Boumediene : un azharite à la tête de l’armée
(1er Partie)
Lorsque, étudiant à El-Azhar au début des années 1950, il fit connaissance avec les militants nationalistes des différents courants (MTLD, Ouléma…), rien ne le prédestinait, à l’apparence, à une carrière qui le propulsera à la tête de l’armée de son pays en si peu d’années. Son intelligence, sa ténacité et sa perspicacité précoces sont ses principaux atouts. Son penchant pour les études militaires et ses premières prises de contacts avec le créateur des services spécialisés de l’ALN, Abdelhafid Boussouf, feront le reste.
Avant de connaitre une ascension fulgurante au sein de l’Etat-major de l’ALN, à partir de 1959, Boumediene s’est illustré à l’état-major de la wilaya V (l’Oranie) qui était le vivier de militants nationalistes originaires, comme lui, de l’Est du pays. D’ailleurs, c’est aux côtés de Boussouf, successeur de Larbi Ben M’hidi à la tête de cette wilaya frontalière et dont il était le bras droit, qu’il fit ses premières armes et qu’il forgea une réputation d’organisateur hors pair qui charma les dirigeants de la Révolution et lui permettra de gravir très rapidement les échelons jusqu’à atteindre le commandement de l’Etat-major général, avec le grade de colonel.
C’est ainsi que le colonel Boumediene (qui ne s’appellera pas encore Houari Boumediene), de son vrai nom Mohamed Boukharouba, devient le véritable architecte de l’armée algérienne hors des frontières. Mais il n’aurait pas réussi sa «percée» sans l’aide et le soutien d’une panoplie d’officiers aguerris de l’ALN, avec qui il s’appuya durant les trois années qui précédèrent la proclamation de l’Indépendance, pour restructurer les unités de l’armée stationnées en Tunisie et au Maroc et, surtout, pour faire face à ses nombreux adversaires au sein du gouvernement provisoire et du CNRA, et pour arracher la direction de l’armée au Comité interministériel de guerre (CIG), dirigé par le puissant triumvirat : Krim-Tobbal-Boussouf qui avait jusque-là le contrôle de toutes les affaires militaires et de la guerre.
Le clash qu’il provoqua avec le GPRA, à la suite de la fameuse histoire du pilote français arrêté par ses hommes sur le sol tunisien, le mettra au-devant de la scène politique, et c’est ce conflit qui sera, plus tard, à l’origine de la crise de l’été 1962, qui déterminera le sort de l’Algérie indépendante. Les lectures divergent sur le poids des responsabilités dans cette grande discorde, entre ceux qui estiment que l’Etat-major général de l’ALN (EMG), sous le commandement du colonel Boumediene, s’est comporté en armée de «putschistes» contre une autorité légitime, le GPRA, et ceux qui, parmi les partisans de l’EMG qui pensent, au contraire, que «la fermeté» avec laquelle l’Etat-major général a agi face à la direction politique aurait évité à l’Algérie combattante la persistance des luttes intestines et des «engagements ambigus», selon eux, des dirigeants politiques lors des négociations d’indépendance. Chaque camp brandit des arguments pour justifier sa position. Les plus neutres diront que c’était surtout l’absence d’une force d’arbitrage, à cette époque, qui aurait conduit vers une situation aussi inextricable et qui aurait favorisé, à la fin, l’arbitrage des armes.
Au-delà des facteurs objectifs qui ont été déterminants dans cette situation de conflit entre le GPRA et l’armée des frontières, il faut aussi tenir compte, insistent les historiens, de la personnalité du chef de l’armée, le jeune colonel Boumediene, qui, dès le départ, avait montré qu’il ne voulait guère se contenter des rôles secondaire dans la conduite de la guerre. Celui-ci attendait le moment opportun pour défier la direction politique et se placer, du coup, comme acteur incontournable dans la prise de décision, avant de prendre le contrôle du pouvoir absolu.
Cala dit, les avis sont unanimes à reconnaitre à cet homme ses prouesses en matière d’organisation et de structuration de l’ALN à l’extérieur du pays. Ainsi, à la création d’un état-major unifié, en janvier 1960, sous la houlette du colonel Boumediene, la Révolution se voit dotée d’une armée organisée, bien entrainée et bien équipée, composée de 23 000 hommes, dont 15 000 en Tunisie et 8 000 au Maroc. Ce chiffre avoisine le nombre de maquisards structurés au sein des troupes de l’ALN de l’intérieur, estimées à 20 000 moudjahidine, mal équipés et largement épuisé par les années de guerre. L’un de ses détracteurs les plus farouches, Benyoucef Benkhedda, ex-président du GPRA, dans on livre-témoignage, La Crise de l’été 1962, estime que toute la mobilisation de l’EMG était destinée à préparer la prise de pouvoir. «Alors que des tonnes d’armement, écrit-il, s’amoncelaient aux frontières tunisienne et marocaine grâce à l’action diplomatique du GPRA, le chef de l’EMG (le colonel Boumediene, NDLR) demandait encore du renfort, jusqu’à 10 000 hommes (c’était en 1960). » Et de s’interroger : «Envisageait-il déjà à cette époque la prise du pouvoir ?»
Arrivé à Alger, à la tête de ces bataillons, après avoir mis en échec les troupes des wilayas qui avaient essayé de résister à son avancée, en appui au mot d’ordre du GPRA, Boumediene aurait pu s’introniser ce jour-là à la tête du pouvoir, comme l’ont fait des chefs militaires de tant de révolutions du Tiers-Monde, à cette époque, mais il a préféré appuyer la démarche du Bureau politique qui comptait, en son sein, des chefs politiques de grande envergure, tels que Ben Bella, Khider et, au début, Boudiaf. Il a choisi de s’occuper de la construction d’une armée moderne ; un projet auquel il s’est attelé avec passion et rigueur. A la tête du ministère de la Défense pendant trois ans, il eut à assumer de lourdes tâches, à une époque où des pays voisins, comme le Maroc, affichaient déjà des ambitions expansionnistes néfastes (la guerre des sables de 1963). Il devait aussi faire face à la déstabilisation interne, avec la montée des rébellions armées en Kabylie (FFS, 1963) et au Sahara (le colonel Chaabani).
Le 19 juin 1965, Boumediene fera intervenir l’armée une dernière fois pour déposer le président Ben Bella et mettre ainsi un terme à ce qu’il considérait comme «une dérive despotique» qui menaçait le pays.
… à suivre
In Memoria