Entretien
Omaima Abdeslam, représentant du Front Polisario auprès des Nations Unies et d’autres organisations en Suisse, à La Patrie News : « Ce qui se passe en Palestine est le résultat de la gestion désastreuse du président de la commission Al-Qods, le roi Mohamed VI»
Omaima Abdeslam fait partie de cette insigne race des authentiques bâtisseurs. Malgré les souffrances, les brimades et les privations dont souffre son peuple, elle parle de construction, échafaude des projets, et parle d’avenir. Elle va jusqu’à imaginer un Sahara Occidental (pas si lointain que cela), désormais indépendant, et rayonnant sur toute la région. De par sa culture, ses traditions, sa tolérance et son ouverture d’esprit légendaire, le peuple sahraoui peut contribuer durablement à lutter contre le terrorisme et toutes les formes d’extrémisme. La France agit contre ses propres intérêts en continuant de soutenir le colonialisme marocain. Mais, un jour viendra. Pas si lointain que cela. Omaima Abdeslam fait partie de la race des bâtisseurs vous dis-je. La philosophie et les idées qu’elle développe nous disent clairement que l’éradication du terrorisme islamiste au Sahel, au Maghreb arabe, dans le nord de l’Afrique et dans tout le bassin méditerranéen passe inexorablement par l’indépendance du Sahara Occidental. Ecoutons-la plutôt….
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Les multiples violations des droits de l’Homme dans les territoires sahraouis occupés ont tendance à s’aggraver et à se multiplier. Le cas Soltana Khaya en est une bien triste illustration. Son avocat a parlé d’agression sexuelle contre elle et sa sœur. Que faites-vous pour défendre ces opprimés, et éclairer leurs affaires, vous qui êtes à l’antichambre, si je puis dire, des centres décisionnels les plus importants en Europe ?
Omaima Abdeslam : Tout d’abord, je vous remercie pour cette occasion qui m’est offerte de m’exprimer au sein de votre honorable média. La représentation de la RASD a été ouverte en Suisse depuis 1976, au regard de l’importance que revêt Genève dans les prises de décision à l’échelle planétaire. Des organisations internationales extrêmement importantes sont basées ici, à commencer par celle en charge de la défense et de la protection des Droits de l’Homme. Concernant la question du Sahara Occidental, nous sommes en contact permanent avec ces instances, et suivons littéralement heure par heure l’ensemble de ces questions. Nous somme également en contact permanent avec la société civile, le gouvernement et les partis politiques suisses. Les contacts se font soit de manière directe, soit par le biais de partenaires qui travaillent de manière étroite avec l’ensemble de ces instances. Nous tenons ces dernières informées de tout ce qui se passe au Sahara Occidental. Des rapports circonstanciés et réguliers sont écrits et leur sont systématiquement transmis. Le hic, c’est que la cause sahraouie est le « parent pauvre » des questions importantes ou en instance au sein de institutions internationales importantes. Nous sommes victimes d’un complot planétaire qui vise à nous priver de nos droits, de nos richesses et même de notre identité. Ces institutions ne respectent pas toujours le statut juridique de notre territoire, classé « non-autonome » par l’ONU. Ces institutions, prisonnières de la realpolitik, se plient aux desiderata des Etats et des institutions qui les financent le mieux et le plus. Ces institutions son principalement financés par les pays occidentaux. Ces derniers n’accordent que peu d’importance à la légalité internationale, contrairement aux apparences, et à leurs discours officiels. Cette situation est tout aussi triste que désolante. Le Sahara Occidental est un territoire non-autonome. Le Maroc est une puissance occupante et illégale. La protection des droits des Sahraouies relèves de la responsabilité de l’ONU. Le cas de Soltana Khaya est très édifiant. Cette militante a exprimé une revendication depuis sa propre maison. Vous avez vu comment elle a été brimée, harcelée, agressée, et même violée. Sa famille, ses proches et ses amis n’y ont pas échappé non plus. En agissant de la sorte, le Maroc trahit sa panique. Il s’en prend vertement à une femme sans armes et sans défense. Cela donne une idée sur toutes les frontières morales, légales et autres que le Maroc est prêt à franchir pour arriver à ses fins. Mais Soltana n’est que la pointe de l’iceberg. Tout le peuple sahraoui souffre come elle. Nous comptons des milliers de morts, des centaines de prisonniers, et la moitié de notre peuple qui est exilée en Algérie. Nous remercions nos frères et amis algériens au passage…
