Segment du logement public locatif
Pourquoi une évaluation sereine s’impose ?
De tous les segments de logements aidés habitat rural, location vente, promotionnel le logement public locatif est sans doute celui qui suscite le plus de polémiques, de
passions voire de tensions.
Cette réalité, il faut le souligner, n’est pas une spécificité algérienne. Sous tous les cieux, le logement public locatif, communément appelé logement social, suscite le débat. Les questionnements ne concernent pas tant l’opportunité de cette formule ; même au sein des économies libérales avancées, l’utilité sociale du segment n’est pas en cause.
Reconnu comme un gage de la solidarité de la collectivité, à l’égard des populations disposant de revenus modestes, le logement social provoque la polémique sur des questions touchant à son financement, sa distribution et sa gestion.
En Algérie, un rappel préalable s’impose. Le logement social puise sa légitimité dans le combat libérateur contre l’iniquité d’un système colonial. Bannir le gourbi et offrir un logement décent aux algériens spoliés est inscrit en tant que dogme dans la déclaration du 1er novembre qui appelle à l’avènement d’un Etat algérien social.
Cette option n’a jamais été démentie depuis l’indépendance. Elle a été solennellement inscrite dans le texte de constitution qui proclame que « l’État veille à assurer au citoyen l’accès au logement notamment pour les catégories défavorisées » et confirmée récemment par le chef de l’État M. Tebboune qui a rappelé que « l’Algérie sera un État social ad vitam aeternam, parce que c’est une exigence de ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays ».
Cette option a été confirmée récemment
par le Chef de l’État M. Tebboune qui a rappelé
que «l’Algérie sera État social ad vitam
aeternam, parce que c’est une exigence
de ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays».
Ceci étant rappelé, le devoir de vérité nous amène à établir deux constats. Le premier est que les financements publics massifs consacrés à la réalisation d’importants programmes de logement public locatif ont été, au cours des dernières décennies, un formidable levier de promotion sociale. Pour des millions de citoyens algériens disposant de revenus modestes, l’accès à un logement social a été un tremplin pour sortir de la précarité et accéder aux commodités de base d’une vie décente.
Identifier les dysfonctionnements
Le second constat est que le segment LPL n’a jusque là pas été l’objet d’une évaluation sereine pour mesurer l’efficience des dispositifs en vigueur, identifier les dysfonctionnements, corriger les mauvais choix et ce, à différents niveaux : financement, distribution, gestion du parc immobilier.
Tout d’abord sur la question du financement. Le logement public locatif a pendant longtemps été financé par le recours à des concours mixtes associant prêts du Trésor Public (à long terme et à un taux d’intérêt préférentiel) et concours bancaires. Cette option a été par la suite définitivement abandonnée, à la fin des années 90 ; les programmes LPL sont, depuis, financés sur concours budgétaires définitifs.
Face à cette évolution, quelques remarques préliminaires s’imposent.
Tout d’abord, concernant l’option actuelle d’un financement budgétaire exclusif. L’argument le plus souvent entendu pour expliquer ce choix évoque l’insolvabilité de la population éligible à l’attribution de ce logement. Cette justification est, de notre point de vue, un peu sommaire, car elle occulte l’impasse faite sur la mobilisation de l’épargne des ménages.
S’agissant d’un bien de consommation durable, un effort d’épargne même modeste ne peut que recevoir l’assentiment des citoyens, s’il est adossé à la perspective de
l’accès à un logement aidé par l’État.
Réhabiliter l’équation épargne logement
La crédibilité de l’ option du recours à l’épargne peut être étayé par un bref retour vers le passé. Au début des années 70, l’épargne des ménages, à travers la CNEP, a connu un développement considérable parce que c’était une exigence préalable à l’acquisition d’un logement social (Les conditions alors en vigueur étaient la détention d’un livret réunissant deux ans d’ancienneté et 500 DA d’intérêts).
Au début des années 70, l’épargne
des ménages, à travers la CNEP,
a connu un développement considérable
parce que c’était une exigence préalable
à l’acquisition d’un logement social.
S’agissant maintenant de la distribution des logements publics locatifs, un regard rétrospectif nous révèle que jusqu’à la promulgation du décret 08-142, actuellement en vigueur, la réglementation encadrant cette question a fait l’objet de multiples amendements, invariablement justifiés par la recherche d’une meilleure transparence et équité. Les changements apportés ont concerné la composition de la commission d’attribution, sa présidence, l’encadrement des prérogatives de l’exécutif local et enfin l’aménagement du barème de cotation pour le classement des dossiers des demandeurs.
A ce niveau, quelques observations peuvent être faites concernant la réglementation en vigueur. Tout d’abord, s’agissant de la présidence de la commission par le chef de Daira, il nous apparait que ce choix est, à certains égards, discutable. S’agissant de statuer sur
les dossiers de citoyens résidants dans la commune, confier cette responsabilité au Président d’APC élu et proche de la population locale nous parait être plus judicieux.
Mais ce point n’est pas essentiel, d’autres dysfonctionnements autrement plus contraignants peuvent être relevés. On peut citer ainsi la question de la mise à jour des dossiers sociaux des demandeurs. Entre la date du dépôt du dossier du postulant et le moment de l’attribution du logement, il n’est pas rare que la situation du demandeur connaisse des changements (acquisition d’un bien immobilier ou passage à un revenu supérieur au seuil requis par la loi). Cette défaillance est souvent à l’origine des tensions
observées au moment de l’affichage de la liste des attributaires.
