L’indépendance nationale : l’aboutissement d’une longue lutte populaire
La célébration du 60ème anniversaire du recouvrement de l’indépendance nationale est une occasion pour une relecture de la guerre de libération nationale, de ses spécificités et de ses dimensions. Certains de ses aspects sont négligés ou non considérés à leur juste valeur. On n’en n’a pas tiré toutes les leçons.
La longue période qui a précédé le déclenchement de la guerre de libération nationale a été notamment marquée par la radicalisation des revendications qui, progressivement, se sont portées sur l’élimination du système colonial, le renforcement du sentiment national qui a fait que durant les années 1950, la volonté d’indépendance s’était étendue à différentes couches de la population, notamment à celles qui auraient pu être considérées comme relativement privilégiées. Durant tout le XXème siècle, les militants du mouvement national appartenant à des formations politiques différentes, se sont retrouvés dans des actions politiques unitaires. L’idée d’un rassemblement unitaire de militants de sensibilités partisanes différentes était admise et pratiquée, elle favorisera le succès de la stratégie d’union du FLN.
L’indépendance est arrivée suite à une guerre de libération nationale de près de huit années, elle-même prolongement et forme radicale d’une longue lutte populaire qui n’a pratiquement pas cessé depuis le début de la colonisation. Aux premières insurrections paysannes du XIXème siècle, a succédé au début du XXème siècle une forme jusque-là nouvelle d’opposition à la colonisation : la lutte politique.
Les grandes insurrections populaires nées dans les campagnes s’étant arrêtées au début du siècle.
La lutte contre un système injuste
La colonisation imposa une législation particulière avec recours à des mesures alors anticonstitutionnelles au regard de la loi française : lois et juridictions en fonction de la confession des populations, responsabilités collectives, peines prononcées par l’administration sans recours à une juridiction indépendante avec respect des droits de la défense, peines spécifiques applicables aux seuls Algériens, contenues dans le Code de l’Indigénat, plusieurs fois reconduit, peines particulières de bannissement et d’internement sans recours à la justice. La laïcité, un des principes fondateurs de la IIIème république, était une réclamation des populations algériennes qui voyaient l’exercice de leur culte entravé par des mesures administratives, dirigé par des imams nommés et contrôlés par l’administration. L’école privée libre ne fut autorisée que pour les seuls Européens. L’enseignement de la langue arabe fut strictement contrôlé et plusieurs fois l’objet de condamnations sévères. Des lois foncières, dont la célèbre loi Warnier organisa la dislocation de la propriété collective algérienne. La colonisation accapara toutes les terres collectives gérées par les associations religieuses et celles relevant du domaine public de l’Etat ottoman. De 1871 à 1898, la colonisation s’accapara 1,5 millions d’hectares. En 1917, les Européens disposaient de 2,3 millions d’hectares. La superficie de la propriété agricole des paysans algériens avait été réduite de près du tiers entre 1880 et 1900. 70% des paysans algériens possédaient moins de 4 hectares en moyenne.
L’émergence de la lutte politique
Née au sein des élites algériennes et adoptant des revendications relativement limitées se concentrant sur la dénonciation des injustices et la réclamation des droits pour les Algériens dans le cadre des lois en vigueur sans dénonciation du système colonial, la lutte politique s’élargit. Des personnalités émergent dès avant le XXème siècle : on peut citer M’hammed Ben Rahal (1858-1928) de Nédroma, et Mohammed Ben Mouhoub de Constantine. Des cercles et des associations pour l’égalité des droits apparurent dans différentes villes et dont certains disposèrent de leurs journaux. La revendication pour l’égalité des droits et le libre exercice de la religion musulmane s’accompagnait du refus de l’assimilation et l’affirmation d’une identité algérienne. Le mouvement « Jeunes Algériens » apparut avant la première guerre mondiale. Regroupant des notables et petits fonctionnaires, pour la plupart formés à l’école française, il revendiquait l’extension des droits pour les Algériens en particulier la citoyenneté qui avait été jusque-là refusée. Il obtint quelques concessions notamment du fait de l’action du gouverneur Jonnart qui fit voter des textes élargissant le droit de vote et l’accès à la citoyenneté.
Revendications sociales et identité nationale
Les couches populaires s’engagent également dans la lutte politique. En 1926 est créée au sein des travailleurs émigrés en France l’Etoile Nord-Africaine. Ce parti, à ses débuts proche du mouvementcommuniste français, désignera comme président d’honneur l’Emir Khaled, petit-fils de l’émir Abdelkader et symbole de l’identité algérienne. Il est dirigé à ses débuts par des militants de la cause ouvrière parmi lesquels Hadj Ali et Messali Hadj qui va s’affirmer comme le leader de la revendication populaire pour l’indépendance. Avec l’Etoile Nord-Africaine, le mouvement national acquiert une dimension nouvelle dès ses débuts : la revendication sociale pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers rejoint l’affirmation d’une identité nationale et la revendication d’indépendance. L’Etoile Nord-Africaine réclama en 1927 le droit à l’autodétermination du peuple algérien.
