Entretien/ Dr Bakary Traoré, consultant en questions sécuritaires : « La coopération entre Bamako et Moscou a été pleinement fructueuse »
Dr Bakary TRAORÉ est Consultant, spécialiste du Sahel et des questions sécuritaires. Dans cet entretien, il replace les choses dans leur contexte. ce qui se passe présentement au Mali n’a rien à voir avec la situation critique qui prévalait dans ce pays au lendemain de l’assassinat de Kadhafi. Les groupes terroristes, qui bénéficient de diverses aides militaires et financières de la part de certaines officines, jouent leur va-tout à travers leurs récentes contre-offensives. C’est parce que la coopération militaire entre Bamako et Moscou donne des fruits particulièrement probants. Quant au processus de paix en cours, celui-ci devrait être avant tout inclusif. Même les groupes armés devraient y être associés, mais dans le strict respect de fondamentaux qui, selon lui, sont définitivement tranchés et non-négociables.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Que se passe-t-il actuellement au Mali, et pourquoi cette brusque recrudescence de la violence ? Est-ce qu’il y a risque de chute du pouvoir à Bamako, avant le déclenchement de l’opération Serval et l’assassinat de Kadhafi ?
Bakary Traoré : pour répondre à votre question, il convient avant tout de replacer les choses dans leur contexte chronologique. Le colonel Kadhafi a été tué le 20 octobre 2011. A cette époque, c’est ATT (Amadou Toumani Touré) qui était président malien. À mon avis, il n’y avait pas risque de chute du régime de Bamako. Tant bien que mal, le Mali a toujours fait face efficacement aux menaces et attaques terroristes. Cependant, il y avait un gros risque avant le déploiement de l’opération Serval. Celle-ci date de janvier 2013. À cette époque, Bamako vivait sous un régime de transition. Les groupes armés terroristes se sont alliés à des factions séparatistes pour procéder à une sorte de coupe réglée de toute la partie septentrionale du Mali. Des quantités énormes d’armes se sont éparpillées dans toute la région sahélienne à la suite du bombardement intensif de la Libye. Bien sûr, le risque de chute du régime de Bamako était bel et bien présent. Cette chute se serait bel et bien produite, n’eut été l’entrée en scène de Serval. C’est la promptitude de ce déploiement qui a sauvé le régime malien face à l’avancée très rapide des coalisés vers Bamako après la chute de la ville de Kona.
Est-ce qu’on doit parler d’échec de l’expérience de la coopération des FAMA avec Moscou, ou faut-il juste envisager des réajustements ? Si oui, de quelle nature devraient être ces réajustements ?
Ce qui se passe présentement au Mali est une conséquence directe de la montée en puissance des forces armées maliennes, les FAMA. Voilà une dizaine de mois que les FAMA mènent des opérations implacables contre les groupes armés. Sur le terrain, ces opérations se traduisent au quotidien par le démantèlement complet de plusieurs bases et repères terroristes, la destruction de leur matériel, et la limitation de leurs mouvements. Face à cette montée en puissance, nous assistons à une sorte de contre-offensive spectacle, du genre de la toute récente attaque qui avait visé le camp de Cati à Bamako. Pour revenir à votre question, je précise d’abord que ce qui se passe entre le Mali et la Russie est une relation d’Etat à Etat. La précision est de taille, et mérite d’être soulignée avec force. Il est en effet question de coopération militaire entre Bamako et Moscou. Ceci, d’une part. De l’autre, je ne pense pas qu’il faille parler d’échec, ni même de réajustement de cette fructueuse coopération. Cette coopération s’est montrée totalement avantageuse pour les deux Etats. Le Mali a grandement bénéficié de l’appui qui lui manquait en termes d’équipements et de formations des soldats des FAMA. L’appui de la Russie aux FAMA a apporté ses fruits. Ce constat se vérifie sur le terrain au quotidien. À ma connaissance, donc, cette coopération est au beau fixe. D’ailleurs, le ministre russe des Affaires Etrangère, Serguei Lavror est attendu au Mali le mois prochain.
Ce brusque et inattendu retour en force des terroristes islamistes arrange forcément les intérêts de certaines parties bien connues. Est-ce que ces criminels bénéficient d’aides venant de l’extérieur ?
Nous savons de longue date que des groupes terroristes bénéficient d’aides et de financements extérieurs. Ce brusque retour en force des terroristes peut en effet arranger les intérêts de certaines officines qui voient d’un mauvais œil le fait que le Mali ait totalement recouvré sa souveraineté diplomatique. Ce n’est pas tout. Il est de notoriété publique que les terroristes sont connectés à des réseaux criminels internationaux spécialisés dans le trafic d’armes et de drogue. Ces réseaux essaiment partout au Sahel. C’est ce qui explique que des groupes criminels, tapis au fin-fond du désert, puissent mener des attaques terroristes à l’aide d’armes sophistiquées, aussi bien légères que lourdes. Maintenant la question reste posée de savoir quelles officines se tiennent derrières ces réseaux mafieux occultes. Dans le même temps, il faut garder en mémoire les risques de manipulation des groupes terroristes dans les jeux et enjeux géopolitiques. Il faut en effet craindre l’instrumentation de certains groupes terroristes sévissant au Sahel de la part de certaines puissances étrangères. Ce risque ne doit absolument pas être exclu de l’actuelle équation sécuritaire dans la région. Vous savez aussi bien que moi qu’il n’y a pas de morale dans les jeux politiques occultes. Tout ce qui compte dans ce contexte précis, c’est la raison du plus fort.
A la lumière de ces brusques et inquiétants développement, peut-on encore sauver l’accord d’Alger ?
Dans le contexte actuel, il faut d’abord et avant tout se demander comment sauver le processus de paix au Mali. L’accord de paix d’Alger qui a été signé en 2015 entre l’Etat malien et les différents groupes armés, représente un point de ce processus global dont je parle. Aussi, faut-il se placer dans une dynamique de renforcement de ce processus. Cette dynamique, à mon avis, devait correspondre à la nouvelle constitution en cours de rédaction par une commission mandatée pour soumettre un avant-projet pour une durée de deux mois. Cet accord de paix, en quelque sorte signé sous la contrainte, recèle des dispositions qui ne collent pas du tout avec la nouvelle constitution. À mon avis, donc, l’ensemble des représentants des groupes armés devraient être associés à ce processus de rédaction de la nouvelle constitution malienne. Ces gens doivent en effet avoir leur mot à dire. Ceci d’une part. De l’autre, il est important à mon avis ce processus global de redynamisation devrait s’en tenir aux fondamentaux de l’Etat malien. Je fais allusion au caractère unitaire et démocratique de notre Etat. Celui-ci doit également être laïc et social. Ce sont pour moi des fondamentaux qui ne sont absolument pas négociables. il en va de même bien sûr pour notre intégrité territoriale. Une fois respectés et mis à l’abri de la surenchère ces fondamentaux, le reste peut être discuté, y compris en y associant les représentants des groupes armés. Pour garantir le succès de ce processus, j’insiste en effet sur son caractère inclusif. L’accord initial signé en 2015 fait référence à un Etat fédéral qui ne dit pas son nom. Le développement en termes d’infrastructures doit être harmonieux et n’exclure aucune partie de ce pays, concernant les différents domaines, comme l’éducation, la santé, sécurité…
dans ce contexte précis, il est tout à fait réjouissant d’apprendre de sources bien informées que le ministre de la réconciliation nationale entend tenir une rencontre avec les différents groupes armés dès le début du mois d’août prochain. cette rencontre devrait achopper sur un certain nombre de questions afin de relancer véritablement et sérieusement le processus de paix.