroute
Les accrochages entre les forces loyales et les troupes commandées par le chef d’état-major se sont vite élargis pour s’étendre à toute la zone allant de Mouzaïa, à l’ouest, jusqu’à El-Afroun, à l’est. Au début, les combats étaient à armes égales, puisque les belligérants ont fait usage d’armes légères et lourdes, et échangé des tirs de mortier. Le rapport de forces commence à changer en faveur des loyalistes suite à l’intervention de l’aviation.
Certains témoignages parlent de l’implication d’avions de fabrication soviétique, de type Mig 15 et 17, conduits par des pilotes russes, chargés de former les pilotes algériens, qui auraient été mobilisés pour bombarder intensément et aveuglément les troupes insurgées, au point d’atteindre par erreur des civils.
Ainsi, les tirs de l’aviation ont sérieusement atteint le bataillon blindé, dont 9 chars furent détruits, et tuant plusieurs soldats. Des renforts ont été appelés pour attaquer les rebelles à partir du sud-est. De violents combats ont lieu notamment dans la forêt située entre El-Afroun et Mouzaïa, et qui était réputé pour ses reliefs escarpés.
Le soir même, le colonel Zbiri se rend en compagnie de Lakhdar Bouragaa à El-Afroun, pour s’enquérir de la situation de ses hommes après cette grande bataille. Il les trouve complètement déconfits : un grand nombre d’entre eux étaient arrêtés, les autres encerclés. Le commandant Ammar Mellah et les chefs de bataillons lui dressent un état des lieux détaillé.
D’emblée, ils justifient l’incapacité des troupes à atteindre leur objectif à Blida, par l’obstruction par les troupes pro-Boumediene du pont Bouroumi avec des véhicules, et aussi par l’intervention de l’aviation de guerre qui avaient bombardé leurs positions. A cela s’ajoutaient le non-acheminement des munitions et le manque de carburant dans les tanks. Cela ne prouve-t-il pas suffisamment le degré d’impréparation de ce mouvement ?
Dans la foulée, Tahar Zbiri découvre que 9 éléments du bataillon blindé commandé par le lieutenant Layachi Houasnia, qui était la force de frappe du mouvement, était durement affecté, et dont 9 éléments étaient tués dans les combats.
A ce moment-là, le chef donne instruction aux troupes de s’approcher de Hammam Righa, où il y avait un dépôt d’armes, et pour se positionner dans les montagnes en attendant les ordres. A vrai dire, le chef d’état-major espérait toujours recevoir, dès le lendemain matin, l’appui des chefs de région militaire, et notamment de Mohamed- Salah Yahiaoui, du colonel Abbas, d’Abderrahmane Bensalem, et même aussi de Chadli Bendjedid, mais en vain. Les unités militaires dans les Aurès et les autres chefs militaires qui lui avaient promis de mobiliser leurs troupes s’étaient rétractées après la bataille d’El-Afroun. Pire encore, le commandant Bendjedid n’hésita pas à lancer deux bataillons au champ de bataille, du côté ouest d’El-Afroun, contre les troupes rebelles. Ce que fera aussi le commandant Belhouchet, qui était à la tête de la 5e région militaire (Constantine), en envoyant deux bataillons par avions qui avaient atterri à l’aéroport militaire de Boufarik dès le deuxième jour de la confrontation, pour venir à la rescousse des troupes de Boumediene.
Tahar Zbiri s’impatient aussi de voir se déclencher des manifestations et des protestations populaires contre le pouvoir de Boumediene dans la capitale et dans les autres grandes villes. Car, cela aurait pu permettre aux rebelles de négocier avec Alger en position de force. Mais le plan a fait pschitt.
Acculées et épuisées, les troupes de Thar Zbiri ont réussi à se revigorer dans une ancienne caserne du temps colonial à Hammam Righa, transformée à l’indépendance en dépôt d’armes, de munitions et de carburant. Au même moment, une autre bonne nouvelle est venue rehausser le moral des troupes : deux des officiers de l’Ecole militaire de la défense aérienne (DCA) de Reghaïa, proches de Tahar Zbiri, avaient réussi à prendre le contrôle de l’école qui contenait des missiles contre-avions de type « terre-air » et d’autres missiles de type « terre- terre ». Autre petite victoire pour les troupes rebelles : celles-ci ont réussi à enlever un convoi d’armement, de munitions et de carburant, qui se dirigeait vers le camp de l’armée régulière, mais s’était trompé de destination pour tomber entre les mains des insurgés.
Dans la nuit du 14 décembre, les bataillons sous la conduite des lieutenants Maammar Kara, Ammar Mellah, décident de se replier, essentiellement vers la caserne de Koléa. A l’aube du 15 décembre, les troupes rebelles –ou ce qui en restait – étaient complètement assiégées. L’annonce de la mort du commandant Saïd Abid, chef de la première région donnera le coup de grâce à cette équipée du colonel Zbiri et ses hommes, mettant ainsi fin à toute possibilité de faire pression sur Boumediene pour l’amener à négocier, après avoir été trahis par les chefs d’autres régions et aussi par l’UGTA.
S’agissant du bilan final de cette guerre fratricide, certaines sources avancent le chiffre de 30 morts et de 130 blessés. Mais aucune statistique officielle n’a été publiée à ce sujet.
Le colonel Zbir se rend compte enfin qu’il n’était plus possible de vaincre Boumediene dans une confrontation ouverte, ni même de le contraindre à négocier dans de telles conditions, surtout que les alliés et les partisans commençaient à se démarquer dès la première déroute.
L’issue de cette déroute est connue : Tahar Zbiri est extradé vers les Aurès, sa région natale, où il est traqué inlassablement par la police et les services de Kasdi Merbah. La plupart de ses hommes furent arrêtés durant la même période. Au même moment, le 7 juillet 1968, un de ses anciens adjoints, le commandant Ammar Mellah, commet une tentative d’assassinat contre le Président Boumediene. Zbiri s’en lave les mains, et avoue n’avoir aucun lien avec cette affaire.
Acculé et craignant pour sa vie, le chef de la rébellion passe la frontière et rejoint la Tunisie. Puis, il s’exile en Suisse, où il rencontre notamment Hocine Aït Ahmed et Krim Belkacem. Après un bref passage en France, où il approche d’autres opposants politiques, il décide de s’installer au Maroc. Il rentre définitivement au pays, après la mort de Boumediene, survenue le 28 décembre 1978. Il a choisi la date symbolique du 1er novembre (1979), pour annoncer son retour au bercail.
Tahar Zbiri reconnaîtra à la fin que le but du mouvement du 14 décembre n’était pas de « renverser » Boumediene, mais plutôt de l’amener à restaurer la légitimité.
In MÉMORIA