Les quelques réformes qui furent initiées en 1919 ne remirent pas en cause la discrimination officielle à l’encontre des Algériens. La minorité européenne s’était modifiée au début du XXème siècle : la propriété agricole européenne s’était considérablement concentrée (en 1930, 74% des terres étaient détenues par 20% des propriétaires). Les Européens étaient en majorité urbains (à 72% en 1926), employés dans l’industrie (à 29%) et dans le tertiaire (60%). Ils représentèrent une force politique qui s’opposa de plus en plus violemment à toute réforme remettant en cause leur position dominante dans une société profondément inégalitaire. Le Code de l’Indigénat est continuellement prorogé. Le gouverneur Violette, partisan de quelques réformes limitées est rappelé en 1927. Cette même année est constituée la Fédération des élus du Constantinois animée par Bendjelloul et Ferhat Abbas.
L’Etoile Nord-Africaine est dissoute une première fois le 20 novembre 1929. Après un recours en annulation devant les tribunaux, cette dissolution est confirmée par le gouvernement du Front Populaire en janvier 1937, ses dirigeants sont poursuivis.
Le 2 août 1936, Messali Hadj tient un discours à Alger qui fera date dans la mobilisation populaire. Le mouvement national s’implante fortement en Algérie. Il bénéficie à partir des années 1930 de l’apport de jeunes militants instruits et donne un élargissement significatif à sa base sociale.
Le 11 mars 1937, Messali Hadj crée le Parti du Peuple Algérien qui reprend les structures et l’encadrement de l’Etoile Nord-Africaine.
L’Association des Oulémas : le renforcement de l’identité algérienne
L’Association des Oulémas qui est créée en 1931, engage la lutte contre les superstitions et les attitudes rétrogrades qui avaient cours dans la pratique de l’Islam. Elle développe les actions culturelles et associatives diverses affirmant la spécificité de l’identité algérienne. Son action permet le renforcement et l’élargissement du sentiment national qui s’ancre dans les différentes couches de la population, que les pratiques du système colonial poussent de plus en plus au rejet de l’appartenance à la France. L’idée nationale algérienne est complétée par sa dimension religieuse qui véhicule des idées de progrès et de tolérance. En même temps, les différentes composantes du mouvement national se rapprochent dans la lutte politique commune malgré leurs divergences, ce qui favorisera l’union autour de l’objectif commun d’indépendance. Les partisans d’une évolution graduelle dans le cadre des lois en place évoluent progressivement vers la revendication de l’indépendance. Après le Congrès musulman de juin 1936, Ferhat Abbas appuyé par l’association des Oulémas et un groupe d’élus modérés initie une démarche unitaire en 1942 en adressant aux autorités françaises et aux représentants des alliés un manifeste réclamant des droits pour les Algériens. Cette initiative débouchera sur la création, le 14 mars 1944 des Amis du Manifeste de la Liberté (AML) avec la participation des militants du PPA.
L’action politique pour implanter l’armée de libération nationale
La plateforme du congrès de la Soummam a approfondi les objectifs politiques et militaires. Le but stratégique est l’union de tous les Algériens derrière l’objectif central de l’Indépendance.
L’offre de négociation est renouvelée et l’objectif militaire est d’obliger le gouvernement français à négocier :
« Les buts de guerre, c’est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c’est la situation à laquelle on accule l’ennemi pour lui faire accepter tous nos buts de paix….nos buts de guerre sont politico-militaires :
- L’affaiblissement total de l’armée française pour lui rendre impossible une victoire par les armes
- La détérioration sur une grande échelle de l’économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l’administration normale du pays.
- Le FLN utilisait ainsi la lutte armée, qui lui a été imposée par le pouvoir colonial comme le moyen d’obliger le gouvernement français à reconnaître l’indépendance de l’Algérie. Il posait comme conditions essentielles l’unité de la population et du territoire. En même temps il offrait une porte de sortie honorable en considérant les Européens comme des citoyens avec tous les droits et devoirs. La plateforme de la Soummam déclarait que le FLN était prêt à négocier les autres aspects relatifs à la coopération dans tous les domaines entre deux gouvernements de pays indépendants.
