Conseil Constitutionnel
Kamel Feniche, président du Conseil constitutionnel
« Le régime semi-présidentiel est le plus adapté pour l’état actuel de l’Algérie »
Le Conseil constitutionnel est aussi appelé Conseil des sages dans certains pays car il réunit dans sa composante les meilleurs de par leurs compétences et leur sagesse car ils sont là pour redresser tout ce qui peut toucher à la Constitution du pays et qu’ils estiment contraire à cette dernière. Kamel Feniche, le président de cette instance, a bien voulu nous en parler dans cet entretien exclusif.
La Patrie News : Nous vous remercions, Monsieur le président, pour avoir accepté de répondre à nos questions. Pour commencer, voudriez-vous nous présenter succinctement le Conseil que vous présidez ?
Kamel Feniche : le Conseil constitutionnel est une institution indépendante chargée de veiller au respect de la Constitution. Il veille en outre à la régularité des opérations de référendums, d’élections du président de la République et d’élection législatives. Il étudie, dans leur substance, les recours qu’il reçoit sur les résultats provisoires des élections et proclame les résultats définitifs de toutes ces opérations. Le Conseil constitutionnel est doté de l’autonomie administrative et financière. Ses membres, élus ou désignés, doivent être âgés d’au moins quarante ans révolus au jour de leur désignation ou de leur élection, jouir d’une expérience professionnelle de 15 années au moins dans l’enseignement supérieur, les sciences juridiques, la magistrature ou dans la profession d’avocat près la Cour suprême ou le Conseil d’Etat ou dans une autre fonction de l’Etat. Durant leur mandat, le président, le vice-président et les membres jouissent de l’immunité juridictionnelle en matière pénale et ne peuvent donc faire l’objet de poursuite ou d’arrestation pour crimes ou délits que sur renonciation expresse de l’intéressé de son immunité ou sur autorisation du Conseil constitutionnel. En plus des attributions qui lui sont confiées par les dispositions de la Constitution, il se prononce par un avis sur la constitutionnalité des traités, des lois et des règlements. Il peut être saisi par le président de la République, le président du Conseil de la nation, de l’APN ou le premier ministre, et également par 50 députés ou 30 membres du Conseil de la Nation. Il émet un avis obligatoire sur la constitutionnalité des lois organiques après leur adoption par le Parlement. Il se prononce également dans les mêmes formes sur la constitutionnalité du règlement intérieur de chacune des deux chambres du Parlement et du Sénat. Ces saisines ne s’étendent pas à la saisine d’exception d’inconstitutionnalité énoncée par l’article 190 introduit par la réforme de 2016 qui a institué l’exception d’inconstitutionnalité.
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La Patrie News : Nous savons que le conseil ne peut s’autosaisir quand il constate l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’une règlementation, comment faites-vous alors, si vous n’êtes pas saisi par l’une des institutions qui en ont l’autorité ?
Kamel Feniche : il est exact que le Conseil constitutionnel ne peut s’autosaisir, les autorités habilitées à le saisir sont prévues par la Constitution, mais maintenant avec l’article 188, nous pouvons, grâce au contrôle à postériori, rectifier les lois ou une partie de ces lois car le justiciable peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité et nous pouvons alors rectifier ce qui est contraire à la Constitution et qui peut porter atteinte aux droits et aux libertés des citoyens. Nous pouvons dire que la disposition est constitutionnelle ou non, nous pouvons même faire des réserves, mais nous devons quand même attendre d’être saisi par le justiciable par le biais des juridictions compétentes, à n’importe quelle étape de la procédure.
La Patrie News : Les dispositions concernant l’exception d’inconstitutionnalité viennent à point nommé pour répondre à un certain nombre de doléances citoyennes, pouvez-vous nous en parler ?
Kamel Feniche : c’est une disposition qui est très importante pour le justiciable qui lui permet de se prévaloir de ses droits. S’il constate une atteinte à ses droits et à ses libertés, il peut se défendre devant la juridiction en soulevant par une action motivée et distincte de l’action de fond pour dire que cette disposition législative porte atteinte à ses droits et libertés. A ce moment-là, le juge peut transmettre, s’il constate que le moyen est sérieux, l’action devant le Conseil constitutionnel.
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La Patrie News : et si la demande déposée par le justiciable n’aboutit pas, pour une raison ou une autre ?
Kamel Feniche : c’est l’inconvénient de la loi organique car c’est là un obstacle, nous avons d’ailleurs déjà dit que l’article 188 n’a pas été traduit dans son esprit par la loi organique. Cette dernière constitue en quelque sorte un handicap car le magistrat n’est pas obligé de transmettre la demande du justiciable. C’est pour cela qu’il y a lieu, à mon avis, de modifier la loi organique, parce que dans certains pays, comme l’Espagne par exemple, le Conseil constitutionnel est directement saisi.
La Patrie News : Le conseil constitutionnel vient de fêter son 30e anniversaire, que signifie cette date pour vous ?
Kamel Feniche : bien sûr, c’est un évènement très important dans la vie du Conseil Constitutionnel qui vient de fêter son trentième anniversaire, et nous l’avons fêté d’une manière grandiose. Nous avons invité pas mal de délégations (dix-neuf) aussi bien européennes qu’africaines, comme la Russie, l’Espagne et d’autres encore. Ces délégations sont venues aussi pour partager avec nous cette commémoration du 30e anniversaire et elles ont été même reçues par le président de la République. Les membres de ces dix-neuf délégations étaient très contents d’avoir été reçus par le président et ont déclaré, en applaudissant, que la réussite de l’Algérie pour sa nouvelle Constitution est également une réussite pour l’Afrique. A cette occasion, nous avons édité plusieurs ouvrages concernant la Constitution, la jurisprudence, les décisions et avis que le Conseil a émis depuis sa création, l’histoire aussi du Conseil constitutionnel et les différentes étapes par lesquelles il est passé.
