Pr. Haddoum, chef de service néphrologie CHU Mustapha à la Patrie news
« Il faut un dépistage précoce des populations à risque »
Le Professeur Farid Haddoum a séjourné, de la mi-août à début septembre dans deux pays de l’Afrique subsaharienne. Il a participé à une réunion élargie de la Société internationale de néphrologie, qui relance le partenariat sud-sud. Le service de néphrologie qu’il dirige au CHU Mustapha a acquis le statut de centre formateurs des médecins et paramédicaux africains. Dans cette interview, il fait le point aussi sur la situation de la maladie rénale en Algérie
Propos recueillis par
S. Biskri
La Patrie news : Vous avez participé, récemment à des rencontres dans deux pays africains différents. Pour quels objectifs ?
Professeur Farid Haddoum : La Société internationale de néphrologie (ISN) investit, depuis 15 ans en Afrique subsaharienne, dans la formation des équipes dans cette spécialité médicale. Dans ce cadre, il existe une coopération sud-sud, en ce sens que des médecins ou des paramédicaux de l’Afrique subsaharienne viennent se former ou se perfectionner dans des pays de l’Afrique du nord. L’ISN avait désigné, il y a dix ans, quelques centres formateurs qu’on appelle les « Rénal sister centers ».
En Algérie, j’ai eu l’honneur de diriger un centre formateur, d’abord au CHU Nefissa Hemoud (ex Parnet) puis au CHU Mustapha. Depuis 2008, à part la période Covid (2020-2022), il n’y a pas eu interruption de cette coopération. Nous avons reçu, en formation, vingt médecins et une dizaine de paramédicaux pour des périodes de six mois à trois ans. Ils avaient bénéficié de bourses accordées par l’ISN.
Comment a été conçue la coopération sud-sud ?
D’abord, les pathologies courantes en Afrique subsaharienne n’existent plus en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique. Puis les titulaires des bourses de 1500 à 2000 dollars par mois, sont plus à l’aise dans nos pays qu’en Occident. Ils ont un meilleur pouvoir d’achat. Enfin, il est possible de maintenir le contact à la fin de la formation.
Après la période covid, il a été convenu d’organiser une réunion entre les membres de l’ISN et les chefs de centres formateurs. Elle a eu lieu à Kinshasa (capitale du RDCongo). Du 25 au 30 août, il y a eu un cours international de néphrologie, assuré par des professeurs venus de plusieurs pays. J’ai été invité pour animer des conférences dans ce cadre. Il y avait environ 500 participants.
Le statut de centre formateur apporte quel bénéfice au service de néphrologie algérien ?
C’est un échange intellectuel. Mais plus tard, ça peut rehausser le niveau d’influence de la médecine algérienne sur la néphrologie dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Lors de mon déplacement au RDCongo, j’ai remis sur rail le projet de former à nouveau des spécialistes et des infirmiers dans notre service au CHU Mustapha. Nous recevrons un à deux médecins, qui évolueront dans l’équipe du service.
La deuxième partie du programme a eu lieu au Congo-Brazzaville, à l’initiative des directeurs généraux des hôpitaux et des préfets de Brazzaville et Pointe noire. Dans ces villes, j’ai animé conférences magistrales et participé à des soins hautement spécialisés dont des biopsies rénales. Les fragments ont été confiés au service anapath du CHU Mustapha pour lecture.
Considérant que la néphrologie n’est pas développée dans les pays que vous avez cités, est ce que des patients de l’Afrique subsaharienne viennent se soigner en Algérie ?
Evidemment. Nous avons greffé en Algérie, des malades africains, qui ne pouvaient pas être dialysés dans leurs pays, car l’accès au soin n’est pas gratuit comme dans notre pays. Au RDC, pour 100 millions d’habitants, il y a, à peine, dix centres de dialyse. En Algérie, pour 45 millions d’habitants, nous avons 400 centres d’hémodialyse chronique, dont environ 200 cliniques privées. C’est pareil au Congo-Brazzaville, il n’y a pas de politique de prise en charge des insuffisants rénaux.
Les néphrologues, formés en Algérie, préparent les couples donneurs-receveurs, et les envoient chez nous pour la greffe rénale, avec aval de l’Agence nationale des greffes.
Nous espérons la poursuite de la coopération sud-sud entre notre service et des villes comme Nouakchott (Maurétanie), Ndjamena (Tchad), Abidjan (Côte d’Ivoire, Yaoundé, Douala (Cameroun), Pointe noire, Brazzaville (République du Congo), Kinshasa (RDC).
Comment est-il possible de greffer des couples donneurs-receveurs venus de l’Afrique subsaharienne, alors que la liste des algériens en attente d’une transplantation rénale est assez longue ?
Il s’agit de cinq ou six greffes par an. Ça ne gêne pas du tout l’activité des unités de transplantation. Mais, vous soulevez un autre problème. Est-ce que l’offre de dons d’organes est suffisante en Algérie. La réponse est non. 150 à 200 greffes rénales sont réalisées par an. L’idéal est d’en faire 1000, pour équilibrer les nouveaux cas qui arrivent en hémodialyse chronique.
Le Centre national de greffe d’organe et de tissus a ouvert ses portes à Blida, il y a quelques années. Mais pour l’instant, l’offre de soin reste en dessous de ses capacités.
Quelle est l’incidence de la maladie rénale ?
Il n’y a pas d’étude nationale sur les patients présentant un début de dysfonctionnement rénal. Nous avons des indicateurs plus précis sur ceux admis en hémodialyse chronique. En 2021, on dénombrait 35000 malades en hémodialyse, avec 1000 nouveaux cas chaque année. A ce nombre, il faudrait déduire 3000 greffés et 1000 malades mis sous dialyse péritonéale.
On dit que l’hémodialyse est l’échec du protocole thérapeutique des problèmes rénaux. Que faut-il entreprendre en amont, pour éviter d’en arriver à ce stade de la maladie ?
Il faut une politique de dépistage précoce, qui ciblerait les populations à risques, c’est-à-dire les diabétiques, les hypertendus, les coronariens, les personnes souffrant de cardiopathie, les obèses…
Il faut savoir qu’il n’y a pas de facteurs déclenchants de la maladie rénale mais des circonstances favorisantes. Le diabète et l’hypertension artérielle sont, pour nous les néphrologues, les deux maladies chroniques les plus pourvoyeuses d’insuffisance rénale chronique.
Il faudrait développer en Algérie, la technique de dialyse péritonéale, qui n’est pas vraiment utilisée alors qu’elle est généralisée dans les pays riches, car elle est 10 fois moins chère que l’hémodialyse et constitue la meilleure phase préalable à la greffe.
La tendance au tout-hémodialyse, chez nous, est alimentée par des lobbys commerciaux d’importateurs et de distributeurs.
S. B.