Faire face à la stratégie du pouvoir colonial
Dès le début de la guerre de libération nationale, le FLN devait faire face à la stratégie du pouvoir colonial qui était restée pratiquement inchangée : obtenir l’élimination des groupes de l’ALN en remportant une victoire militaire totale et dégager une force politique qui appuierait sa politique. Ce fut le cas dès le début avec Soustelle. On chercha des personnalités algériennes représentatives et on multiplia des mesures pour susciter l’adhésion d’une partie de la population. Soustelle prit des mesures pour une réforme agraire, en fait le rachat par le gouvernement de terres agricoles devant être rétrocédées à des Algériens acquis à la France. Le général de Gaulle suivra la même politique, avec une nuance importante. Il ne chercha pas, contrairement aux gouvernements qui avaient précédé le sien, à préserver par tous les moyens les avantages et la position dominante de la minorité européenne.La quatrième République avait envisagé des statuts spécifiques complexes avec comme principale souci le statut particulier des Européens, allant même jusqu’à envisager un découpage du territoire avec un pouvoir local de type quasi fédéral pour éviter aux Européens de se soumettre à la loi du respect de la majorité exprimée par les urnes. Après avoir tenté de l’éviter, de Gaulle était prêt à l’indépendance à condition que le nouveau pouvoir soit totalement inféodé à la France. Ce qui lui importait le plus c’était la modernisation de la France pour en faire un pays militairement puissant sur la scène internationale et indépendant des deux grandes super puissances. La continuité de la guerre en Algérie l’empêchait dans ses objectifs. Il voulait exploiter les richesses du Sahara algérien au bénéfice exclusif de l’économie française, disposer d’installations militaires qui lui permettraient d’imposer son contrôle sur les territoires africains notamment, et de bases d’essais pour mettre au point son arme nucléaire, objectif clairement affirmé. La grandeur de la France, la modernisation de son armée et de son économie, le renforcement de son rôle sur la scène internationale n’étaient pas possibles avec le maintien d’une guerre en Algérie que lui imposait le FLN. Cela pouvait être possible avec une Algérie indépendante dont aurait été éliminés les plus radicaux des nationalistes et où aurait dominé une force politique acquise à la domination française. C’est ce qui expliqua le renforcement de la lutte militaire contre l’ALN qui eut à subir le plan Challe ainsi que son offre de reddition aux combattants accompagnée de tentatives de dégagement d’une « troisième force ». Cette politique, il l’appliqua à certains pays africains anciennement colonisés avec des résultats variables. L’objectif du FLN avait été donc de rendre impossible toute victoire militaire de l’armée coloniale et de barrer la route aux tentatives de faire émerger une force politique acquise au maintien de la présence coloniale. Le FLN avait, dès 1955 mené une action politique envers les couches modérées qui s’étaient engagées dans la lutte politique légale dans le cadre des institutions du pouvoir colonial. Le déclenchement de la guerre de libération et l’ampleur des massacres qui s’en suivirent firent réagir les élus algériens des différentes assemblées. La politique d’ouverture du FLN qui mit le sentiment national en avant et tendit la main à tous les militants quel que fût leur activité partisane empêcha le pouvoir colonial de compter sur une force politique algérienne. Le 26 septembre 1955, des élus algériens sous l’impulsion du député Bendjelloul votent une motion de défiance, s’opposant ouvertement au pouvoir colonial. C’est la « motion des 61 ». Le gouverneur général confirma officiellement qu’il lui était impossible de trouver des représentants algériens crédibles et possédant une assise populaire et en même temps acquis à ses réformes. Les démissions des élus et leur ralliement aux objectifs du FLN allaient se multiplier et s’accélérer pendant la durée de la guerre de libération nationale.
Les moyens d’action politiques au service de l’objectif stratégique
L’objectif stratégique du FLN était de gagner les différents courants politiques du mouvement national à l’union autour de l’objectif de l’indépendance. Dès 1955, les élus et les représentants modérés furent approchés et se positionnèrent pour l’indépendance. Les anciens de l’UDMA avec à leur tête Ferhat Abbas rejoignirent très tôt le FLN ainsi que les modérés du MTLD qui n’avaient pas appuyé le déclenchement de la guerre de libération. Le CCE issu du congrès de la Soummam arriva à rallier à titre individuel les anciens militants du parti communiste interdit par le gouvernement français, parmi lesquels des Européens et beaucoup s’engagèrent dans la lutte armée. L’ouverture vers tous les militants du mouvement national sans exclusive et le renforcement de la lutte politique furent les caractéristiques et la particularité de la guerre de libération nationale. La grève des huit jours décidée pour appuyer la discussion de la question algérienne à l’ONU en fut un exemple frappant. Elle rapprocha encore plus les Algériens qui firent face à une répression terrible de l’armée coloniale et renforça leur solidarité. La détermination du peuple algérien apparut au monde ainsi que la représentativité du FLN. Cette grève et sa répression eurent un grand impact sur l’opinion française où la revendication d’indépendance recueillit plus de soutien et de sympathie et aussi sur l’opinion mondiale.
La guerre de libération nationale fut l’action militaire d’une force politique nationale au service d’un objectif politique central : obliger le gouvernement français à reconnaître le droit à l’indépendance du peuple algérien. Elle réussit à ancrer encore plus profondément le sentiment national auquel adhérèrent les différentes couches de la population, y compris celles qui auraient pu être considérées comme relativement favorisées par rapport à la masse des Algériens pauvres et analphabètes. L’action armée rendit impossible une victoire militaire qui avait été recherchée par les différents gouvernements français pour refuser l’indépendance d’abord puis de l’admettre en éliminant les éléments les plus radicaux du mouvement national et en dégageant une élite acquise aux idées néocoloniales. L’action politique rendit également impossible un appui populaire à cette politique, comme elle élargit le soutien diplomatique international à la cause algérienne et influa positivement sur le basculement de l’opinion publique française de Métropole qui rejeta dans sa majorité la poursuite de la guerre.
In Mémoria