Entretien
Najem Sidi, cofondateur et président du Comité Action et Réflexion pour l’Avenir du Sahara Occidental (CARASO) : « La défaite du PSOE a été programmé au moment où Pedro Sánchez a décidé de s’aligner sur le plan d’autonomie marocain »
Jeune militant sahraoui réfugié en France, Najem Sidi est la preuve, une de plus, que la relève générationnelle chez ce peuple particulièrement résilient, est parfaitement bien assurée. Dans cet entretien, notre interlocuteur revient tout d’abord sur la défaite de Pedro Sanchez et de son parti, le PSOE, aux élections locales espagnoles. Si pour lui, cette humiliante défaite était plus que prévisible après sa trahison et l’inféodation de Madrid au diktat du Makhzen. Reste à attendre et espérer une confirmation de cette tendance lourde lors des élections législatives de ce 23 juillet. Quant à la lettre adressée par Netanyahu à Mohamed VI, reconnaissant la prétendue « marocanité du Sahara Occidental », notre interlocuteur estime qu’il s’agit d’un non évènement, nul et de non-effet. Celui-ci n’est au reste pas sans rappeler le tristement célèbre Tweet de Donald Trump concernant son deal du siècle. « il est fort intéressant de souligner que les européens et les américains ont soutenu militairement et économiquement les ukrainiens. Leur argument : défendre le Droit International. Cependant, dans le cas du conflit du Sahara Occidental, ils soutiennent le Maroc dans son occupation brutale et sa spoliation à très grande échelle des richesses sahraouies.N’est-ce pas une politique de deux poids, deux mesures ? Et le plus grave, c’est que le Droit International est bafouéau Sahara Occidentalpar le Maroc ». cet extrait donne une idée sur le caractère incisif et direct de ce jeune militant…
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : La question sahraouie en est à un tournant majeur et historique depuis l’arrêt rendu par la Cour européenne de justice en faveur du Front Polisario. Quelle place, et quel rôle pour la France dans le règlement définitif de ce conflit, sachant que Paris et Rabat sont en froid depuis le scandale Pegasus ?
Najem Sidi : En effet, le 29 septembre 2021, le tribunal de l’Union européenne a rappelé le caractère séparé et distinct du territoire du Sahara Occidental dans son arrêt qui annule les accords de commerce et de pêche conclus entre l’Union européenne et le Maroc.Cette décision a été une victoire historique pour le peuple sahraoui. Le Polisario a été reconnu par l’Union européenne en qualité de représentant légitime du peuple sahraoui.
La France, qui a défendu seule les intérêts marocains au Conseil de sécurité, pourrait avoir un rôle constructif et positif en contribuant à trouver une solution à ce conflit qui perdure depuis plus de 48 ans et mettre fin à l’occupation marocaine Évidemment, une solution qui respecte les aspirations du peuple sahraoui à la liberté et à l’indépendance.
Vous avez bénéficié de la chance de prendre part au 16econgrès du Front Polisario. Comment en évaluez-vous le déroulement et les conclusions finales ?
Les sahraouis se sont donnés rendez-vous à la wilaya d’Aousserd pour assister à la conférence nationale préparatoire du Congrès. Les travaux de la Conférence ont commencé dans une ambiance bonne humeur, en présence duSecrétaire général du Front Polisario, Brahim Ghali, des membres du Secrétariat National, et des délégués au Congrès représentant les sahraouis vivant dans les camps de réfugiés, les territoires occupés et la diaspora. Trois commissions ont été formées : la commission du règlement intérieur, la commission du programme d’action national et la commission des lettres et recommandations. Les délégués au 16e Congrès du Front Polisario ont été répartis au niveau des trois commissions, afin de poursuivre leur travail et apporter leurs rapports à la présidence de la Conférence nationale pour amendement ou approbation.
Après quelques jours, les congressistes se sont dirigés vers le camp de réfugiés de Dakhla,situé à 170 kilomètres au sud-est de Tindouf, en Algérie. Plus de 2500 congressistes, 320 personnalités d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe ont pris part au 16e Congrès du Front Polisario. Le Congrès a été inauguré sous le slogan : intensifier la lutte pour chasser l’occupant et parachever la souveraineté.
