Edito – Neutralité positive
Par Mohamed Abdoun
Lourde et difficile à mettre en branle, la machine diplomatique et protocolaire s’est enfin ébranlée aux fins de préparer la visite en France du président Tebboune. Les deux chefs d’Etats se sont entendus, lors d’un appel téléphonique opéré la veille au soir, sur le principe d’une visite d’Etat d’ici à fin septembre ou début octobre. Il va sans dire que la diplomatie de la nouvelle Algérienne n’est pas de celles qui se satisfont de dorures, de fastes et miroirs aux alouettes. Aussi, faut-il relever que des dossiers très lourds restent à étudier et à aplanir de concert avant que ce projet de visite ne se concrétise enfin sur le terrain. La question mémorielle demeure en tête des chapitres encore à l’étude. La commission d’historiens paritaire, dont le premier compte-rendu remonte à moins d’un mois, abattu un travail technique titanesque. La vérité sera dite enfin, et les archives restituées et/ou ouvertes. Reste le politique, qui est la pierre d’achoppement, puisque l’histoire contemporaine, censé s’appesantir sur des faits évidents, têtus, ne saurait être grimée. C’est en effet l’interprétation qui pose problème. En France, la déferlante de la droite, synonyme de racisme et de « nostalgie des bienfaits du colonialisme », sic !, menace de tout emporter sur sa route. Marine Le Pen, dont le père a vertement torturé durant notre glorieuse guerre de libération nationale, a même des chances de succéder à Emmanuel Macron à l’Elysée. Inutile de dire que les marges de manœuvres de ce dernier sont extrêmement limitées. Or, ce dernier devrait savoir que, tout comme nous avons héroïquement résisté durant sept années et demi face à la barbarie colonialiste, ce n’est pas aujourd’hui, désormais en position de force, que nous allons céder. D’ailleurs, Macron gagnerait à moins écouter Kamel Daoud et ses semblables.
Entre concessions et réajustements…
Nous sommes majoritaires à être farouchement attachés à notre histoire. Et à insister pour que la France reconnaisse ses crimes, et s’en excuse enfin. Notre farouche insistance tient de notre fidélité au serment fait à nos glorieux martyrs. Inutile aussi de tenter cette grossière manœuvre de placer dos-à-dos les combattants du FLN et leurs bourreaux français. Ces derniers étaient en position d’envahisseurs et de spoliateurs. Le FLN, lui, était légalement dans une posture de légitime défense. Ce sont des préalables qui, à mon humble sens, peuvent permettre au travail mémoriel d’avancer dans un sens positif. Macron osera-t-il aller aussi loin pour laver l’honneur de la France ? J’avoue que le doute et permis. Son empressement à classer « prioritaire » son rapprochement d’avec le Maroc, est venu amorcer une sorte de réajustement de la politique étrangère française. Celle-ci, chassée du Sahel et privée de voix audible au Moyen-Orient et en Ukraine à cause des trop nombreux écarts macroniens, était sur le point de basculer concernant la question du Sahara Occidental. Beaucoup de médias hexagonaux sérieux se sont même mis à relever ironiquement que la question ne se posait plus de savoir si ce basculement aurait lieu, mais uniquement quand. Hé bien non. Au risque de décevoir beaucoup de confrères, aux petits soins pour le Makhzen pour des raisons que l’on devine aisément, ce basculement n’aura jamais lieu. Mieux, notre diplomatie, qui a repris du poil de la bête, œuvre à amener la France à adopter une sorte de « neutralité positive » concernant la décolonisation du Sahara Occidental. Cela sous-entend soutenir activement le respect du droit international. Faire cela serait synonyme de pressions et de sanctions à l’endroit du Makhzen. Car c’est lui qui foule au pieds le droit international, occupe et pille des terres qui ne lui appartiennent pas, et emprisonne des militants pacifistes. Face au Maroc voyou, au comportement d’outlaw assumé, Paris n’aurait qu’à rétorquer qu’elle ne fait que se plier au droit international. Sa responsabilité historique et politique est immense dans la décolonisation du Sahara Occidental, en sa qualité de pays voisin et de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Reste l’épineux sujet de la Palestine, dans lequel Macron s’est égaré en disant la chose, suivie de son contraire. Cela, sans oublier les immenses opportunités économiques et industrielles potentiellement présentes entre Alger et Paris. Bref, cette visite d’Etat en chantier peut-être celle d’un total renouveau dans les relations entre les deux pays. La balle est dans le camp français. C’est de lui que doivent venir les plus importantes concessions.
M.A.