Covid19 : des témoignages glaçants
Que dire et par quoi commencer ? Que la pandémie de covid19 sévit où bon lui semble, quand bon lui semble, tout le monde en parle.
Que les morts sont de plus en plus nombreuses, de même que les contaminations quotidiennes, bien plus nombreuses que les chiffres officiels, ces vérités nous effleurent à peine et s’en vont dans un nuage d’incompréhension et de déni de vérité.
Chacun de nous a eu des moments pareils, où l’incrédulité le dispute à la raison et où la rumeur repousse la science, toutes menées en bateau par une communication en dents de scies, tantôt portée par les médias privés ou publics, tantôt par les réseaux sociaux qui se sont imposés en l’absence d’une communication réelle en temps réel.
Mais, et malgré tout cela, la vérité est là, incontournable, mortelle, pouvant nous emporter à tout moment et en tous lieux. Pour repousser les démons de l’incrédulité ambiante et plurielle, pour crier la vérité à tous ceux qui doutent encore, pour clouer le bec (pardon) à tous ceux qui veulent nous tuer par ignorance ou par calcul, nous avons été à la rencontre de certains miraculés, des gens comme vous et moi, qui ont peut-être douté de la réalité, qui ont refusé de mettre un masque par bravade, qui n’ont pas appliqué les mesures de distanciation par « Rojla » idiote, afin qu’ils nous parlent de l’enfer qu’ils ont vécu.
J’en connais certains personnellement, d’autres par relation interposée, mais j’ai eu du mal à terminer avec eux une discussion que je croyais simple, mais qui s’est avérée brulante à entendre et qui, paradoxalement, m’a glacé le sang.
Yacine, une force tranquille terrassée par la covid19
Yacine, un peu plus de quarante ans d’âge, de forte corpulence et donnant l’impression d’une force tranquille difficile à abattre. Il a un magasin dans un endroit tranquille et ne reçoit pas beaucoup de monde, mais il n’a jamais porté de masque de protection, du moins en notre présence.
Il paraissait bien portant puis, soudainement, son magasin est resté fermé pendant plusieurs journées. Son voisin nous informa alors qu’il était à l’hôpital car il a été contaminé au covid19. Ce n’est que près d’un mois plus que nous l’avons retrouvé dans son magasin, amaigri, pâle et surtout pensif, il portait un masque de protection qui lui couvrait plus de la moitié du visage et n’a pas tendu la main, se contentant juste d’un « comment vas-tu ? ».
En vérité, entrer dans son magasin et lui parler a été plutôt difficile à exécuter car la peur était là, une peur viscérale qui ne voulait pas transparaitre, une peur de la mort que nous sentions toute proche. Nous n’avons pas voulu aborder la discussion sur sa maladie le jour même, c’eût été maladroit.
A la troisième visite, nous lui avons demandé de nous raconter sa maladie, ce qu’il fit avec entrain. « Tu sais, me répond-il, je suis mort et ressuscité. J’ai récité la Chahada des centaines de fois, je ne pensais plus que j’allais revoir la vie. Au début, j’avais quelques hésitations à croire en la gravité de cette maladie, je pendais que c’était juste une mauvaise grippe et que, peut-être, on nous mentait pour détourner notre attention des choses plus importantes de la vie sociale algérienne. J’avais aussi un peu le sentiment que j’étais assez fort pour y faire face, c’est peut-être pour cela que je ne prenais pas beaucoup de précautions. En tous les cas, je n’ai pas vu venir la maladie, je travaillais ici, comme tous les jours quand j’ai ressenti un frisson courir dans le dos et un serrement de la tête. Je n’y ai pas accordé beaucoup d’importance mais, au fil des heures, j’avais des sueurs froides et je me suis surpris en train de grelotter bien qu’il ne faisait pas froid. A la première toux, j’ai commencé à paniquer, quelque chose me disait que c’était peut-être la covid19 alors que l’autre moitié de mon cerveau repoussait cette idée. Le lendemain, quand je me suis réveillé, j’avais de grandes difficultés pour respirer, je toussais sans discontinuer, j’éternuais et j’avais un mal de tête terrible. Direction le médecin qui, dès qu’il me vit, s’éloigna, arrangea son masque et aspergea son cabinet avec du désinfectant. Il se contenta de me poser des questions et me dirigea directement vers la polyclinique où, déjà, des mesures de protection extrême étaient prises. On me fit porter une combinaison bleue qui m’étouffais plus, personne n’osait s’approcher de moi, je me sentais comme un pestiféré et je compris alors que je l’étais, peut-être pas pestiféré, mais covidé !
