Entretien
Alhoussene Campel Cissé, activiste politique de la République de Guinée Conakry : « Il faut que la France arrête de soutenir les dictateurs ! »
Depuis son exil français, Alhoussene Campel Cissé se bat pour l’instauration de la démocratie dans son pays, mais aussi partout en Afrique. Dans ce court entretien, il réagit à chaud au coup d’Etat avorté qui vient de secouer son pays. D’une manière ou d’une autre il y voit la main de la France. Cette France qui, s’exclame-t-il doit absolument cesser de soutenir les dictateurs !
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Est-il possible d’avoir une réaction à chaud concernant le coup d’Etat avorté qui vient de se produire ce mercredi dans votre pays, en Guinée ?
Alhoussene Campel Cissé : Il n’y a hélas pas que la Guinée Bissau qui est touchée par e phénomène regrettable. Presque toute l’Afrique de l’ouest en est contaminée. Vous avez la Mali, le Burkina Faso, et maintenant ce coup de force avortée en Guinée Bissau. Il ya également eu des incidents similaires la veille au Niger. (Rire désabusé !) je ne sais franchement pas que dire face à cet amer constat.
On et en train d’assister à une sorte d’effet boule-de-neige. Comment expliquez-vous ce phénomène nouveau ?
Beaucoup d’observateurs incriminent la France. Disent qu’elle est derrière. Même si ce n’est pas réellement le cas la faille réside chez nos dirigeants eux-mêmes. Prenez ceux de la Cédéao et de toute l’UA. On a des chefs d’Etats produits de coups de forces, et qui aspirent à rester au pouvoir par tous les moyens. E faisant, ils multiplient les mandants sans se soucier de ce qu’en pensent leurs peuples respectifs. Ils ignorent les contraintes constitutionnelles. Mais, ce sont eux qui alimentent les caisses de l’UA et de la Cédéao. La France ne monte pas au créneau. Observe passivement. Car, hormis la Guinée, ce sont tous des pays francophones. Les militaires du Mali, d Guinée et d’autres pays se sentent encouragés dans leur démarche à cause du silence et de la passivité de la France. Le vrai problème réside ici, et nulle part ailleurs…
Vous mettez en cause l’inaction de la France. Ce sont pourtant des pays indépendants et souverains dans leurs prises de décision. En théorie du moins…
Les connivences entre l’armée française stationnée dans ces pays francophones et le dirigeants hexagonaux relève du secret de polichinelle. Même les prétendus rebelles armés entretiennent des relations plus ou moins apparentes avec les responsables français politiques et militaires. Beaucoup disent à juste titre que la France dispose de tous les moyens requis pour débusquer et éliminer les terroristes, si terroristes il ya. Elle ne le fait pourtant pas. Les drones, les satellites militaires et les moyens de surveillance électroniques le permettent. Au Sahel et dans le désert, les terroristes se déplacent en bandes. Ils sont donc très faciles à localiser, à débusquer et à suivre. Les populations locales finissent par se dire que la France entretient des relations secrètes avec des bandes armées, des militaires dissidents et même des terroristes. Il est cependant hors de question d’encourager les putschs militaires. Voyez un peu le cas malien. Ce n’est pas parce que Goita veut rester au pouvoir coûte-que-coûte que les choses vont s’arranger dans ce pays, comme par enchantement. En Guinée, il se passe pratiquement la même chose. La junte n’a pas défini la période de la transition. N’a pas arrêté un agenda clair et précis. On sait très bien que lorsque des militaires arrivent au pouvoir par les armes, ils n’en partent que par les armes aussi. C’est basique. Goita doit arrêter un agenda clair. Sa durée et son contenu se négocient. Les gens incriminent la Cédéao et l’UA, alors qu’on sait que les grandes décisions viennent des Nations-Unies.
Justement, quel avenir pour la Cédéao et l’UA à l’ombre de ce qui est en train de se passer ?
La Cédéao et l’UA sont en contact direct avec ces gens. Ils sont au courant de beaucoup de choses. Là réside aussi leur difficulté. La solution ne peut venir de l’usage de la force. Je sais que l’Algérie a fait d’intéressantes propositions pour aider le Mali à sortir de l’écueil. Mais, je n’en connais pas le contenu exact.
Est-ce que la France doit se retirer, ou du moins réduire sensiblement le niveau de sa présence ?
De vous à moi, ma réponse est non. Les Africains risquent de s’entretuer entre eux. Tant qu’une feuille de route n’est pas clairement définie et mise en place, la France doit rester en place. Le retrait de l’armée française doit impérativement être précédé par la mise en place d’un gouvernement légitime, issu des urnes. L’histoire nous l’apprend. Un coup d’Etat appelle toujours un a autre coup d’Etat. La force appelle la force. Goita lui aussi doit s’attendre à être écarté un jour par la force. La même chose se passe au Burkina avec le lieutenant-colonel Sandago. Le retrait éventuel de l’armée française ne devrait être discuté qu’avec un gouvernement légitime aussi bien au Burkina, au Mali que partout en Afrique. Un militaire qui prend le pouvoir par les armes n’a pas à prêter serment. Il ne jouit d’aucune légitimité populaire. En Afrique, beaucoup de choses doivent être faites. Clarifiées aussi. En attendant, si les armées françaises doivent se retirer de ces régions, cela devrait être discuté par l’UA, par la Cédéao et même par les Nations-Unies dont sont membres l’ensemble de ces pays. Certes, on n’entend pas beaucoup l’ONU sur ces questions. Elle a quand même son mot dire. Toutes les propositions doivent être placées sur la table de manière simple, légitime et transparente. Dans tous les cas de figures, la légitimité ne saurait venir des militaires les décisions ne peuvent s’enchainer et engager le destin des nations que lorsqu’elles sont prises par des gouvernements légitimement élus. En attendant, et tel que s’enchainent les évènements, un militaire qui ne serait pas d’accord avec Goita peut décider de l’écarter, et de prendre le pouvoir à sa place. Ce n’est pas exclu, il faut me croire.
J’en déduis que vous êtes pour le retour à la démocratie et à la légitimité constitutionnelle…
Absolument. Il faut aussi que la France arrête de soutenir les dictateurs et les dictatures.
Comme au Tchad…
Oui, comme au Tchad. On sait ce qui s’est passé avec Idriss Déby. Il en était à son cinquième mandat, avec le soutien de la France. Les rebelles partis le tuer ne pouvaient pas l’avoir fait sans le tacite accord de la France. Ses troupes et ses services de renseignements ne pouvaient pas ne pas les avoir vus passer. Cela coule de source. Ils étaient à bord d’une centaine de véhicules lourdement armés. Il leur était donc impossible de passer inaperçus. Les mouvements de ces rebelles sont suivis à la trace par toutes les grandes puissance dans le monde, à commencer par la France bien sûr. La même chose, à peu de détails près, s’est produite en Côte d’Ivoire avec Laurent Gbabo et Alasane Ouatara. Ce dernier avait tripatouillé la constitution pour briguer un troisième mandat. En côte d’Ivoire, la situation est stable pour le moment. Mais ça risque de bouger incessamment. Il faut en finir avec ces dictateurs qui sont là depuis dix, vingt, trente et quarante ans. En gros, c’est ce qui peut être dit à chaud dans cette affaire.