Plusieurs interventions de délégations étrangères ont exprimé leur soutien indéfectible et leur solidarité inconditionnelle avec les sahraouis. Une importante délégation algérienne composée de représentants de partis politiques et de la société civile était présente.
J’ai participé, avec d’autres, en tant que congressiste de la diaspora sahraouie en France. J’ai pu constater que le 16e congrès était parmi les congrès les plus organisés. Ainsi, j’ai participé au débat contradictoire mais calme et profond enveloppé par un climat plein d’optimisme et de persévérance.
Durant ce congrès, les congressistes ont eu l’occasion d’élire le nouveau secrétaire général du Front Polisario. Deux candidats à ce poste : Brahim Ghali secrétaire général sortant et Bachir Mustapha Sayed, ancien ministre des affaires étrangères. C’est du jamais vu dans l’histoire du mouvement. Et dans un deuxième temps, élire les membres du secrétariat national.
Le conflit armé a repris depuis que le Maroc a rompu le cessez-le-feu de 1991 en attaquant les civils sahraouis au niveau de la zone tampon d’El Guerguerat, est-ce que le processus de règlement onusien a une chance d’aboutir avec une force occupante marocaine qui refuse de se plier à la légalité internationale, préférant imposer son plan d’autonomie, rejeté globalement et dans le détail par les représentants du peuple sahraoui ?
L’occupant marocain avait accepté le plan de règlement de l’ONU en 1988 avec l’intention de gagner du temps en acceptant le cessez-le-feu en 1991. Il n’avait point la volonté de se plier à la légalité internationale. De plus, le conflit armé a repris le 13 novembre 2020 à El Guergarat, brèche illégale, lorsque des manifestants sahraouis pacifiques protestaient contre l’ouverture par le Maroc de ce poste frontalier. Depuis cet incident, le Maroc cherche à camoufler et rendre invisible la présence d’une guerre qui est pourtant là.
Le Maroc n’a épargné aucun moyen pour renforcer sa souveraineté sur le Sahara Occidental en exerçant corruption et chantage sur les Etats pour soutenir ses revendications expansionnistes.
Est-ce que le conflit armé en Ukraine peut influer de façon directe ou indirecte sur l’évolution de la question sahraouie au niveau des Etats qui y ont leur mot à dire d’abord, et du Conseil de sécurité de l’ONU ensuite ?
En ce moment, je ne le crois pas. Mais, il est fort intéressant de souligner que les européens et les américains ont soutenu militairement et économiquement les ukrainiens. Leur argument : défendre le Droit International. Cependant, dans le cas du conflit du Sahara Occidental, ils soutiennent le Maroc dans son occupation brutale et sa spoliation à très grande échelle des richesses sahraouies. N’est-ce pas une politique de deux poids, deux mesures ? Et le plus grave, c’est que le Droit International est bafouéau Sahara Occidental par le Maroc.
Enfin, j’aimerai bien espérer que le peuple sahraoui puisse bénéficier des mêmes intentions qui sont accordées aux ukrainiens depuis le début du conflit jusqu’aujourd’hui.
Quelle est votre réaction à la défaite du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en Espagne ?
La défaite du PSOE a été programmé au moment où Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol,a décidé de s’aligner sur le plan d’autonomie marocain. Cette volte-face a choqué le peuple sahraoui mais aussi le peuple espagnol. Pedro Sanchez a renié la neutralité historique de l’Espagne en tournant le dos à la Constitution espagnole et à la légalité internationale. Son attitude pèse sur la conscience espagnole.
Pedro Sánchez a joué cavalier seul en politique et il a pris des décisions sans consulter son gouvernement ni ses partenaires concernant la question du Sahara occidental.
L’ex-directeur du Centre national de renseignement (CNI) en Espagne, Jorge Dezcállar, a critiqué ouvertement le virage géopolitique opéré par Pedro Sánchez. Selon cet ancien responsable, la décision du gouvernement dirigé par le Parti socialiste de soutenir officiellement la proposition d’autonomie serait une très grave erreur.
