Après son « invasion » lancée contre l’enclave de Ceuta : Le Maroc en guerre économique contre l’Espagne
Teigneux et belliqueux comme pas un, le royaume chérifien fait désormais flèche de tous bois dans son entreprise vengeresse contre le royaume ibérique, à qui il est reproché d’avoir hospitalisé le président sahraoui, Brahim Ghali, en toutes souveraineté et transparence. Après la punition migratoire et diplomatique, le Maroc attaque le flanc économique espagnol avec une décision qui nuit avant tout à ses citoyens en Europe.
Le premier était la sanction de l’immigration, avec une avalanche record de « sans-papiers » à Ceuta en mai – autorisée, sinon encouragée, par les autorités marocaines. Puis ce fut le diplomate, avec le retrait peu après son ambassadrice à Madrid, Karima Benyaich. Vient maintenant le tour du coup économique.
Mohamed VI a lancé un coup géopolitique millionnaire pour ramener ses migrants au Maroc pour des vacances sans avoir à mettre les pieds en Espagne, lançant son troisième défi direct à Madrid en seulement un mois. Le 6 juin, le ministère marocain des Affaires étrangères a annoncé que l’opération Marhaba 2021, comme ils appellent l’opération Paso del Estrecho (OPE), ne passerait pas cette année par les sept ports espagnols qu’elle a traversés jusqu’en 2019.
Pour voyager en bateau , avec leur propre véhicule, les Marocains résidant en Europe ne pourront embarquer, pour l’instant, qu’à Marseille et Sète (France) et à Gênes (Italie).
Ne pas voir cette image estivale classique de milliers de voitures traversant la péninsule avec des coffres et des barres de toit à exploser coûtera à l’Espagne des centaines de millions d’euros.
Que cette mesure inédite – liée aux transports – soit annoncée par le ministère des Affaires étrangères et non par la branche montre qu’il s’agit d’une décision politique, encadrée dans la crise entre les deux pays voisins.
C’est ainsi que la presse marocaine l’a interprété. « Opération Marhaba : le Maroc fait un coup d’État de 1.150 millions d’euros à l’Espagne », titraient plusieurs journaux marocains, tous citant les données des pertes calculées par le journal madrilène ‘La Razón’. Dans son effort pour apaiser la tension avec le Maroc, la ministre des Affaires étrangères, Arancha González Laya , a contredit mercredi la presse marocaine.
La démission pour utiliser les ports espagnols n’était pas une punition de Rabat, a-t-il précisé dans une interview à Onda Cero, mais était due à des « raisons de santé » liées à la pandémie.
Une histoire qui ne cadre pas avec les ferries qui ont commencé à rentrer mardi 15 dernier, d’Algésiras à Tanger, avec les 12.000 saisonniers marocains qui ont collecté la fraise à Huelva cette année sans raisons de santé l’en empêcher. Avant l’embarquement, les travailleurs subissent un test PCR.
La réponse du ministre indique que le gouvernement espagnol ne va pas mener une bataille juridique contre cette décision marocaine. Et il pourrait le faire, selon les experts, en revendiquant les principes de solidarité inscrits dans les traités de l’Union européenne.
Aucun port ou compagnie maritime d’un État membre ne devrait pouvoir se prévaloir de la discrimination à laquelle le Maroc soumet arbitrairement l’Espagne, selon des sources proches du droit communautaire. L’estimation des pertes du journal ‘La Razón’ est peut-être un peu volumineuse.
Mais il est vrai que cinq ports andalous – Algésiras, Almería, Málaga, Tarifa et Motril -, ainsi que ceux de Ceuta et Melilla, subiront une baisse de leurs revenus ; ainsi que les compagnies maritimes qui exploitent les liaisons entre l’Espagne et le Maroc seront gravement impactées. Les stations-service dans lesquelles les immigrés migrants se sont approvisionnés cesseront d’entrer environ 100 millions d’euros, selon la Confédération espagnole des employeurs de stations-service.
Le veto marocain sur l’OPE via l’Espagne a cependant son petit côté positif. Son organisation a été un véritable casse-tête pour les autorités andalouses, les mairies des villes portuaires et, surtout, le ministère de l’Intérieur.
Il a refusé de préciser le coût pour l’État, mais il a indiqué que de juin à septembre, il a mobilisé jusqu’à 21 000 fonctionnaires de diverses administrations. En 2019, dernière année où l’OPE fonctionnait à pleine capacité avant la pandémie, près de 1,6 million de Marocains résidant en Europe à bord de plus de 370 000 véhicules ont traversé la Péninsule depuis et vers et ont embarqué.
La diaspora marocaine en Europe a réagi avec un énorme malaise au veto de Rabat sur les ports espagnols, les plus proches du Maroc. La presse de Rabat et de Casablanca a même fait écho à son dégoût.
« Les immigrés ne peuvent pas payer la vaisselle cassée [de la crise] », s’est plaint Mohamed el Gherby, président de l’Association des travailleurs immigrés marocains , qui depuis Logroño a supplié son gouvernement « de ne pas faire souffrir ses citoyens ».
Malgré le prix relativement bas des billets d’avion ces dernières années, de nombreux Marocains préfèrent encore rentrer chez eux après leurs vacances dans de grosses voitures. Ils voyagent généralement en famille, avec le véhicule plein de cadeaux pour leurs proches.
C’est une tradition qu’ils distribuent des cadeaux en signe d’affection et de leur statut dans le pays européen d’accueil. Le véhicule leur sert également à se déplacer à l’intérieur de leur pays. Le changement de traversée, en embarquant par exemple à Marseille au lieu d’Algésiras, allonge le trajet entre 30 et 48 heures. Et, surtout, multipliez son prix jusqu’à six.
Les ordres de Mohamed VI ont également eu un effet dans le domaine de l’aviation civile. Le président de Royal Air Maroc (RAM), Abdelhamid Addou , a annoncé lundi que la compagnie nationale offrirait trois millions de billets aux immigrés à des prix compris entre 97 et 150 euros pour un aller-retour depuis n’importe quelle ville européenne. Ce même mercredi, les places affichaient déjà complet pour certaines dates, notamment pour la grande fête religieuse d’Aid al Adha, qui se tiendra le 21 juillet.
Le vice-ministre en charge de l’émigration marocaine, Nezha el Ouafi, a révélé à la Chambre des représentants que les baisses du prix des billets et du dispositif pour accueillir les immigrés coûteront au trésor public environ 180 millions d’euros.
En ordonnant aux compagnies aériennes de proposer des billets « à prix raisonnables » aux « familles marocaines », Mohamed VI s’ingère sur le marché qui contredit l’accord aérien de 2018 entre le Maroc et l’Union européenne. Il stipule qu’il doit y avoir une « concurrence loyale » entre les entreprises.
La RAM, subventionnée pour proposer des billets bon marché, ne rivalise pas à armes égales avec ses rivaux. A cette première objection légale s’ajoute une discrimination – potentiellement illégale – car ces remises ne sont destinées qu’aux familles marocaines et non, par exemple, aux touristes européens qui souhaitent partir en vacances au Maroc.
Reste maintenant à savoir si les compagnies aériennes européennes desservant le Maroc font appel à la justice « des rabais ». En attendant, Mohamed VI vole si bas qu’il ne le fait plus qu’au ras des pâquerettes.
Ali Oussi