Tunisie, dix ans après la Révolution du « Jasmin » : Que d’illusions
Le 14 janvier 2011, la famille Ben Ali fuyait la Tunisie, ouvrant la porte à une vague d’aspirations démocratiques dans tout le monde arabe. Dix ans plus tard, le bilan de ces soulèvements est très contrasté.
« Automne islamiste », « hiver djihadiste » : ce sont encore les métaphores choisies pour lui faire écho qui soulignent le mieux l’échec relatif et l’espoir déçu de ce que l’on a appelé le Printemps arabe.
Mohamed Bouazizi en avait assez de la misère et de l’autoritarisme présents en Tunisie. Si bien que ce 17 décembre 2010, après une énième brimade policière, le jeune marchand ambulant a décidé de s’immoler par le feu en signe de protestation. Un geste qui allait être le point de départ des printemps arabes.
Véritable étincelle à l’origine de l’embrasement de la région, la Tunisie est également le pays qui a le mieux digéré les événements.
Après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, plusieurs gouvernements de transition se sont succédés.
Mais depuis dix ans, « la transformation économique n’a pas débuté ».
Le chômage en Tunisie est toujours très élevé (15%) principalement chez les jeunes. Partout, le taux de chômage des diplômés bat des records.
La croissance est bien trop faible pour générer de l’emploi.
Le pays est de nouveau dans la tourmente. La contestation populaire est de retour.
Le bras de fer en cours depuis six mois entre le chef du Parlement Rached Ghannouchi – aussi chef de file du principal parti au pouvoir, Ennahdha – et le président Kais Saied, a pris une tournure inattendue dimanche soir : La fin d’une paralysie du gouvernement tunisien et d’une désorganisation des pouvoirs publics.
«Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’Etat et le peuple tunisien», a déclaré Kais Saied à l’issue d’une réunion d’urgence au Palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité. «Nous traversons les moments les plus délicats de l’histoire de la Tunisie», a ajouté le chef de l’Etat. «Ce n’est ni une suspension de la Constitution ni une sortie de la légitimité constitutionnelle, nous travaillons dans le cadre de la loi», a-t-il assuré, précisant que ces décisions seraient publiées sous forme de décret. Dans un communiqué publié sur Facebook, la présidence a ensuite précisé que le gel du Parlement était en vigueur pour 30 jours.
Cette annonce fait suite à des manifestations dans de nombreuses villes du pays dimanche, en dépit d’un important déploiement policier pour limiter les déplacements.
Les milliers de protestataires ont notamment réclamé la «dissolution du Parlement» et ont crié des slogans hostiles à Ennahdha et au Premier ministre Mechichi qu’elle soutient. «Changement de régime», était-il également inscrit sur des pancartes. Des locaux et symboles d’Ennahdha ont été pris pour cible.
Des appels à manifester le 25 juillet, jour de la fête de la République, circulaient depuis plusieurs jours sur Facebook, émanant de groupes non identifiés. Ils réclamaient entre autres un changement de Constitution et une période transitoire laissant une large place à l’armée, tout en maintenant le président Saied à la tête de l’Etat.
De nombreuses questions demeurent
A ces problèmes de gouvernance s’ajoute l’impopularité du Parlement en proie aux conflits et à la violence politique depuis les élections de 2019. Lors de manifestations contre le pouvoir qui ont eu lieu dimanche dans le pays, de nombreux slogans réclamaient sa dissolution.
La mosaïque de partis qui le compose et les désaccords autour de la personnalité clivante de son président, le leader du parti islamo-conservateur Ennahda, Rached Ghannouchi, ont accentué les problèmes au sein de l’Assemblée.
Rached Ghannouchi a qualifié de « coup d’Etat « les décisions de Kaïs Saïed. Dimanche soir, il n’a pas pu entrer au Parlement, empêché par l’armée qui a été aussi déployée devant le siège de la télévision nationale, plusieurs institutions et l’avenue Habib-Bourguiba, épicentre de la révolution de janvier 2011. Kaïs Saïed s’y est, lui, rendu tard dans la nuit pour réaffirmer face aux médias que ses décisions étaient «constitutionnelles «.
Malgré les scènes de liesse dans les rues tunisiennes, et la popularité dont jouit le président, élu avec 72 % des suffrages en 2019, de nombreuses questions demeurent à l’issue de cette nuit théâtrale.
Les experts divergent sur l’interprétation de l’article 80 de la Constitution invoqué par Kaïs Saïed pour prendre ces mesures spectaculaires.
Cet ancien enseignant de droit se pose souvent en garant de la Constitution tunisienne, en l’absence d’une Cour constitutionnelle, jamais mise en place dans le pays jusqu’à aujourd’hui du fait des blocages politiques.
Or, le texte ne détaille pas les mesures d’exception ayant pour objectif « de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics «.
Lundi matin, une apparence de normalité régnait dans les rues de Tunis, hormis le sit-in auxquels se livraient le président du Parlement et quelques députés devant le palais du Bardo. La nuit a été longue en Tunisie, les jours à venir le seront encore plus face à l’imbroglio institutionnel.
Dj. Am/Agences