Autre source de discorde, l’article 9 du décret sus-cité qui évoque un traitement dérogatoire pour les cas de résorption d’un site d’habitat précaire ou de survenance d’aléas naturels. Bien que l’affectation des logements soit soumise à l’aval du gouvernement, cette brèche dans la loi, crée de toute évidence un sentiment d’injustice chez les citoyens en attente d’une attribution. Bien plus, par un effet pervers, la disposition sus citée a favorisé la prolifération de sites d’habitat insalubres dans l’objectif d’accéder à un logement sans subir les contraintes de la procédure réglementaire habituelle.
Numérisation : l’interopérabilité pour débusquer les fraudeurs
Ces quelques insuffisances ainsi soulignées ; faut-il cependant se hâter de conclure que la recherche de l’équité et de la transparence est un combat vain. La réponse est définitivement non. Les outils offerts par la transition numérique, conjugués à une forte volonté politique, peuvent aujourd’hui dans une large mesure juguler les défaillances et subjectivités humaines. Institué par l’article 59 du décret suscité, le fichier national du logement est, dans ce sens, un grand pas sur la voie d’une gestion transparente de la demande. Véritable filtre anti fraude, qui recense l’ensemble des citoyens ayant bénéficié d’une aide de l’État, cet outil, a dans la période la plus récente, vu son efficience décuplée à travers une nouvelle plateforme numérique.
Élaborée dans le cadre d’une opérabilité intersectorielle, cette dernière permet désormais l’interconnexion des structures de l’habitat avec celle d’autres secteurs, à l’image des Domaines, de la CNAS, de la CASNOS, de la CNR. Cette nouvelle configuration permet de contrôler tant le revenu des postulants que leur situation patrimoniale. Fait à souligner, cette interconnexion peut, au moment opportun, être élargie à d’autres administrations, le fisc notamment.
Véritable filtre anti fraude, le FNL
à dans la période la plus récente,
vu son efficience décuplée à travers
une nouvelle plateforme numérique.
Cette évolution positive axée sur l’équation transition numérique et transparence est, il faut le rappeler, un axe essentiel d’une réforme globale de la politique de l’habitat inscrite, tant dans les engagements du Président de la République M. Tebboune, que dans le plan d’action du gouvernement. Ce dernier accorde en effet une attention particulière « à la mise en place des moyens adéquats pour lutter contre la fraude en matière d’attribution de
logements, par le renforcement du dispositif d’attribution et du contrôle préalable ».
Ne pas rééditer les fausses solutions d’hier
Enfin, la gestion du parc immobilier constitue une autre question épineuse qui à ce jour n’a pas trouvé de solution satisfaisante. Les OPGI organismes bailleurs, Epic, de par leur statut juridique, connaissent de sérieuses difficultés dans l’accomplissement de leurs missions. On peut, à cet égard, citer notamment le faible taux de recouvrement des loyers, pourtant modestes et fixés administrativement. Cette situation, à elle seule, rend problématique l’entretien physique des immeubles et leur gestion.
Une politique de logement social
s’appuyant sur les seules ressources
budgétaires pour construire des logements
et les gérer n’est de toute évidence
pas viable à long terme.
En l’état actuel des choses, cette impasse ne peut être dépassée que si les OPGI font diligence et appliquent la loi dans toute sa rigueur pour obliger les locataires récalcitrants à s’acquitter de leurs obligations en engageant au besoin des procédures contentieuses en vue d’appliquer les sanctions prévues par la loi. A cette démarche coercitive à l’égard des locataires défaillants est souvent opposé le cas de l’insolvabilité des locataires, cependant, de notre point de vue, la modicité des loyers appliqués rend irrecevable l’argument de l’indigence dans l’écrasante majorité des cas.
En tout état de cause, sauf à mettre en péril, le parc immobilier en exploitation et à restreindre drastiquement le lancement de nouveaux programmes, il apparait ici que la politique des loyers poursuivie jusque là est insoutenable. Une politique de logement
social s’appuyant sur les seules ressources budgétaires pour construire des logements et les gérer n’est de toute évidence pas viable à long terme.
En définitive, à travers les quelques dysfonctionnements recensés, on retiendra ici que le segment du logement public locatif a fortement besoin d’une nouvelle vision s’appuyant sur un cadre réglementaire rénové. Ce lourd dossier est présentement pris en charge par le
gouvernement avec une franche détermination de réforme.
Vecteur d’équilibre et de stabilité sociale,
le sujet du logement social est sensible
et les solutions envisagées méritent
d’être sérieusement maturées
Vecteur d’équilibre et de stabilité sociale, le sujet du logement social est sensible et les solutions envisagées méritent d’être sérieusement maturées pour ne pas rééditer les fausses solutions d’hier. Les enjeux sont de taille : ils ont pour noms : équité, transparence, lutte contre les pratiques de fraude, développement durable, amélioration du cadre de vie des citoyens…
Par Ahmed Belayat, DG de la CNL
REVUE DE LA CAISSE NATIONALE DU LOGMENT N°4 MAI 2022