Entretien
Pierre Galand, président de l’EUCOCO : « Les résistants palestiniens et sahraouis sont les porte-paroles de la dignité humaine! »
Pierre Galand, président de l’EUCOCO, président de la Conférence européenne de soutien et de solidarité avec le peuple sahraoui, n’a pas pour réputation d’avoir la langue dans sa poche. Militant au long cours des nobles et justes causes palestinienne et sahraouie, il tente, dans cet entretien-fleuve, de rester optimiste, voyant le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide. Accusant le Maroc d’être resté une colonie française en se mettant au service de l’entité sioniste et de l’impérialisme mondial, il souligne que de nombreux dirigeants arabes ont trahi la cause palestinienne, se plaçant ainsi en faux de leurs propres peuples. Saluant la constance de la position algérienne, ce qui est un honneur venant d’un homme comme lui, il s’incline fort devant la résistance homérique des Palestiniens et Sahraouis. Il va jusqu’à les qualifier de « porte-paroles de notre propre dignité ». Soltana Kheya, elle, devient dans sa bouche l’égérie de l’héroïsme et du combat de ces deux peuples. Combat de David contre Goliath certes, mais douloureux rappel de la conscience anesthésiée de l’Homme moderne. Un sursaut salvateur se pose et s’impose, sous peine de grosse débâcle généralisée.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Quelle est votre appréciation de la situation globale depuis le tweet de Trump, l’arrivée au pouvoir de Biden, la dernière résolution du conseil de sécurité et la première tournée de Staffan de Mistura ? Peut-on dire que la question du Sahara Occidental s’enlise ou qu’au contraire les prémisses d’un début de solution se font sentir ?
Pierre Galand : Ecoutez. La situation globale se décline dans un contexte extrêmement mauvais. Biden est en train de mener une guerre quasi-ouverte avec la Russie. Son retrait forcé d’Afghanistan a terni l’image des Etats-Unis. Sur le plan intérieur aussi Biden est extrêmement faible. Il faut nuancer toutefois. Dans notre vision, on peut voir les choses du plus gris au moins gris. Le plus gris, c’est que les pays qui sont du côté du Sahara Occidental éprouvent beaucoup de mal à faire entendre leurs voix, qui sont celles de la légalité internationale et de l’autodétermination du peuple sahraoui. Même le secrétaire général des Nations-Unies trouve difficile de faire entendre ce message. Cependant, dans les nuances moins grises Antonio Guterres a clairement défini qui sont les protagonistes dans le conflit au Sahara Occidental. Pour lui, il n’y en a que deux. Il s’agit du Maroc et du front Polisario. Cette déclaration faite la semaine dernière (l’entretien a été fait en date du 27 de ce mois. NDLR), est importante dans le sens où le Maroc essaie de commercialiser l’idée selon laquelle le Polisario ne serait pas le seul représentant du peuple sahraoui. Quelque chose a bougé du côté du secrétaire général du l’ONU. Or, cela se produit au moment-même de la tournée dans la région de son envoyé spécial. Le premier tour de monsieur de Mistura ne lui a pas permis de se rendre dans les territoires occupés. Il faut bien le souligner avec toute la force voulue. Il est trop tôt de prévoir ce qu’il va déduire de cette première tournée pour le moment, il a juste tourné en rond, sans faire plus ou mieux que ses prédécesseurs.
La Patrie News : Vous pensez que cette première tournée a provoqué une sorte de déclic chez Guterres ?