La Patrie News: C’est un immense honneur pour nous. Nous aimerions faire plus et mieux…
Omaima Abdeslam : Toutes nos rencontres avec les représentants des institutions basées à Genève visent à sensibiliser ces derniers sur l’incommensurable drame sahraoui. Ils doivent faire valoir leur mandat, venir en aide et protéger le peuple sahraoui. Les Nations Unies doivent se débrouiller et agir pour protéger le peuple sahraoui. Cette mission relève de leurs missions et prérogatives directes. Avec la reprise du conflit armé, ce constat devient plus vrai et plus d’actualité que jamais. Le CICR doit s’impliquer, venir en aide aux Sahraouis, et dégager des couloirs humanitaires pour eux. La convention de Genève dit qu’il faut protéger les sahrauis car ils sont dans une zone de conflit, qu’il faut aider et protéger absolument. Mais ces organisations sont hélas roulées dans la farine par le Maroc, et je m’excuse pour cette formule fort peu diplomatique. Le Maroc est un pays manipulateur, qui empêche par tous les moyens ces instances internationales d’exercer correctement et légalement leur mandat. Le Maroc, dans ses relations internationales, recourt systématiquement au chantage et aux mensonges. Il n’est pas normal que le Maroc ait des problèmes et des relations tendues avec l’ensemble de ses voisins. Non, ce n’est pas du tout normal. Le Maroc recourt systématiquement au chantage et à la violence diplomatique dans ses relations internationales. Il est donc temps que tout le monde se réveille pour détruire ce cancer qui empêche le développement de notre Afrique, génère des tensions et des conflits, et bloque l’édification de l’UMA. Le Maroc agit comme un enfant gâté auquel on aurait refusé un jouet. Il détruit tout sur son passage, et autour de lui. Le conflit sahraoui empêche des millions de personnes de s’émanciper et de se développer.
La Patrie News : Son impunité étonne et détonne quand même. Elle est due à quoi ou à qui selon vous ?
Omaima Abdeslam : Beaucoup de pays européens, à commencer par la France protègent et soutiennent le Maroc dans tous ses abus et dépassements. Il a déjà violé impunément des centaines de résolutions onusiennes, à commencer par le cessez-le-feu, et tout ça dans une complète impunité. Le processus de paix, et la tenue d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui trainent en longueur depuis trente ans. Personne ne condamne ça, ni ne rappelle à l’ordre Rabat. Le meilleur allié de la cause sahraouie est la justesse de celle-ci. Il est temps d’obliger le Maroc à se plier au droit international. C’est le rejet unanime de la déclaration de Trump qui semble avoir mis le Maroc hors de lui, et à multiplier ses impardonnables et inqualifiables faux pas diplomatiques. L’Espagne paie très cher la pression migratoire marocaine à cause de sa position juste et légale concernant la déclaration de Trump. Nous tenons, d’ailleurs, à remercier Madrid pour sa prise de position.
La Patrie News : Certes, la déclaration de Trump a été unanimement rejetée, mais la dernière réunion du conseil de sécurité n’a pas définitivement tranché cette question. C’est ni blanc, ni noir ; ni oui ni non….
Omaima Abdeslam : Non, non… absolument pas. Le conseil de sécurité a publiquement et officiellement déclaré que la déclaration de Trump ne change rien à la situation au Sahara Occidental. C’est extrêmement important. C’est une position très claire, et un engagement ferme de la part des Nations-Unies à accompagner le processus jusqu’à son terme. Trump avait donné carte blanche d’envahir n’importe quel autre pays avec la garantie d’une totale impunité. Il était normal que cette déclaration soit rejetée par tous les Etats membres des Nations Unies, à commencer par les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. Les Etats existent grâce au droit international. Si celui-ci venait à disparaitre, ou n’était plus respecté, cela ouvrirait la voie à toutes les dérives. Ce serait le règne de la loi de la jungle. Autant nous saluons tous les pays qui ont rejeté sans ambages cette gravissime dérive, nous tenons également à faire montre de notre extrême déception face à la manipulation franco-marocaine de certains pays africains, qui sont allés jusqu’à ouvrir des représentations consulaires dans les territoires sahraouis occupés. Ces pays, qui n’ont pas de diaspora et de motivations économiques au Sahara occidental, ont agi sous l’emprise de la corruption dont fait régulièrement usage le Maroc.
