Chaque année ils quittent l’Algérie par centaines : Les médecins fuient des conditions de travail déplorables
Ce matin, Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), jette un pavé dans la mare.
« Près de 1200 médecins algériens de différentes spécialistes s’apprêtent à quitter l’Algérie pour la France pour travailler dans ses hôpitaux ». L’information a aussitôt enflammé les réseaux sociaux.
Pourtant, elle n’est pas si inédite. Chaque année, des centaines de médecins algériens, majoritairement spécialistes, réussirent haut la main les épreuves de vérification de connaissances (EVC), qui leur ouvrent le droit d’exercer, pendant deux ans sous le statut de praticiens associés, dans les hôpitaux publics français.
Ils seraient environ 15000 à être déjà en poste, dans les hôpitaux de Paris ou de Marseille essentiellement.
En automne dernier, le SNPSP avait tiré la sonnette d’alarme sur la perte importante du personnel médical dans le secteur public au profit des cliniques privées et au-delà des hôpitaux étrangers. Il a donné un chiffre édifiant : sur les 50 000 médecins spécialistes formés durant les 20 dernières années, uniquement 14 000 continuent d’exercer dans les structures sanitaires gérées par l’Etat.
13 000 sont partis au privé. Le reste a pris le chemin de l’exil. Pourquoi partent-ils donc si massivement ?
Ils fuient des conditions socioprofessionnelles déplorables, aggravées par un statut particulier discriminatoire et désavantageux.
Après 7 à 12 ans d’études supérieures, les médecins généralistes ou spécialistes sont soumis obligatoirement au service civil d’une durée d’une année dans une région du sud à quatre ans dans l’une des villes du nord, avant d’obtenir leurs diplômes définitifs.
Une contrainte qui retarde le décollage de leurs carrières au delà des trente ans. Dans le secteur public, les salaires sont, de surcroît, démotivants. Une étude réalisée en 2020 par un chercheur en économie de santé du CREAD (Centre de recherches en études appliquées et de développement) a révélé les rémunérations du corps soignant. Un médecin généraliste perçoit un salaire net d’environ 80.000 dinars et un spécialiste au rang de professeur approximativement 186.000 dinars.
C’est largement sous-estimé après une formation universitaire très longue.
Le milieu professionnel n’est pas, en outre, favorable à l’épanouissement et à la progression de la carrière. Les hôpitaux manquent de moyens. Leur conception pavillonnaire ne permet pas l’optimisation des plateaux techniques et une prise en charge multidisciplinaire des patients.
Les médecins algériens sont presque dans les conditions d’une médecine de guerre, qui les exposent à la violence des proches des patients, dépités par une prise en charge aléatoire.
Le chef de l’Etat a instigué, en 2020, une loi les protégeant des agressions, dans l’enceinte des hôpitaux. Chaque année, les concours d’accès aux grades supérieurs et à la chefferie de services hospitaliers font apparaître des anomalies autant dans les critères que dans les résultats.
Malgré cette déshérence et la non satisfaction de leurs revendications posées depuis des années, les blouses blanches ont affronté stoïquement et héroïquement la pandémie au Covid-19.
Pendant plus de deux ans, elles ont combattu l’infection virale au péril de leurs vies (plus de 450 médecins emportés par le coronavirus dans l’exercice de leur métier).
« La patrie doit être reconnaissante à vie à l’armée blanche, comme on l’appelle, pour tous les sacrifices qu’elle consent actuellement. Cela va de l’ambulancier au médecin, en passant par l’infirmier», a déclaré le président de la République, Abdelmadjid Tebboune lors des assises nationales de la santé.
Pour marquer la gratitude de l’Etat, il s’est engagé à réviser les obsolètes statuts particuliers des médecins généralistes et des praticiens spécialistes, vieux de plus de dix ans. Il a promis aussi d’amender la loi portant service civile, dont la dernière mise à jour remonte à…1984.
Auparavant, il avait reconnu que les indemnités d’intéressement pour exercice dans le sud méritent d’être revalorisées. Il a institué, en outre, une prime Covid d’une valeur de 40000 DA au profit du corps médical. Cette dernière est, néanmoins, versée sporadiquement. Les autres orientations sont restées lettres mortes jusqu’à présent.
Le malaise s’approfondit dangereusement. Le 30 janvier 2022, une trentaine de praticiens de l’EPH Sidi Maamar à Khenchela ont déposé une démission collective, ne pouvant plus endurer « des décisions abusives, une mauvaise gestion sur plusieurs plans et la marginalisation du comité médical et des médecins chefs de services, ainsi que des changements intempestifs de postes ».
Six mois plus tôt, dix médecins exerçant dans l’hôpital Boudiaf «mère-enfant» de Béchar ont aussi démissionné pour protester contre « des conditions de travail qu’ils jugent intenables».
En mars 2021, neuf médecins généralistes ont renoncé à leurs fonction au sein d’un hôpital public à El Oued, pour «manque des équipements; favoritisme, conditions déplorables de travail et déficit en gents de sécurité»
Qui tire son intérêt du marasme ? Difficile à dire. En parallèle, le secteur public de la santé continue à se vider de ses compétences, qui partent peupler les déserts médicaux en France.
Soulef B.