Témoignage du dernier journaliste à avoir quitté l’immeuble dédié à la presse à Ghaza : « Je pensais ce bureau intouchable ! »
Le monde à l’envers pour un reporter. Fares Akram raconte cet évènement dans un long billet sur le site de son agence de presse, AP.
« Il était 13h55, samedi [15 mai] : après avoir travaillé sans aucune pause depuis la veille, j’avais décidé de m’accorder une sieste au bureau et ce sont les cris de mes collègues qui m’ont réveillé ».
À ce moment-là, Fares Akram ne sait pas que l’armée israélienne va bombarder l’immeuble où se trouve son agence. Tout ce qu’on lui dit, c’est qu’il faut partir, et qu’il a 10 minutes. Alors surgit la question : de quoi a-t-on besoin quand on va quitter un lieu à tout jamais ? Qu’est ce qui est important dans un bureau ?
Lui a pris son ordinateur de reportage, son chargeur évidemment, et puis quoi ? Que prendre d’autre ? « J’ai regardé ce bureau qui était le mien depuis des années, les Post-it, les petits mots accrochés au mur d’amis, de proches, de collègues, les photos aussi. J’ai pris celle avec ma famille, une tasse offerte par ma fille, le petit certificat marquant mes années d’ancienneté chez AP, et je suis parti ».
S’en est suivi une longue course, casque sur la tête et sac chargé, à descendre à pieds les onze étages de la tour par l’escalier de secours pour aller jusqu’au parking.
Sa voiture est la dernière sur place. Il est 14 heures, Fares Akram jette tout dans le coffre et sort en trombes de l’immeuble, filant le plus loin possible. Il tombe sur ses collègues, hagards, comme lui.
Et soudain, les frappes. Une petite, puis trois plus massives, tirées par des F16. La fumée qui monte, le ciel qui tremble, l’immeuble qui s’effondre et laisse à sa place un linceul de poussière.
Fares Akram a déjà vu cette scène des dizaines de fois, sa propre maison a d’ailleurs été réduite à néant la veille. « Mais ce bureau de presse, dit-il, je le pensais intouchable, sacro-saint. Maintenant il n’est plus, et il me faut passer à autre chose parce que nous, journalistes, nous ne sommes pas le sujet, notre priorité, ce n’est pas nous, c’est de raconter le quotidien des gens, des autres. Et il y a beaucoup à faire ».
Alors il a regardé une dernière fois les gravats, et puis il est reparti, dans les rues de Gaza. « Parce que, quoi qu’il arrive, quand le monde tremble, conclue-t-il, c’est à nous de le décrire », autrement dit de porter les voix de ceux qui n’en ont pas.
A.O