Lorsque, j’ai écrit un article, publié dans le journal Le Monde, en réaction à ce revirement, je savais que cette situation intolérable est un affront, non seulement au peuple sahraoui qui se bat pour défendre ses droits légitimes à l’autodétermination et à l’indépendance, mais aussi à tous les gens épris de liberté et de justice.
Pour toutes ces raisons, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE)a subi une très lourde défaite lors des dernières élections municipales et régionales en Espagne. Pedro Sánchez a annoncé des élections législatives anticipées le dimanche 23 juillet.Il tente de jouer quitte ou double.
Lors du dernier débat électoral, Sánchez s’est montré nerveux face à un Feijoo plus posé.
Le Maroc-gate a montré que Rabat avait discrètement pris le contrôle du Parlement européen via la corruption et le chantage. Est-ce que ce énième scandale peut amener la France à adopter enfin une position de « neutralité positive », pour reprendre une expression déjà utilisée par l’actuel chef de la diplomatie sahraouie Mohamed Sidati ?
La France devrait tirer les leçons de ses multiples relations avec le Maroc. Ce dernier a fait beaucoup de tort à la France. Il a espionné le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron et quelques-uns de ses proches collaborateurs. Il a corrompu des eurodéputés français pour influencer les arrêts du tribunal de l’Union européenne. EtIl a usé en plus du chantage à la France sur ledossierdu Sahara Occidental. Ces derniers actes ont été divulgué, il y a quelques semaines, par les tweets de Gérard Araud, ex-représentant permanent de la France aux Nations unies. Le Maroc n’a jamais cessé d’exercer chantage et corruption pour faire durer l’occupation et le pillage éhonté des ressources naturelles du Sahara Occidental.
Il est temps pour la France, qui connaît bien ou presque le Maroc, d’adopter une nouvelle position dans l’affaire du Sahara Occidental celle de la neutralité positive. Une telle position ne pourrait être que bénéfique pour la France et ses partenaires d’Afrique du nord.
Vous avez dû séjourner dans les camps de réfugiés pour assister au 16e congrès du Polisario. Comment y est le moral des Sahraouis depuis la crise planétaire du Covid et la baisse drastique des aides humanitaires ?
L’invasion militaire marocaine en 1975, a obligé le peuple sahraoui de s’adapter et de vivre modestement, pendant plusieurs décennies, sur une terre inhospitalière, la Hamada, à proximité de Tindouf, au sud de l’Algérie. Il a mis en œuvre une organisation de la vie collective inspirée de ses valeurs ancestrales bédouines. Il continue sa résilience et sa lutte pour la liberté et l’indépendance. Solidaires et unis face aux multiples crises politiques et économiques, le moral des sahraouis reste en général au beau fixe.
C’est vrai la pandémie de Covid-19 avait affecté la prise en charge d’une partie des aides humanitaires, des aides en médicaments et en équipements sanitaires aux hôpitaux dans les camps de réfugiés sahraouis. Cela a entravé le bon déroulement des opérations de solidarité mais n’a pas compliqué les conditions de vie du peuple sahraoui. Lors de la propagation du Covid-19, les autorités algériennes ont contribué largement et efficacement pour faire parvenir le vaccin dans les camps de réfugiés sahraouis et les aides alimentaires nécessaires.
Quelle est votre réaction concernant l’entrée de l’Algérie au Conseil de sécurité de l’ONU et que pourrait-en espérer le Front Polisario ?
L’élection brillante de l’Algérie au Conseil de sécurité est une preuve de la confiance et la crédibilité dont elle bénéficie internationalement. Le peuple sahraoui, et le Front Polisario, considère cette élection comme une lueur d’espoir pour relancer une dynamique en faveur d’une résolution pacifique et définitive du conflit du Sahara Occidental.
Quelle est votre réaction = concernant l’annonce du soutien de Tel-Aviv à la prétendue « marocanité » du Sahara Occidental ?
Après quelques mois d’atermoiements, Israël a annoncé soutien à la position du Maroc, dans le conflit qui l’oppose depuis près de quarante-huit ans au Front Polisario. Dans une lettre adressée au roi du Maroc, Mohammed VI, le Premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou reconnaît la souveraineté contestée du Maroc sur le Sahara Occidental. Cette futile initiative nous rappelle le fameux tweet sans suite de Trump. À bon entendeur, salut !