La Patrie News : En parallèle, les richesses du peuple sahraoui sont pillées à l’aide d’accords nombreux signés avec de nombreuses multinationales. Qu’est-ce qui est fait, concrètement parlant, pour stopper cette mise à sac programmée et préméditée ?
Omaima Abdeslam : Notre combat et notre résistance ne se limitent pas seulement à la lutte armée. Nous disposons d’un suivi judiciaire systématique de toutes les procédures visant à exploiter nos ressources de manière illégale, et sur notre dos. Le Sahara Occidental est un territoire non-autonome. Tout accord commercial ne peut y être contracté sans l’accord de son peuple, ou de son représentant légal, le front Polisario en l’occurrence. Tous les contrats illégaux ainsi contractés sont portés devant la justice. Nous avons fait appel à des avocats spécialisés pour suivre l’ensemble de ces dossiers. Nous comptons même élargir notre lutte aux partis politiques et aux organisations qui activent au Sahara Occidental. Nous visons systématiquement les organisations internationales et les syndicats auxquelles ils sont affiliés, et qui activent contre le droit international au Sahara Occidental. On ne lâche rien, ni ne laisse rien au hasard. Nous faisons cela tant et si bien, que le peuple sahraoui a une chance d’être le premier peuple à travers l’histoire à recouvrer son indépendance à travers la justice. En attendant, je suis outrée de la manière avec laquelle beaucoup ferment les yeux devant tant de dépassements flagrants, à cause des énormes profits qu’ils en obtiennent en échange. Nous seront toujours là pour ramener vers le droit chemin toutes ces consciences anesthésiée par l’appât du gain. Nos représentations diplomatiques à travers toute la planète recensent également les éventuels contrevenants, pour lancer des actions en justice contre eux, et initier des campagnes de boycott. Les résultats sont bien souvent probants. Nous les attaquons à tous les échelons, local, continental, régional, ou même par pays selon les cas. Tous les moyens sont bons pour nous pour arracher notre droit et notre indépendance. Ils peuvent être militaires, juridiques, diplomatiques ou autres…
La Patrie News : Est-ce que la désignation d’un nouvel envoyé spécial du SG de l’ONU pourrait aider question à sortir de l’ornière, ou ce n’est plus du tout une priorité pour vous ?
Omaima Abdeslam : Pour nous, la désignation d’un nouvel envoyé spécial du SG de l’ONU, quel qu’en soit l’identité, ne servirait à rien si la démarche et le processus ne sont pas sous tendus par une réelle volonté politique, consistant à réamorcer le processus d’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui sous l’égide de la MINURSO. Nos revendications sont claires, et connues de tous. Elles ne sont pas négociables non plus.
La Patrie News : J’ai une pensée spéciale pour les détenus de Gdeim Izik…
Omaima Abdeslam : alors là, c’est la preuve des dépassements très graves de la justice marocaine aux ordres, avec des aveux fabriqués de toutes pièces et des aveux arrachés sous la torture, le tout sous l’œil impassable de la communauté internationale. Et avec ça, ces malheureux détenus, ainsi que leurs familles, subissent une double peine, en étant détenus à des milliers de kilomètres des lieus de résidence de leurs proches, pour qu’ils ne puissent pas leur rendre visite. C’est monstrueux et inhumain. Cette mise en détention éloignée contredit également le droit international. Notre pensée va à eux, et à leurs familles aussi. Nous mesurons à leurs justes valeurs les énormes sacrifices qu’ils ont consentis pendant des années. Une pensée particulière aussi à toutes nos sœurs et mères sahraouies qui ont été harcelées, torturées, voire carrément violées…
N’importe quelle décision ou résolution des Nations-Unies, et quelle que soit l’identité de ce futur envoyé spécial, si la démarche n’est pas accompagnée par une réelle volonté politique, cela ne servirait à rien. Absolument rien. Sauf décupler la souffrance du peuple sahraoui. Notre pays est partagé par un mur de 2700 kms de long, et parsemé de millions de mines. Le peuple sahraoui a déjà payé très cher le prix de son indépendance. Il a déjà consenti des milliers de morts, et 47 ans d’exil. C’en est assez ! Nous avons été très patients et très sages. Nous n’avons jamais attaqué Casablanca ou Rabat. Nous en avons les moyens. Notre armée est capable de le faire. Ce serait de la légitime défense face aux agressions dont nous sommes systématiquement les victimes. On respecte le droit international. Il est temps que les institutions internationales s’engagent avec nous dans un processus sérieux, sous-tendu par une véritable volonté politique.
