Entretien
Christophe Guyot, champion de France de course à moto : « Le Maroc est une dictature. Il faut le dire franchement ! »
La cérémonie de signature de l’accord de jumelage entre les communes de Mejik et Ivry su Seine a été une belle occasion de nouer de nouveaux contacts, dont celui avec Christophe Guyot, un personnage haut en couleur, champion de course à moto, et grand défenseur des causes sahraouie et palestinienne, des causes justes et nobles en somme. En grand champion qu’il est, il va droit au but, évite les circonvolutions cérébrales, et développe des idées basiques, axiomatiques, que personne ne devrait raisonnablement contester : le colonialisme d’hier, comme celui d’aujourd’hui, est criminel et condamnable. Et d’un. Personne n’a le droit d’emprisonner une personne pour ses idées. Et de deux..
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Comment avez-vous vécu la cérémonie de jumelage entre Ivry sur Seine et Mejik en date de ce 25 novembre ?
Christophe Guyot : J’ai suivi cette cérémonie avec beaucoup d’émotion. Le parcours de Claude Mangin (épouse du détenu politique Naama Asfari) a été décrit par une conteuse et un musient, qui ont parfaitement bien retransmis l’histoire poignante de ce couple, cruellement séparé depuis de trop nombreuses années. Cette histoire triste et émouvante nous a été très bien présentée. Outre ma tristesse et mon émotion ressenties, j’ajouterais que je suis particulièrement fier d’appartenir à cette commune d’Ivry sur Seine, parce qu’elle prend à cœur ces questions liées aux droit des peuples à décider librement et souverainement de leur destin. Ce n’est hélas pas le cas de toutes les villes, ni celui de la France, et encore moins de la communauté internationale. Ma fierté se mesure à l’aune qu’au moment où notre ville se solidarise sans retenue avec le peuple sahraouie, beaucoup nous sortent ces vieilles rengaines selon lesquelles, il n’y aurait pas que le Sahara Occidental, ou la Palestine, qu’il faudrait pour le moment se pencher séance tenante sur l’Ukraine. Ces voix nous disent que c’est parce qu’il ya tellement de conflits dans le monde, on ne peut plus s’en occuper. C’est faux, et je suis contre cette approche égocentrique. Notre ville suit une démarche humaine et humaniste. Je la soutiens donc totalement.
Votre commune, dont les actions caritatives et politiques méritent d’être saluées, reçoit aussi beaucoup d’enfants sahraouis venus des camps de réfugiés pour des vacances…
Notre ville, dirigée par Philipe Bouyssou, de même que celui qui l’avait précédé à ce même poste, arbore fièrement une vocation humaine et humaniste. Nous en sommes particulièrement fiers. Nous avons pour vocation de secourir les gens, quels que soient leurs origines ou leurs parcours. Ce qui est bien chez nous, c’est qu’au niveau de notre conseil municipal siègent différents courants politiques, mais qui s’alignent tous sur notre côté humaniste et humanitaire. Nous sommes une authentique ville de paix et d’entente. Nous avons la chance d’avoir un maire qui réunit autour de lui tous les courants politiques, à commencer par ceux qui croient à la solidarité, et à la possibilité du vivre ensemble. Pour lui, si l’essentiel est d’éviter tout conflit au sein de la ville, il s’intéresse à ce qui se passe en dehors de nos murs, et n’hésite pas à porter secours à chaque fois que cela lui est possible. Cela commence par cette affaire du Sahara Occidental. Je la trouve carrément inadmissible. Il est incroyable qu’on en soit encore là, alors que dès 1975 la Cour de justice internationale n’avait pas validé l’appartenance au Maroc de ces territoires non-autonomes. Le pire, c’est que les Sahraouis souffrent indirectement du conflit palestinien, lorsque l’ancien président américain a reconnu dans un Tweet la marocanité du Sahara Occidental en échange de la normalisation par Rabat de ses relations avec Israël. Bien sûr, Trump n’a aucun droit de décider à la place des peuples palestinien et sahraoui.
Le Maroc utilise souvent des voies détournées pour s’adjuger tacitement cette légitimité qui lui est refusée par le droit international. Ici, je fais allusion à cette course internationale de motos devant passer par les territoires occupés, et pour laquelle vous avez interpellé le président de votre fédération sportive. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, je l’ai fait. Mais avec du recul, il m’apparait que dans cette affaire, tout le monde est pris en otage. Si la réponse avait été assez sèche, le plus important est d’attendre ce qui va se passer durant la prochaine compétition. En effet, la plainte avait été déposée en plein déroulement de la précédente épreuve, ce qui était très délicat à gérer. Plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas lorsqu’il s’agira de définir le tracé du parcours de la future épreuve. Lors de mon interpellation, le président de la fédération était dans une position de défense et de défiance, ce qui est tout à fait normal en un pareil cas. Ce que je retiens, et trouve inacceptable, c’’st que le Maroc accorde des droits de passage dans un territoire sur lequel il ne détient aucune légitimité. Je dirais aussi que le gain ou l’intérêt de cette course, et le débat qui en a résulté, est d’avoir permis de reposer la question sahraouie, et de la remettre sur la table.
