Entretien
Hicham Mansouri, journaliste marocain réfugié en France « Il n’y a pas de changement dans l’ADN du régime marocain »
Hicham Mansouri est un authentique journaliste. Formé pour l’investigation. Ce qui ne plait pas dans un royaume où la prédation et la corruption font loi. Ciblé directement par les sbires d’Abdellatif Hammouchi, chef des services de sécurité et de renseignements du royaume chérifien, il nous raconte comment il a été déshabillé de force et pris en photo sur son lit avec une femme mariée. Emprisonné pour adultère, le Makhzen ne s’est pas débarrassé de lui pour autant. Tant s’en faut. La prison marocaine, où règne la loin de la jungle, et où un vulgaire détenu peut commander à un directeur de prison, il en parle avec autant de passion que d’amertume. Il y a même consacré un livre, sur lequel je reviendrais bientôt. Dans cet entretien passionnant, il revient sur sa vie carcéral, « ezzabala, sa rencontre avec les détenus de Gdeim Izik, sa vie, ses projets et ses rêves en France. Il se lâche et s’exprime à cœur ouvert. Entre confrères, on en arrive jusqu’à se tutoyer. Félicitation pour ce nouveau né, espérant pour lui une vie meilleur dans un Maroc débarrassé du joug féodal de Mohamed VI et de sa famille. Hélas, c’est loin d’être gagné. même réfugié en France, les sbires de Hammouchi ont continué de le suivre et de le harceler, en infectant son téléphone portable avec le logiciel espion Pegasus. L’entretien que voici est à lire et à faire lire.
« Le gouvernement Akhanouch est condamné à l’échec ».
« La police a fait irruption chez moi pour m’agresser, me déshabiller et m’obliger à être filmé nu au lit, afin de justifier la poursuite en justice contre moi pour adultère »
« Il n’y a pas que le sexe. On piège les gens avec l’argent, l’alcool… »
« Il s’agit de salir la réputation des personnes visées, et surtout leur ôter cette figure de héros opposés au régime féodal royal. Cela peut détruire une personne sur les plans familial, professionnel, social et médiatique ».
« Je dirais qu’il ya régression sur certains points. Hassan II était un bon communicateur, doté d’une grande culture générale, qui n’hésitait pas se lancer dans les débats publics. Mohamed VI est un vulgaire homme d’affaires ».
« Ces gens (les Sahraouis. NDLR) ont une parole en or. On peut leur faire confiance aveuglément. Je dis cela en connaissance de cause, étant donné que je sui moi-même issu d’une famille de bédouins ».
« J’ai compris progressivement les rouages de cet énorme commerce, dans lequel les détenus sont à la fois la main d’œuvre et la clientèle ».
« Ce qui m’a surpris et choqué c’est l’ampleur de cet espionnage de masse, et les énormes moyens mobilisés pour attaquer les gens. Cet amateurisme me désole aussi. Pour moi, ce scandale est transnational. La responsabilité d’Israël, outre le Maroc, est engagée elle aussi ».
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Permets que j’attaque frontalement cet entretien. Tu as fait de la prison au Maroc, victime d’un coup monté des services marocains, dont on connait très bien les viles méthodes. Tu veux bien nous en parler, pour nos lecteurs, au risque d’exhumer de douloureux souvenirs ?
Hicham Mansouri : Officiellement, j’ai été jeté en prison pour une affaire de mœurs. On m’a collé sur le dos une grossière affaire d’adultère. Cela, en plus d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Voilà ce qui m’est arrivé. La police a mis sous surveillance permanente mon domicile. J’étais aussi sur écoute téléphonique. Ils ont saisi la première occasion de voir une femme entrer dans mon appartement pour faire irruption chez moi, m’agresser, me déshabiller et m’obliger à être filmé nu au lit, afin de justifier la poursuite en justice contre moi pour adultère. Cette affaire est bourrée de contradictions et de coups montés. Elle est cousue de fils blancs. Je précise que je ne suis pas la première victime de cette infâme machination. Comme journaliste oui. Mais les islamistes en ont été les premières victimes. Avec certains de ces islamistes, qui n’étais même pas violents, et se pliaient au jeu démocratique, ils sont allés plus loin qu’avec moi. Comme par exemple faire irruption chez eux, flanqués d’une prostituée, afin de leur forcer la main ou les faire chanter. Cela n’a malheureusement pas été médiatisé par les ONG ou la presse étrangère. A cette époque, on laissait persécuter les islamistes, sans se rendre compte que le tour des autres, tous les autres, allait bientôt venir. Il faut donc resituer les faits dans leur contexte. Dans la foulée des printemps arabes, plusieurs régimes de ces pays ont été forcés de céder des espaces de liberté. La reprise de ces espaces s’est faite insidieusement. Notamment au Maroc, à l’aide de cette méthode dont on est en train de parler. Il n’y a pas que le sexe. On piège les gens avec l’argent, l’alcool… le point qui me semble être extrêmement important, c’est la réforme au Maroc du code pénal et de la loi sur l’information, ce qui prouve que ce complot était réfléchi, et venait des plus hautes instances du régime. Cela s’est passé juste après mon arrestation (rire désabusé). C’était en 2005. Ils ont enlevé du code de la presse toutes les peines privatives de liberté. Ces prétendues avancées avaient été saluées à l’international. Hypocrites et fourbes, ces réformes ont été transférées vers le code pénal sous forme d’accusations sordides et souvent fabriquées de toutes pièces. C’est par exemple le cas de Omar Radi et Souleimane Raissouni. Il sufit de quitter les sunlights de Rabat et Casablanca pour se rendre compte que les journalistes activant partout au Maroc sont terrorisés par la chape de plomb qui pèse sur leurs têtes. Beaucoup leur conseillent de se taire, de faire le dos rond, et de ne pas politiser leurs cas. On n’a aucun moyen de prendre connaissance de la plupart de ces cas.
