Entretien
Abdallah Arabi, ambassadeur de la RASD en Espagne : « L’Espagne (de Pedro Sanchez) se fait régulièrement humilier par le Maroc »
A cause de la politique inféodée au diktat marocain menée par le président de son gouvernement, Pedro Sanchez, l’Espagne se trouve au creux de la vague. Abdallah Arabi, ambassadeur de la RASD en Espagne, en parle avec diplomatie, mais en termes très forts quand même. A cause de diktat, l’Espagne a perdu toute influence au sein de ses partenaires européens. Sa voix est également devenue inaudible auprès de ses partenaires latino-américains. Tout cela, à cause de la prise de position anormale et illégale de Pedro Sanchez sur la question de décolonisation du Sahara Occidental. Un nouveau gouvernement est devenu incontournable, estime notre interlocuteur. Or, quelle que soit sa couleur politique, il ne sera pas pire que l’actuel, celui conduit par la clique corrompue du PSOE. Le retour de l’Espagne vers la légalité internationale est imminent. L’Algérie, par son gel du protocole de coopération et d’amitié, y a fortement contribué. Mais, que de mal a été fait chemin faisant.
Propos recueillis par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Excellence, en votre qualité de représentant de la RASD auprès de l’Espagne, pouvez-vous nous livrer une réaction à chaud concernant la cuisante défaite du PSOE, parti de Pedro Sanchez, aux élections municipales de ce 28 mai ?
Abdallah Arabi : Salissant des élections locales de ce 28 mai, il s’agit assurément d’une cuisante défaite pour le parti socialiste, notamment au niveau des provinces essentielles dans ce pays. J’entends par provinces essentielles les zones sur lesquelles comptait le plus le PSOE de Pedro Sanchez lors des élections présidentielles ou législatives, qui étaient prévues pour le mois de décembre prochain, et qui ont été avancées à ce mois de juillet en raison de la débâcle totale de ce parti. Cette défaite, ma foi attendue, est à mon sens due à plusieurs facteurs lié à la politique étrangère, à commencer par la détérioration des relations de Madrid avec Alger. J’ajoute à cela le rejet massif par la société civile de la position espagnole concernant le traitement réservé à la question espagnole. A ce constat s’ajoutent bon nombre d’erreurs et de fausses manœuvres commises au plan intérieur, sur le plan politique, social et économique. Les partis alliés du PSOE se sont retrouvés débordés par le PP (parti populaire. NDLR). La campagne électorale de ce dernier s’est essentiellement basée sur l’émigration clandestine, ainsi que sur les pressions diverses que subit l’Espagne de la part du Maroc. Le Maroc n’a respecté aucun de ses engagements pris concernant les enclaves espagnoles de Sebta et Mellila. Ce que voyant, l’opinion publique espagnole, sa presse et sa classe politique n’a retenu que ce point négatif et contre-productif. A savoir que le gouvernement espagnol s’est aligné sur une position contraire à la légalité internationale, sans rien, obtenir en échange. Le fait que Madrid se soit démise de ses responsabilités historiques, légales et politiques concernant la décolonisation du Sahara Occidental a bien sûr grandement influé sur les élections de ce 28 mai.
L’attitude hautaine et autoritaire à l’endroit du Maroc saute carrément aux yeux. Rabat n’en fait pas secret, et œuvre même à en faire étalage. A quoi est due cette forme de diktat ostensible ?
Absolument. L’Espagne se (de Pedro Sanchez) fait régulièrement humilier par le Maroc. Le comportement méprisant du roi marocain à l’endroit du président du gouvernement espagnol est de notoriété publique. Les pressions des autorités marocaines sur l’Exécutif de leurs voisins du nord sont elles aussi nombreuses et multiformes. C’est d’autant plus étonnant que l’énorme concession espagnole sur la question sahraouie, qui place Madrid en en porte à faux de la légalité internationale, n’a absolument rien apporté à cette dernière sur le plan économique, ni même du tracé définitif des frontières maritimes entre l’Espagne et le Maroc. Le Maroc a en effet repris de plus belle la revendication de sa souveraineté sur Sebta et Mellila. Je souligne au passage que le PP avait particulièrement axé sa campagne électorale sur ces enclaves, ainsi que sur la nécessaire lutte contre l’émigration clandestine. Ces questions, essentielles pour le peuple espagnol, mais que Pedro Sanchez fait mine d’ignorer superbement afin de ne perdre la face et sa dignité, avait énormément influé sur les résultats des élections espagnoles précédentes. La goutte qui semble avoir fait déborder le vase, c’est l’ingérence directe du Maroc dans ces élections du 28 mais, plus précisément à Sebta et Mellila. (Nous en avons largement rendu compte avant-hier. NDLR). Cela, sans oublier la lettre envoyée par les dirigeants marocains appelant à voter en faveur du PSOE. Cela a beau arranger (en théorie) les affaires de Pedro Sanchez, il n’en demeure pas moins que cette forme d’humiliation et d’ingérence est absolument inacceptable pour l’écrasante majorité des électeurs espagnols. Au lieu d’avoir un quelconque impact positif sur les résultats électoraux du parti socialiste, les conséquences ont au contraire été désastreuses. Et c’est ce que tout le monde a pu constater de visu, chiffres à l’appui.