Pierre Galand : Chez Guterres, en tous cas, sa proclamation claire concernant les deux protagonistes dans ce conflit est d’une importance capitale. Il ya longtemps qu’on n’a plus entendu cela dans la bouche du secrétaire général de l’ONU. Le point le plus négatif est que l’arrivée de la France à la tête de la présidence de l’Union Européenne dessert fortement la cause sahraouie. Le haut commissaire européen aux affaires européennes internationales, M. Borell, et vous le savez comme moi, n’est pas un homme qui est favorable à un règlement correct ou légal de la question sahraouie. Il est favorable aux thèses marocaines. La commission et le conseil sont également dans une position négative. Pour le Parlement européen, notamment ses commissions agricole, droits humains et pêche, il ya des parlementaires qui sont énervés, et j’emploie ce mot avec prudence, parce que la commission européenne est allée en appel concernant la décision de la cour de justice européenne. Sur ce point précis, il est permis de compter sur de nombreux parlementaires qui ne sont pas simplement du côté du Sahara Occidental. Ils défendent le droit voilà tout. L’Europe est tenue de respecter la Cour. En introduisant ce recours, Borell a tenté de continuer comme avant. Il avance ses pions en soutenant que la Cour serait allée trop loin en décrétant que le Polisario est le seul représentant du peuple sahraoui. C’est sur ce front que notre combat actuel est mené. Et c’est la raison pour laquelle nous considérons que la dernière sortie du SG de l’ONU est particulièrement intéressante. L’autre point qui nous parait également intéressant, c’est que même si Biden n’est pas revenu sur la déclaration de Trump, il n’est cependant pas allé jusqu’à l’endosser. Même dans le cadre des récentes manœuvres militaires de l’OTAN en méditerranée, le Maroc avait tenté d’y inclure le Sahara Occidental. Les Américains s’y étaient publiquement et frontalement opposés. Biden n’est donc pas alignés sur la position de Trump. Du côté de l’Union africaine (UA) les choses restent claires. Il est question d’un prochain sommet UA-UE. Le personnel de l’UA a été appelé à rencontrer les responsables chargés d’organiser ce sommet. La RASD, en sa qualité de membre de l’UA a été invitée à ces rencontres préparatrices. Les représentants du Polisario y étaient assis à la même table que ceux du Maroc. Ces éléments font partie d’un puzzle en train de se former. Chacun y avance ses pions et y place ses pièces. Du côté des thèses coloniales le Maroc a mobilisé des juristes après l’arrêt de la cour de justice européenne. De notre côté, nous avons fait appel à des experts en droit international, avec Me Devers, en vue de clarifier pour clarifier cet arrêt et le rendre lisible pour les médias. En riposte, le Maroc mène campagne en faveur de ses thèses autonomistes. Le plus mauvais dans ce constat général, c’es que la guerre se poursuit durant tout ce temps. Cette guerre, hélas, n’est pas correctement médiatisée par la presse, en dépit de tous nos efforts pour en parler.
La Patrie News : Ce conflit, jugé de basse intensité, fait quand même appel à des drones tueurs marocains, ce qui n’est pas rien. Il ya même eu des morts mauritaniens et algériens dans les territoires libérés sahraouis.
Pierre Galand : Non seulement, il y a eu des morts mauritaniens et algériens, des combattants et des martyrs sahraouis continuent de tomber. Cela implique des drames incommensurables pour les familles de ces martyrs. Avec cela, il ya l’accord Maroc-Israël. Trump, lui, se contrefiche du Sahara. Seule cette alliance comptait pour Trump. Celle-ci a engendre des conséquences épouvantables. La présence d’Israël au côté du Maroc est un fait établi aujourd’hui puisque des ministres israéliens se rendent au Maroc. Des manifesterions populaires se déroulent même au Maroc pour dénoncer cet accord et ce rapprochement. Il faut d’ailleurs saluer ces manifestations populaires. Quand Israël met le pied dans cette région sensible de la planète, ce n’est pas seulement pour y faire du tourisme. Attention, les Américains et l’OTAN sont mêlés à cette nouvelle stratégie. Vous savez aussi comme moi que les Français sont en difficulté au Mali, au Burkina Faso… dans toute l’Afrique de l’ouest. Cela génère une zone de tension. Cela peut dégénérer vers des confrontations armées de grande envergure. Il faut donc que l’UA et l’ONU prennent conscience que cette zone est de plus en plus fragilisée. Cela est la conséquence des errements des Américains, des Anglais et des Français qui perdurent depuis une bonne trentaine d’années. Ces déstabilisations s’étendent jusqu’en Syrie et en Iran, en passant par la Palestine. Sans oublier la Libye, le Yémen, la Somalie… face à ce constat alarmant, l’Europe s’et fermée comme une huitre, et est devenue non-opérationnelle.
La Patrie News : Depuis la signature d’un mémorandum d’entente sécuritaire entre le Maroc et Israël, on peut dire que les deux causes palestinienne et sahraouie sont devenues plus étroitement liées que jamais. Quels buts seraient recherchés par le Maroc et Israël à travers ce rapprochement inédit ?
Pierre Galand : Plusieurs pays comme l’Afrique du Sud et l’Algérie ont témoigné de leur opposition par rapport à cette entrée à l’UA. L’Egypte aussi se montre assez dubitative sur la question. Cette question bouscule bien des choses au sein du monde arabe. Les pays de l’UA et de la Ligue arabe se rendent bien compte qu’Israël est le porte-avion américain dans le Proche-Orient. Israël étend de plus en plus son ingérence et son hégémonie vers des régions où on ne le voyait pas jusqu’à présent. Israël est aussi un grand fabriquant et marchand d’armes. Il vient de doubler les Français sur la quantité d’armes vendue à l’Inde par exemple.