Une sorte de chape de plomb pèse sur l’espace médiatique marocain, et il est impossible de savoir ce qui s’y passe réellement…
Exact. L’AMDH, (association marocaine de défense des droits de l’Homme), jouissait d’un réseau étoffé à travers le pays, et permettait de mettre en lumière ce qui s’y passait. Mais, malheureusement, le ministre de l’Intérieur de l’époque, en 2005, l’a accusé de servir des agendas étrangers. Les bureaux de ses sections locales ont commencé à ne pas être renouvelés petit à petit. Ce qui a coupé les ONG de l’excellent travail et collecte d’infos sur le terrain. Voilà. Donc, ils ont eu recours à l’adultère avec moi, comme à l’avortement avec Hadjer (Raissouni). Ces affaires peuvent marcher un peu au plan interne. Mais jamais au plan extérieur. Voilà pourquoi ils sont passés à la vitesse supérieure, comme les viols, le trafic de drogue, le terrorisme… ce sont des accusations difficilement défendables à l’étranger. C’est une stratégie qu’ils n’arrêtent pas d’améliorer et d’affiner au fil du temps.
Dans cette stratégie sournoise, les opposants passent donc pour de vulgaires criminels…
Tout à fait. Il s’agit de salir la réputation des personnes visées, et surtout leur ôter cette figure de héros opposés au régime féodal royal. Cela peut détruire une personne sur les plans familial, professionnel, social et médiatique.
Est-ce qu’il ya une réelle différence entre le régime totalitaire de Hassan II et celui de son fils Mohamed VI, sous ses dehors démocratiques, réformateurs et ouvert sur l’universalisme ?
Le seul changement positif que je pourrais déceler, c’est courte cette phase de transition. Quelques années après le décès de Hassan II, il ya eu une sorte d’ouverture pragmatique et trompeuse, qui ne visait qu’à assurer la transition. La prédation, la corruption jusqu’au plus haut sommet de l’Etat sont toujours là. Il n’ya pas de changement dans l’ADN du régime marocain. Ce constat est admirablement bien résumé par le journaliste marocain décédé depuis quelques années. Pour lui, la faucille n’a pas changé. Seul le manche a changé. Ils ont essayé de changer la vitrine, avec un roi jeune, réformateur, proche du peuple. Cet exercice de communication a été élaboré par des consultants français. La prédation et la répression se poursuivent, même s’il ya différence entre les styles des deux hommes. Je dirais même qu’il ya régression sur certains points. Hassan II était un bon communicateur, doté d’une grande culture générale, qui n’hésitait pas se lancer dans les débats publics. Mohamed VI est un vulgaire et simple homme d’affaires.
Ta douloureuse expérience en prison t’a carrément inspiré un livre. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Au début, je n’avais pas pour objectif d’écrire un livre, mais seulement de tenir un journal. E projet final a pris forme progressivement. Car, au fil des jours et des semaines, j’ai découvert un énorme trafic. Celui-ci s’exerce au vu et au su de tous. Notamment au bloc B de la prison de Zaki où j’étais détenu. C’était un bloc sordide, tris sale, surnommé à juste titre « ezzebala » par ses locataires. J’y ai été jeté au début afin de rendre ma détention plus infernale et insupportable qu’elle ne devait l’être, sur les plan psychologique et physique. J’ai compris progressivement les rouages de cet énorme commerce, dans lequel les détenus sont à la fois la main d’œuvre et la clientèle. Ce trafic est très bien organisé. Je le démontre dans mon livre avec dates et chiffres à l’appui. Il aurait été impossible sans un cerveau et une organisation située au sommet de l’Etat. Des détenus récidivistes m’ont confirmé que ce trafic existe au niveau de l’ensemble des prisons marocaines. Ces trafics doivent impliquer l’administration pénitentiaire, la police et les Politiques et/ou administration. Ils ont trait à la cocaïne, le cannabis et les téléphones portables. Je conclus ce chapitre en relevant que l’administration pénitentiaire n’a pas pris la peine de me répondre. Elle ne pouvait d’ailleurs raisonnablement pas le faire. Je me suis basé sur des faits, des dates et des chiffres.
