Mme Salima Mesrati, présidente de la Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption à la Patrie news: « Le nombre des signalements augmente de manière significative»
Dans cet entretien, Mme Mesrati explique les visées de la stratégie nationale de lutte contre la corruption et la moralisation de la vie publique, l’un des 54 engagements du président de la République. Elle décline les missions et les prérogatives de l’institution qu’elle préside, évoque les actions accomplis et les objectifs à atteindre.
Interview réalisée par
S. Hammadi-Biskri et Dahmane Bensalem
La Patrie news : Pouvez-vous nous édifier sur le rôle de la Haute autorité de transparence, prévention et lutte contre la Corruption ?
Mme Mesrati : C’est une Autorité constitutionnelle, instituée par la Constitution de 2020, laquelle a été instiguée par le président de la République Abdelmadjid Tebboune. Au départ à caractère consultatif (Organe national de prévention et de lutte contre la corruption), elle est devenue une institution de contrôle avec de nombreuses prérogatives, définies dans la loi 22-08 du 25 mai 2022. Elle est la résultante de l’engagement 4 du président de la République, portant sur la moralisation de la vie publique et la gestion des affaires publiques dans la transparence.
Nous pouvons résumer le rôle de la HATPLC dans ses missions de prévention et de lutte contre la corruption. L’article 205 de la Constitution stipule que l’Autorité trace une stratégie de prévention et de lutte contre la corruption et œuvre à son exécution et suivi.
L’article 4 de la loi 22-08 détermine les missions de la HATPLC, dont la réception et le traitement des déclarations de patrimoine des hauts fonctionnaires de l’Etat et des élus locaux, dans le cadre de l’article 6 de la loi 06-01 relative à la lutte contre la corruption.
L’autorité contrôle aussi la conformité des administrations, des institutions, des entreprises et des organismes publics aux systèmes de transparence. Elle peut émettre des ordonnances si elle constate des failles dans le processus. Elle renforce le rôle de la société civile par des formations et des campagnes de sensibilisation.
En matière de lutte contre la corruption, l’article 7 de la loi 22-08 dote l’Autorité d’une unité centrale d’investigation financière et administrative sur l’enrichissement illicite de fonctionnaires de l’Etat sans justification de la source du patrimoine acquis.
La HATPL établit, annuellement, un rapport qu’elle transmet au président de la République. Il est ensuite rendu public pour informer les citoyens sur les efforts déployés dans la lutte contre la corruption.
L’autorité adresse, au Bureau de lutte contre la drogue et le crime des Nations unis, en lui adressant des rapports périodiques sur les progrès enregistrés par l’Algérie dans l’Application de la convention internationale de lutte contre la corruption, qu’elle a ratifiée en 2004. Elle collabore, en outre, avec des organisations internationales et régionales dans le cadre des Accords bilatéraux ou par le biais de l’Association africaine de lutte contre la corruption au sein de laquelle elle est membre.
La HATPLC joue un rôle efficace dans l’établissement d’une culture de signalement de faits corruption. Pouvez-vous nous en parler ?
Parmi les missions majeures de la Haute autorité de transparence, prévention et lutte contre la corruption, la réception de signalement ou dénonciations d’actes de corruption de la part de personnes physiques ou morales, conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi 22-08.
La HATPLC examine ces signalements. Elle ouvre une enquête si les allégations de corruption sont documentées. Evidemment, le signalement ne doit pas être de source anonyme. Son auteur doit s’identifier et mentionner ses coordonnées, pour que nous puissions le contacter pour d’éventuelles précisions.
Le nombre des signalements a augmenté de manière significative. Depuis l’installation de l’Autorité en juillet 2022 jusqu’au 25 janvier 2024, plus de 1900 signalements nous sont parvenus. Le phénomène s’explique par la restauration de la confiance du citoyen dans les institutions de l’Etat et aussi les efforts déployés par la HATPLC dans la consécration de la culture de signalement, par les sorties sur le terrain et les rencontres organisées dans les universités ou dans d’autres espaces.
Le réseau pour la transparence via la plateforme numérique Narakom, lancée en 2024, par la HATPLC, est un autre mécanisme incitatif à la dénonciation des faits de corruption, en impliquant les citoyens, les associations… Le citoyen doit être conscient de sa responsabilité dans la lutte contre la corruption, en signalant les crimes et actes dont il est témoin.
Vous êtes constamment sur le terrain. Quel est l’intérêt des rencontres régionales et du travail de proximité ?
La Haute autorité de transparence, prévention et lutte contre la corruption est une institution constitutionnelle de contrôle centrale, localisée à Alger. Mais ses missions et ses prérogatives sont plus élargies. Les sorties sur le terrain lui permettent d’informer sur son rôle et comment prendre attache avec ses organes, ainsi que des modalités de coopération mutuelle.
Elle a organisé quatre rencontres régionales dans le cadre du lancement du réseau Narakoum. C’était autant d’opportunités d’interagir avec des élus locaux, des exécutifs locaux, des membres de la société civile, des chercheurs universitaires… Elle a organisé aussi, avec le médiateur de la République, des rencontres sur « le citoyen au cœur des préoccupations du président de la République » et « la transparence, fondement de l’amélioration du service public ».