La Patrie News : Il s’agit d’une subtile et dangereuse forme d’expansionnisme et d’impérialisme…
Pierre Galand : Cet impérialisme est mené avec la bénédiction des Américains. Ce constant est extrêmement dommageable. Cela veut dire que Trump, en prenant cette initiative contraire à toutes les règles du droit international, a ouvert la boite de Pandore. Les Américains ont dû estimer que le Maroc n’était pas un allié suffisamment solide, et qu’il fallait donc appeler à la rescousse Israël. Ce dernier dispose du droit de contrôle de l’entrée de l’Atlantique vers la Méditerranée via le détroit de Gibraltar. Cela redistribue une série de cartes, et génère des tensions particulièrement palpables. La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc en est une. Alger a clairement ait entendre qu’il est inacceptable d’avoir pour voisin un pays qui pactise avec Israël. Cette tension s’est également traduite par la fermeture du pipeline desservant l’Espagne. On dépasse le stade des discours et des mots pour arriver à la phase autrement plus inquiétante des actes et de la réalité. Il faut dès lors que notre camp camps réagisse et se mette à bouger d’autant qu’il n’y a pas unanimité en Europe. De nombreux hauts responsables font montre d’intelligence et de légalisme. L’exemple allemand en est assez édifiant. Outre les positions initiales de Merkel, et dans l’attente de prendre connaissance de celles du nouveau chancelier, force est de rappeler que Berlin a été vexé par le renvoi marocain de son ancien envoyé personnel du et ex-président allemand Horst Kohler. L’Allemagne a déjà fait comprendre au Maroc que celui-ci a fait le pas de trop, et que leur coopération risque d’en être entachée. Idem pour l’Espagne qui fait semblant de ne pas être concernée par ce conflit alors qu’elle reste en plein dedans. Cela y génère des mouvements politiques et citoyens de grande envergure. Ils rappellent à Madrid sa responsabilité historique et politique concernant cette région. D’autres pays qui pèsent comme l’Irlande ou la Suède et le Luxembourg, ne développent pas la même approche stratégique que celle de la France. Résultat, la France, à la tête du conseil européen, n’aura pas les coudées franches pour rester à côté de son protectorat marocain et défendre ses positions au sein de l’UE. Aujourd’hui, c’est l’Ukraine qui accapare les devants de la scène médiatico-politiques. On oublie ce qui se passe dans le reste du monde. C’est totalement affolant ! Cette négligence ou méconnaissance est inacceptable chez les dirigeants européens. A nous de faire entendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qu’il s’agisse du Sahara Occidental ou qu’il s’agisse aussi de la Palestine.
La Patrie News : S’agissant de ces deux cause justement, comment se présente le sommet arabe, prévu à Alger, avec un ordre du jour non-encore arrêté ?
Pierre Galand : L’Algérie est un pays qui a beaucoup de références. C’est un pays qui est d’une très grande cohérence concernant sa politique extérieure, ainsi que le respect strict des normes dans les rapports entre les Etats. Alger a de tout temps été en faveur du droit des peuples sahraoui et palestinien à décider librement et souverainement de leur destin ces deux peuples ont clairement défini leurs revendications et leurs stratégies. Ils se battement en faveur d’un Etat souverain et indépendant, la RASD et la Palestine en l’occurrence. C’est une revendication légitime au regard du droit international. Malheureusement, aujourd’hui au sein de la Ligue arabe, certains de ses membres ont clairement contracté des alliances contre-nature avec les Etats-Unis et, ce faisant, vont même vers des accords avec Israël. Cela se fait au détriment des droits et des intérêts des peuples palestinien et sahraoui. On enregistre dès lors un net recul de la Ligue arabe. Celle-ci n’est plus le fer de lance du combat du peuple palestinien en faveur de sa dignité et de son indépendance. S’agissant du peuple sahraoui, le constat est encore plus accablant. Bon nombre de pays arabes ont vertement sacrifié la cause sahraouie. Ils font cela sous le fallacieux prétexte que cela pourrait diviser la Ligue arabe.
