Éclairage
Du piège à la censure mémorielle
Par Mohamed Abdoun
Je ne m’étais hélas pas trompé en mettant l’accent, dans un précédent « éclairage », au moment-même du déroulement de la visite dans notre pays du président Macron sur les risques de glissements et de dérapages sous-tendant les relations algéro-françaises. Délivrés à doses homéopathiques, ces glissements et dérapages sont « normalisés chez le citoyen français lambda. Le 1er septembre, le journal Le Monde a décidé de retirer de son site Internet une tribune de Paul Max Morin, un chercheur qui travaille sur la mémoire de la guerre d’Algérie. il ne s’agit rien moins que d’une grossière affaire de censure. L’angle choisi sur la droitisation du discours d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle s’appuyait sur des phrases prononcées en conférence de presse, donnée lors de la visite du président au Cimetière Saint-Eugène à Alger : « Vous savez, c’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique. Il faut savoir se fâcher pour se réconcilier. Moi j’essaie, depuis que je suis président, de regarder notre passé en face. Je le fais sans complaisance. Au fond, sur la question mémorielle, sur la question franco-algérienne, nous sommes comme sommés en permanence de choisir. Et il faudrait dire : ‘Choisissez la fierté ou la repentance’. Moi je veux la vérité et la reconnaissance ». Cela inspirait à Paul Max Morin qu’« En cinq ans, la colonisation sera passée, dans le verbe présidentiel, d’un crime contre l’humanité » à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique ». « Qu’elle ait été prononcée spontanément ou non, la réduction de la colonisation à une ‘histoire d’amour’ parachève la droitisation d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle. » fort heureusement, nous n’en sommes pas (encore) là. Mais, là encore, la manœuvre adroite de Macron se laissait voir venir de loin. L’ouverture des archives du passé colonial français en Algérie vise en premier chef le FLN et sa branche armée l’ALN. Car, ma parole, on ne saurait faire d’omelettes sans casser des œufs. Notre glorieuse lutte armée a été chevaleresque, juste et d’une grande rectitude morale. Si quelques menus dérapages ont pu se produire, afin que la France puisse focaliser dessus l’attention et faire oublier ses nombreux et odieux massacres, nous ne sommes même pas tenus de nous en expliquer. Non ! Nous, nous étions en situation de légitime défense. Nous avons été envahis, déportés, spoliés, volés, violés. Le « piège mémoriel » que nous tend la France est tout aussi grossier qu’inacceptable. De même qu’il est hors de question de placer dos-à-dos bourreaux et victimes, force est de relever que Macron endosse mal son costume de « sainte nitouche, qui se lave les mains du passé criminel et barbare de son pays, uniquement parce qu’il est né après 1962. Il incarne en effet l’Etat français dans le plein et régalien du terme. Robespierre ne s’est guère trompé de siècle. Imprescriptibles, les crimes coloniaux français sont perpétrés et assumés par l’Etat français, droite et gauche confondues. Voilà pourquoi, en évoquant ce « piège mémoriel » dans mon précédent « éclairage », j’avais d’une sorte de second Evian. Il nous apparient de défendre pleinement et bravement la mémoire de nos martyrs. Mais aussi d’imposer et de prouver la culpabilité de la France. Non, la page ne sera ni tournée, ni déchirée…
M.A.