La HATPLC s’implique dans le systèmes de de transparence par son statut d’institution de contrôle de leur mise en œuvre dans les administrations publiques. Si elle constate des défaillances en la matière, elle émet des ordonnances pour les administrations épinglées y remédient. Les systèmes de transparence visent à améliorer les prestations des administrations publiques et à prévenir contre la corruption. A titre d’illustration, la numérisation des administrations constitue un mécanisme de la transparence, ainsi que le droit du citoyen à l’information et l’assouplissement des procédures administratives.
Nous travaillons actuellement sur un projet de décret exécutif qui déterminera les systèmes de transparence. Dès qu’il sera en vigueur, la HATPLC entamera sa mission dans ce domaine.
Les pouvoirs publics s’échinent à barrer la route aux spéculateurs et aux opportunistes. Quelle est la contribution de la HATPLC dans la lutte contre ce phénomène ?
A vrai dire, les prérogatives de la Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption sont corrélées aux dispositions de la loi 06-01 relative à la lutte contre la corruption. Mais on peut considérer que la spéculation et la fraude sont de nature à évoluer en actes de corruption. Si nous recevons des signalements sur la spéculation ou la fraude, nous les transférons vers les institutions et organismes compétents
Comment lutter contre la bureaucratie, qui freine souvent l’investissement et le développement économique ?
La HATPLC participe effectivement au combat contre la bureaucratie, en s’attelant à moraliser la vie économique, à créer un climat des affaires sain et à instituer une concurrence loyale. C’est d’ailleurs l’un des objectifs essentiels de la stratégie nationale de prévention et lutte contre la corruption, lancée en juillet 2023. Nous comptons nous réunir avec les hauts cadres en charge du secteur économique, les opérateurs économiques et les syndicats pour établir un plan d’actions étendu sur cinq ans, soit la durée de l’application de ladite stratégie nationale. Nous sommes, certes, au début du chemin, la HATPLC a, néanmoins, élaboré un indice de l’intégrité qui permet d’évaluer l’impact des mesures de prévention contre la corruption au sein des administrations.
Dix-sept ministères et onze organismes sous tutelle ont adhéré à ce principe. Nous projetons, au deuxième semestre de l’année 2024, de calquer cet d’indice d’intégrité sur le secteur économique.
Où en est l’exécution de la stratégie nationale de lutte contre la corruption ?
La HATPLC a mis trois ans dans l’élaboration de cette stratégie nationale, en associant tous les ministères, la société civile et les institutions économiques, dans une démarche participative. La stratégie nationale a été mise en œuvre officiellement en juillet 2023. Elle se décline en cinq axes principaux, 17 objectifs et 60 mesures, lesquelles seront toutes appliquées à échéance 2027. La Commission nationale de suivi de son application a été installée, le 15 janvier 2024. Nous préparons actuellement les programmes sectoriels, annuels et quinquennaux.
Parmi les 54 engagements du Président de la République, la restitution des deniers publics dilapidés. Quel est le rôle de la HATPLC dans ce dossier ?
A vrai dire, c’est une démarche qui relève de la Justice, qui s’appuie sur des commissions rogatoires et de la coopération judiciaire internationale ou bilatérale. La HATPLC peut contribuer par le biais des signalements qui lui parviennent sur les biens de l’Etat détournés. Nous relayons l’information aux juridictions compétentes.
La HATPLC a conduit, au mois de décembre à Atlanta, la délégation algérienne à la Conférence des États parties à la Convention des Nations unies contre la corruption (COSP10). C’était une occasion pour programmer, sur initiative du bureau de lutte contre la drogue et la corruption des Nations unies, des entretiens bilatéraux entre des représentants du ministère de la justice et leurs homologues américains, suisses… Ce qui a permis de relancer ces dossiers.
Quelle est votre appréciation des progrès enregistrés par l’Algérie dans le dernier classement de Transparency International ?
Le rapport annuel a été rendu public récemment. Il livre un classement de 184 pays suivant des critères précis. En se classant à la 104e position, l’Algérie a gagné douze places par rapport à 2022. Elle a augmenté aussi son score à 36 points. Cette progression est positive, en ce sens que cette organisation a évalué les efforts consentis par les autorités algériennes en 2023, année durant laquelle une législation et des mécanismes de lutte contre la corruption ont été mis en place. La HATPLC s’emploie à consolider ces efforts par des actions concrètes. La matérialisation de l’engagement 4 du président de la République, sur la moralisation de la vie publique, est sur la bonne voie.
Pouvez-vous nous faire le point sur les déclarations de patrimoine des élus locaux et des hauts cadres de l’Etat ?
Uniquement environ 15% des élus, pour le mandat 2021-2024 ont procédé à la déclaration de leurs patrimoine, jusqu’à la fin 2022. Durant l’année 2003, nous avons entrepris, avec le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, une démarche proactive qui a certainement optimisé ce taux. Cela reste insuffisant. C’est un manquement de la part des élus, mais aussi des institutions qui n’ont visiblement pas assez informé sur cette obligation. Il faut reconnaitre aussi que les procédures sont complexes. D’où l’intérêt d’une plateforme numérique dédiée à cette opération. La sensibilisation et la formation jouent, dans ce domaine, un rôle important. La HATPLC prépare une rencontre nationale pour sensibiliser les élus et les cadres supérieurs de l’Etat sur cette procédure, afin qu’elle puisse, à l’avenir prendre des mesures coercitives contre les contrevenants. Dans les administrations publiques et les ministères, 99% des fonctionnaires déclarent leurs patrimoines.