Quelles pourraient être selon vous les conséquences directes des résultats du vote du 28 mai passé sur le devenir et l’avenir politique du PSOE, mais aussi et surtout sur la politique espagnole, à commencer par la cause sahraouie ?
Au plein de la politique intérieure espagnole, il est clair que c’est le PP, incarnant la droite de ce pays, qui sort grand gagnant de ces joutes électorales, et qui a désormais le vent en poupe. Pour ce qui est de la question sahraouie, il est encore trop tôt pour se prononcer, d’autant que plusieurs points doivent être pris en ligne de compte. Sur le plan de politique intérieure, il y a lieu de se demander si ces résultats catastrophiques du PSOE seront reconduits lors des législatives et présidentielle du mois de juillet prochain. Quant à la question sahraouie, tout changement gouvernemental ne pourrait que lui être positif. Il est en effet de faire pire que le PSOE avec sa position, s’alignant totalement sur celle du Maroc colonial qui, en prônant son prétendu plan d’autonomie, défend en fait subrepticement une annexion pure et simple des territoires non-autonomes du Sahara Occidental. Donc, j’insiste pour dire que n’importe quel changement gouvernemental serait positif pour nous, et nous ramènerait de nouveau vers le respect de la légalité internationale. Mon souhait est que le futur gouvernement, dont la formation est devenue inéluctable désormais, adopte une attitude légaliste et équilibrée, vis-à-vis de la question sahraouie, mais aussi à l’endroit de l’ensemble des Etats membres du Maghreb arabe. Il faut être juste et équitable aussi bien avec le Maroc qu’avec l’Algérie. Sachant que le droit international est de notre côté, un gouvernement plus juste ne pourrait que mieux s’entendre avec l’Algérie et la RASD. Et, si cela ne plait pas au Maroc, il n’a qu’à se plier à cette légalité internationale, et aux engagements qu’il a personnellement signés en 1991 en faveur de la tenue d’un référendum d’autodétermination de notre peuple.
Partant de ce que vous dites, et des résultats de ce vote humiliant pour Pedro Sanchez et les siens, ya-t-il une chance que Madrid revienne rapidement vers le respect de la légalité internationale, et se plie à ses obligations historiques en tant que « puissance administrante » du Sahara Occidental ?
Cette éventualité positive est totalement envisageable bien sûr. Il faut cependant prendre en ligne de compte les intérêts qui seront ceux du futur gouvernement espagnol. Celui-ci, outre un regard lucide et juste envers l’ensemble des Etats du nord de l’Afrique, devra également mieux appréhender le phénomène de l’émigration clandestine, de même que la gestion ou la préservation de Sebta et Mellila. Le nouveau gouvernement aura à mieux défendre ces enclaves au sein, ou dans le cadre, de l’UE. Dans tous les cas de figures le futur gouvernement espagnol sera appelé à corriger les dérives de Pedro Sanchez, et à faire revenir Madrid vers la légalité internationale.
Cette cuisante défaite du PSOE, peut-elle avoir des conséquences directes ou indirectes sur l’attitude du Conseil de sécurité, ainsi que sur celle du continent latino-américain ?
Vous faites bien de poser cette question. La politique étrangère espagnole a des priorités indéniables. L’Amérique Latine en fait effectivement partie. De même que l’UE. Quant à l’Afrique du nord, la diplomatie espagnole souffre d’une grande faiblesse. C’est d’ailleurs ce qui en ressort à travers la dernière prise de position du président du gouvernement espagnol à l’endroit de la question sahraouie. Il en va de même avec l’UE. L’influence marocaine a considérablement réduit Le poids diplomatique espagnole au sein de l’UE. A cause de l’emprise marocaine sur Madrid, la diplomatie espagnole n’est plus que l’ombre d’elle-même sous le règne de Pedro Sanchez.