La Patrie News : Mais, en attendant, ce statut-quo, et cette souffrance servent grandement les intérêts de l’occupant marocain. Comment sortir de cette impasse ?
Omaima Abdeslam : Nous avons entamé une véritable guerre d’usure contre l’occupant marocain. Nos vaillants soldats jouissent d’une parfaite maitrise du terrain. Ils occasionnent de sérieux revers à l’armée d’occupation le long du mur de sable. Cet guerre épuise et fatigue l’ennemi. Des sursauts encore plus importants se préparent. Le Maroc n’en reviendra pas. Notre peuple se soulève à peu près tous les 5 ans, pour exprimer et réitérer son rejet de l’occupation. On a fait ça en 2005 avec notre intifadha, en 2010 avec les révoltés pacifiques de GdeimIzik, puis il y a eu le soulèvement de 2013… nous ne baisseront jamais les bras, et produirons de nouvelles formes de revendication et de combat, jusqu’à l’obtention finale de notre indépendance. Je jure qu’on va se battre, et continuer notre lutte jusqu’au dernier Sahraoui d’entre nous.
La Patrie News : C’est tout à votre honneur…
Omaima Abdeslam : Notre peuple a apporté de grandes contributions à la communauté internationale. je parle des droits de l’Homme, ceux de la femme, la promotion de l’islam light, tolérant et pacifiste… nous avons beaucoup de choses et de contributions positives à apporter à la communauté internationale. Nous avons beaucoup investi dans la jeunesse et l’éducation. Nous comptons en récolter des fruits très positifs dans les prochains mois ou années. En attendant, je vous assure qu’aucun Sahraoui ne vivra en paix, ni ne se sentira bien, avant que le dernier d’entre eux ne soit rentré chez lui, n’ait retrouvé sa patrie et son indépendance.
La Patrie News : Une déclaration, pour finir, sur ce qui se passe en Palestine ?
Mes pensées vont vers nos frères palestiniens qui souffrent de cette nouvelle agression contre leur territoire, et contre Al Qods, lieu sacré pour tous les Musulmans de la planète. J’ai une pensée particulière pour toutes ces familles qui continuent de vivre avec la peur de recevoir une bombe chez eux. Je dois aussi tout mon respect à la résistance palestinienne, qui continue de se battre, et de lutter, malgré tous les blocages et toutes les brimades qu’elle subit au quotidien. Cette résistance prouve que la résistance d’un peuple, quand elle est sincère et authentique, est indomptable et invincible. Elle nous donne beaucoup d’espoir à nous aussi. Un jour, inchallah, les deux Etats, palestinien et sahraoui, seront indépendants, reconnus partout, er par tous, avec des ambassades présentes aux quatre coins de la planète.
Inchallah
Je dis que le peuple sahraoui est avec le peuple palestinien. Nous sommes avec lui, « dalimane aou madloume ». Mais je ne terminerai pas sans relever que ce qui se passe en Palestine est le résultat direct de la gestion désastreuse du président de la commission Al-Qods, le roi Mohamed VI en l’occurrence. Sa normalisation avec l’occupant, qui viole, tue et déporte les familles et les enfants palestiniens, représente une complicité directe du Maroc dans cette agression contre la Palestine et contre son peuple. Certains pays arabes vendus sont également complices de ces crimes innommables, qu’ils vont même jusqu’à financer avec leurs pétrodollars…