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La Patrie News : En date du 17 octobre 2019, le règlement fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel a été modifié. Pouvez-vous nous dire quelles sont les nouveautés qui ont été introduites et pour quelles raisons cette modification a été décidée ?
Kamel Feniche : il y a déjà eu plusieurs modifications du règlement intérieur parce, pour commencer, il y a eu la loi électorale, donc le règlement intérieur du Conseil devait être en conformité avec cette loi et ses nouvelles dispositions. Plusieurs dispositions du règlement intérieur ont été modifiées.
La Patrie News : Le Conseil constitutionnel est une institution qui bénéficie de la confiance aussi bien des citoyens que des autorités jusqu’au plus haut niveau. Dites-nous, monsieur le président, qu’est-ce qui a motivé cette confiance ?
Kamel Feniche : cette confiance est motivée par le fait que le Conseil constitutionnel est toujours disponible à rendre des décisions et des avis qui portent sur la Constitution ou les lois organiques. Le constituant confère au Conseil constitutionnel les missions de veiller au respect de la Constitution, alors que le peuple est la source de tout pouvoir et qu’il exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne. Durant les évènements qu’a vécus le pays, le Conseil constitutionnel a rendu l’avis n°2 du 1er juin 2019 par lequel il porta à la connaissance du peuple algérien que la mission essentielle dévolue à celui qu’il investit de la charge de chef de l’Etat est d’organiser l’élection du président de la République. Par conséquent, il y a lieu de réunir les conditions adéquates pour l’organisation de cette élection dans la transparence et la neutralité en vue de préserver les institutions constitutionnelles qui concourent à la réalisation des aspirations du peuple souverain (art. 7 et 8 de la Constitution), ce qui fait que les élections du 18 avril n’aient pas eu lieu du fait de la démission du président de la République et des deux candidats qui ne remplissaient pas les conditions légales. Le Conseil constitutionnel ajouta qu’il revient au chef de l’Etat de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu’à l’élection du président de la République et la prestation du serment constitutionnel.
A mon humble avis, l’avis n°2 du Conseil Constitutionnel fera date dans l’histoire de l’Algérie.
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La Patrie News : La Constitution algérienne sera revue dans un proche avenir, qu’avez-vous à nous dire là-dessus ?
Kamel Feniche : Pour répondre justement aux revendications du peuple algérien évoquées par le hirak, une commission a été chargée de préparer un projet de modification de la Constitution. Les membres de cette commission sont des personnalités dont la compétence est reconnue au niveau national et international, ils sont donc à même de produire quelque chose de très positif pour l’Algérie Nouvelle. Nous avons salué la démarche du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, quant à la révision de la Constitution dans toutes ses dispositions, suite aux nombreuses lacunes relevées dont l’ambiguïté de certaines dispositions, l’imprécision de certains termes, voire la non-conformité entre les versions arabe et française. Nous allons vers un régime semi-présidentiel, c’est le meilleur régime qui correspond à l’état actuel de l’Algérie, avec une séparation des pouvoirs assez souple, un contrôle très accentué sur l’activité du gouvernement par l’Assemblée populaire nationale avec l’assistance de la Cour des comptes. Il y aura aussi un développement plus grand des collectivités locales qui connaissent le mieux les besoins des citoyens car elles en sont beaucoup plus près, l’indépendance de la justice, notamment du Conseil supérieur de la magistrature qui ne doit pas être présidé par le ministre de la Justice mais plutôt par le premier président de la Cour suprême ou un magistrat de renommée élu par ses pairs. Il ne faut pas oublier que le Conseil supérieur de la magistrature doit être une institution indépendante comme il est prévu par la Constitution dans son article 173 qui stipule que « le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la République et veille au respect des dispositions du statut de la magistrature et au contrôle de la discipline des magistrats sous la présidence du premier président de la Cour suprême quand il régule l’activité disciplinaire ». « Il dispose aussi de l’autonomie administrative et financière ». D’autre part, soumettre le projet d’amendement de la Constitution à un référendum populaire après sa présentation aux deux Chambres du Parlement pour adoption, ainsi qu’aux partis politiques, aux associations civiles est la procédure la plus transparente et la plus efficiente garantissant l’expression de la volonté du peuple conformément aux articles 7 et 8 de la Constitution.
La nouvelle Constitution jettera les fondements de la nouvelle République en réponse aux revendications du Hirak populaire et aux aspirations des citoyens à la justice, à la démocratie et à l’équité. Elle offrira plus de garanties et de libertés et rattrapera toutes les lacunes relevées dans les précédentes lois fondamentales.
La Patrie News : Un mot pour terminer, monsieur le Président.
Kamel Feniche : nous allons vers une nouvelle république et, à mon avis, toutes les lois organiques et ordinaires doivent être modifiées en conséquence pour être au même niveau que la Constitution à laquelle elles doivent se conformer. Cette nouvelle Constitution que le président Tebboune a ordonné qu’elle soit modifiée et pour laquelle il a désigné une commission présidée par Ahmed Laraba dont la lettre de mission qui lui a été adressée comporte les sept axes principaux qui doivent servir comme assise pour la nouvelle constitution. Ces sept axes sont, à mon avis, à même de nous sortir de l’ancienne constitution pour aller vers une nouvelle qui va porter l’accent beaucoup plus sur les libertés publiques, les droits, la démocratie, l’Etat de droit : nous allons vers une république nouvelle !
Entretien réalisé par Tahar Mansour