Dans ton livre, tu dis aussi que les détenus sont souvent mieux informés que leurs gardiens…
Effectivement. L’administration pénitentiaire se base surtout sur l’oral, car elle est gangrenée par la corruption. Cela permet (en théorie) de laisser moins de traces et de preuves. Voilà pourquoi ils évitent de moderniser cet édifice. Cela protège efficacement les supérieurs qui tirent les ficelles. Les détenus deviennent des auxiliaires et des collaborateurs de cette machine bien huilée. Au bas de l’échelle, il ya les « krafa », qui assurent le ménage, la cuisine, et le transport des produits « prohibés ». Ces assistants de l’administration pénitentiaire touchent aussi leurs « salaires ». Cette curieuse forme d’organisation fait que certains détenus peuvent avoir plus de pouvoir que les fonctionnaires eux-mêmes. Ils peuvent même affecter, ou virer un chef de quartier. C’est une vraie jungle avec ses propres codes. J’au pu le constater moi-même durant ma détention.
Durant ta détention, tu as pu croiser Naama Asfari…
Effectivement, j’ai rencontré tout le groupe de Gdeim Izik (célèbres détenus politiques sahraouis, dont fait partie Naama Asfari. NDLR). Naama Asfari est quelqu’un à qui j’ai le plus parlé. Car, d’ordinaire, je suis timide et réservé. Sa détermination et son caractère inflexible forcent vraiment le respect. Le contact a été facile avec ce groupe, étant donné que je parle le hassani. El Abed Bachir est venu me voir pour m’offrir un verre de thé sahraoui. C’est comme ça qu’on a sympathisé. J’ai dispensé au groupe des cours de français, ou plutôt des ateliers de lecture. En fait, j’ai beaucoup de respect pour les gens du Sahara. Cela peut paraitre un peu communautaire, étant donné que je suis issu du sud du Maroc, à Reguibat. Ces gens ont une parole en or. On peut leur faire confiance aveuglément. Je dis cela en connaissance de cause, étant donné que je sui moi-même issu d’une famille de bédouins. Chez nous, le respect de la parole donnée et l’honneur passent avant tout. J’aime beaucoup cela chez eux. Ils y tiennent, malgré leurs dures conditions, et leurs peines très lourdes. Ils sont toujours là pour aider les autres. Ils travaillent ensemble, et s’entraident efficacement. Le fait que je comprenne la richesse de leur culture et qu’on parle la même langue nous a beaucoup rapprochés.
Ton téléphone a par la suite été infecté par le logiciel espion Pegasus. J’en déduis qu’ils ne t’on pas lâché même après ta sortie de prison…
Oui, oui. Le harcèlement contre moi n’a jamais cessé. Même après mon installation en France en tant que réfugié, j’ai été poursuivie et condamné par contumace, avec un groupe de militants et de journalistes, pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Ceci étant, je ne suis pas surpris d’apprendre que j’étais espionné. Souvent dans les articles et les plaintes me concernant je découvre des déclarations (déformées et sorties de leur contexte bien sûr) faites par moi en privé à certains de mes contacts. Même si j’étais certain que j’étais espionné, la preuve formelle nous a été administrée par l’enquête de Forbiden Stories. Ce qui m’a surpris et choqué c’est l’ampleur de cet espionnage de masse, et les énormes moyens mobilisés pour attaquer les gens. Cet amateurisme me désole aussi. Pour moi, ce scandale est transnational. La responsabilité d’Israël, outre le Maroc, est engagée elle aussi. On a saisit la justice bien sûr. La police française a examiné mon téléphone pour confirmer qu’il était bel et bien infecté par Pegasus. Les dénégations marocaines, qui ne servent absolument à rien, ne font en fait que l’enfoncer.
Je vois que tu suis de près la politique intérieur de ton pays de cœur. Comment tu vois l’avenir du Maroc avec un Premier ministre comme Akhanouch ?
Pour résumer la situation du gouvernement Akhanouch, j’invoque un proverbe arabe qui dit « kheredj melkheyma mayel », ce qui veut dire, traduit littéralement, qu’il est sorti de la tente en titubant. Le gouvernement Akhanouch est condamné à l’échec. Pour la simple raison que cet homme est l’un des plus riches hommes d’affaires marocains. Il fait aussi face à un flagrant conflit d’intérêt. Cet intrus à la politique marocaine, y a été parachuté et maintenu. Il est resté 15 ans au poste de ministre de l’agriculture, en survivant à 3 gouvernements successifs. Sa grande carence, aussi, c’est qu’il n’est pas taillé pour la communication et la politique. D’ailleurs ce n’est pas lui et son gouvernement qui décident, et élaborent les stratégies. Tous les grands chantiers sont dirigés directement par le roi. Les exemples ne manquent pas. Avec la gestion directe du roi, celui-ci perd de facto son pare-chocs gouvernemental. C’est dangereux pour lui, et pour son système monarchique.