Le Maroc a empêché l’envoyé personnel du SG de l’ONU de se rendre dans les territoires occupés, avant que Guterres ne soit reçu lui-même au Maroc. N’est-ce pas là une manière pour l’ONU de soutenir le colonialisme marocain et de tourner le dos à la légalité internationale ?
C’est une question technique dans laquelle je n’ai aucune compétence. En revanche, j’ai une totale confiance en notre maire. Sa décision de signer avant-hier (l’entretien a eu lieu ce dimanche. NDLR) un accord de jumelage avec la ville sahraouie de Mijek est pour moi parfaitement juste et justifiée. Ma base de raisonnement est très claire : il faut permettre à tous les peuples de décider librement et souverainement de leur sort. Je trouve intolérable qu’aujourd’hui, en 2022, on en soit encore à se demander si tel ou tel peut décider librement, et à ressasser le sujet du colonialisme. L’Algérie, votre pays, qui a lui-même été colonisé par le nôtre, en sait forcément quelque chose. Le débat sur le colonialisme doit immédiatement prendre fin, avec le colonialisme bien sûr. C’est cette problématique qu’a posé sur la table Philippe Bouyssou. Il s’agit de s’entendre sur des principes de base, en théorie acceptés par tous, comme lutter contre la corruption et l’esclavage moderne. Moi, par exemple, je fais partie des gens qui ne regarderont aucun match de cette coupe du monde de foot. Mais, je pourrais accepter qu’on pense différemment que moi. En revanche, personne ne devrait accepter la poursuite de la colonisation, l’existence de murs de la honte. C’est dans ce sens que j’apprécie et soutient la manière dont s’y prend Claude Mangin. Elle se bat pour remettre sur la table cette question de colonisation, car cela fait longtemps qu’elle est reléguée aux oubliettes.
Oui, d’autant que le conflit ukrainien a fait passer à la trappe tous les autres conflits…
Voilà pourquoi il ne faut pas tomber dans ce piège selon lequel il n’y a pas que la problématique du Sahara Occidental. Oui, bien sûr, il faut parler de l’Ukraine, parce que ce conflit se déroule à nos portes. Mais sans oublier le Sahara Occidental, la Palestine, l’Erythrée… Pour la Palestine, Philippes Bouyssou a été très clair dans son discours : ce ne sont pas les Israéliens qu’il faudrait condamner, mais plutôt leurs gouvernements successifs.
Bien entendu. Des détenus politiques existent en Palestine et au Sahara Occidental. Vous devez bien connaitre le cas des prisonniers politiques sahraouis, dont Claude Mangin n’en finit plus de parler…
En effet. Ce sujet me semble apte à faire consensus, au même titre que le colonialisme. Nul ne devait être embastillé pour une opinion. Des gens qui n’ont commis aucun délit se retrouvent condamnés à 30 ans de prison alors qu’ils n’ont absolument rien fait de répréhensible. C’est absolument scandaleux ! Pour moi, il va sans dire que l’époux de Claude Mangin a le droit de défendre ses idées, son peuple et son indépendance. Mais le Maroc ne l’entend pas de cette oreille. Car il incarne une véritable dictature. Ces idées basiques et en principe indéniables pour tous, me permettent d’avancer et de progresser quand je débats avec des gens qui ne sont pas du même bord politique que le mien. Philippe Bouyssou développe les mêmes idées de manière claire et assimilable pour tous. J’ai trouvé son discours extraordinaire de clarté et d’idées difficilement contestables pour tous. Comme pour la Palestine, notre problème n’est pas avec les Marocains, mais avec leur gouvernement. On défend les droits légitimes du peuple sahraoui face à la dictature marocaine. Rien ne distingue les colons des temps passés de ceux des temps actuels. Condamner le colonialisme d’antan revient aussi à condamner celui d’aujourd’hui.
N. B : Christophe Guyot est un pilote de moto français, champion de France Superbike, vainqueur des 24 Heures Motos et champion du monde d’endurance. Né le 13 juillet 1962 à Marseille, il dirige l’écurie motocycliste GMT94 dont il est le créateur depuis ses débuts en vitesse. Il est également consultant pour la chaîne de télévision Eurosport.