A partir de là, c’est le calvaire, la mort qui m’accompagnait même dans l’ambulance qui m’emmena à toute vitesse vers l’hôpital de Boufarik, était omniprésente, ma respiration était saccadé et je sentais des couteaux me transpercer le thorax. Je n’aspirais qu’à un peu d’air frais qui pénétrerait mes poumons éprouvés, je n’étais plus moi-même, j’étais juste des poumons qui souffraient, qui se déchiraient, qui brulaient de mille feux, j’avais autant envie que peur de mourir !!
Je ne sentais même plus les piqures des injections qu’on me faisait, je ne savais pas quel jour on était, ni s’il faisait nuit ou jour, j’étais ailleurs, sur une autre planète où il faisait trop froid et trop chaud en même temps. Je suis resté cinq jours dans cet état second, je ne me souviens pas si j’ai mangé ou pas, comment j’ai fait pour aller aux toilettes, je ne vivais que par mes poumons que je sentais en lambeaux, ma tête qui me faisait atrocement souffrir et ce mal qui me rongeais jusqu’à la moelle. Après une semaine de cette souffrance intenable, j’ai senti un peu d’air frais pénétrer pendant une seconde mes poumons éprouvés, j’ai ouvert les yeux pour voir où j’étais : le décor hospitalier, les plaintes des malades, les cris de souffrances, le bruit des respirateurs artificiels et les blouses bleues surmontées des casques de protection donnaient à l’endroit un cachet surréaliste, comme si nous étions quelque part sur Mars ou sur Neptune.
Après une dizaine de jours d’hospitalisation, je sentais mes forces revenir, mes yeux se rouvrir et mes poumons cesser de me bruler, j’étais enfin hors de danger, mais j’avais encore très peur, je savais que j’étais mort et ressuscité par la grâce de Dieu ».
Quand Yacine s’est tu, nous avions l’impression d’avoir fait un voyage dans l’au-delà, un voyage mortel et dangereux. Instinctivement, nous nous sommes éloignés de lui, nous reprenant de justesse pour ne pas prendre la fuite. Yacine nous expliqua ensuite qu’il a mesuré, tardivement, son manque de discernement, son incrédulité face à une vérité éclatante, sa ‘rojla’ déplacée et mal placée.
Il n’a pas manqué, à la fin, de lancer un appel pathétique à tous les algériens, à tout le monde, afin de ne pas jouer avec le feu, de respecter les gestes barrières : « s’il vous plait, croyez-moi, c’est une souffrance insupportable, vous allez mener un combat inégal contre la mort. Il faut vous prémunir vous, votre famille, vos enfants, vos amis avec des gestes simples, ne pas vous serrer la main, ne pas vous embrasser, vous tenir assez éloignés les uns des autres, prendre les précautions d’usage en vous lavant les mains fréquemment avec du savon liquide, c’est facile et cela va vous éviter de grandes pertes. Il ne faut pas oublier que c’est vraiment très sérieux ».
Nous reviendrons très prochainement avec d’autres témoignages poignants, sortis des viscères et … des poumons malmenés de pauvres bougres qui en ont réchappés, mais ….
A suivre
Tahar Mansour