La Patrie News : Comble de l’ironie, les Sahraouis sont arabes eux-mêmes, et peuvent être d’un grand apport pour cette ligue face à son sévère affaiblissement sur le plan géostratégique…
Pierre Galand : Je garde toujours en mémoire les discours de nombreux hauts responsables arables rencontrés il ya de cela vingt ans leur discours a toujours été ainsi : « ah, ne nous parlez pas du Sahara Occidental ! ». Ce sujet diviserait la Ligue arabe, à les en croire dans son unanimité en faveur du peuple palestinien. Mais, concrètement parlant, cette unanimité supposée est de pure façade. Le peuple palestinien a été abandonné par une bonne partie des dirigeants arabes. Heureusement qu’il en existe certains qui gardent leur cohérence à l’image de l’Algérie. Aujourd’hui, les peuples palestinien et sahraoui sont négligés par l’opinion publique. Ils sont aussi abandonnés par l’ONU. Soyons clairs. Ils doivent mener des combats de résistance héroïques pour se faire entendre. Heureusement, et à l’inverse de leurs dirigeants, les peuples arabes n’ont pas lâché le peuple palestinien. Espérons qu’il est de leur intérêt de défendre également le peuple sahraoui. Cette solidarité en faveur du peuple palestinien est extraordinaire. Elle n’a jamais été aussi forte. L’action du BDS est tout simplement remarquable. Elle a des effets directs sur la réalité des faits en Israël. C’est un point positif de relever que les opinions publiques restent fidèles à leurs engagements. Je relève que le front Polisario est allé pour la troisième fois devant la cour de justice européenne. Il a été, cette foi-ci, clairement reconnu comme étant le représentant unique du peuple sahraoui. Il est donc en droit de venir plaider contre un accord conclu par le Maroc avec l’Europe. Les firmes étrangères n’ont pas le droit d’exploiter les ressources u Sahara Occidental sans l’assentiment du peuple sahraoui. La cour européenne de justice l’a clairement affirmé. Je vois donc mal que des juges intègres pourraient à l’encontre de ce verdict. Je suis optimiste, car l existe encore des juges intègres et incorruptibles en Europe. Cette solidarité n’existe pas seulement en Europe. Elle est également fortement présente en Afrique et en Amérique Latine. Lors de la dernière conférence de l’EUCOCO, il y avait quand même des représentants de six pays latino-américains. Cela m’amène à dire que les peuples ne sont pas dupes de cette dérive des Politiques et de la manière avec laquelle l’impérialisme essaie d’imposer partout sa loi du plus fort. Pour notre propre sécurité, et pour l’avenir de nos enfants, nous avons l’obligation de rappeler à ces dirigeants qu’il existe un droit interaction, et qu’ils sont astreints de s’y conformer. Ce droit avait été construit sur une catastrophe résultant de la seconde guerre mondiale. Ce n’est pas la loi du plus fort qui doit régner. Il faut faire primer la coexistence entre les peuples, fondés sur des règles précises, basées sur le droit international et le droit humanitaire. Il faut sursaut. Œuvrer à construire un monde nouveau. Tout le monde, sur cette planète, doit pouvoir vivre dans des conditions humaines. Cela passe impérativement par la reconnaissance de La RASD. Et de l’Etat palestinien aussi.
La Patrie News : Israël et le Maroc imposent au monde entier, à commencer par l’ONU, leur politique basée sur le fait accompli…
Pierre Galand : Soyons clairs. Ce sont au vrai deux petits pays. Ils ne pourraient jamais exister et imposer leur diktat s’il n’y avait pas derrière eux l’impérialisme occidental. Derrière eux, il ya encore et toujours une vision colonialiste dans la manière de gérer notre planète. Nous devons poursuivre notre combat anti-impérialiste comme l’ont fait nos pères avant nous. Ne nous y trompons-pas non plus. Derrière ces diktats il ya de gros intérêts. Ces derniers permettent au Maroc de servir les firmes multinationales sur une zone colonisée. Le Sahara Occidental est très riche de ses ressources naturelles. Ma même chose se passe en Afrique. Les guerres qui s’y déroulent ne font que servir les intérêts des grandes multinationales, les intérêts des marchands d’armes, qui sont une cause permanente de déstabilisation de la planète. Nous avons pour obligation de rappeler à l’ordre ceux qui nous gouvernent.
La Patrie News : Avous un mot, avant de clore ce débat passionnant, pour les peuples palestinien et sahraoui, et peut-être une pensée particulière à l’adresse de Soltana Kheya ?
Pierre Galand : Soltana Kheya est dev enue aujourd’hui de tous ceux qui mènent ce combat de résistance. De ceux qui hélas font cela au péril de leur vie. Cela, à l’image de tant et tant de Sahraouis contraints de monter au front pour défendre leur cause et faire entendre leur voix. J’ai aussi une pensée émue et très forte pour tous ces Palestiniens qui se battent à coup de pierres contre des armes sophistiques pour faire entendre leur voix, et rappeler à tous qu’ils existent. C’est David contre Goliath, on ne le sait que trop bien. Ce sont des gens merveilleux. Ils nous interpellent, et nous rappellent ce qu’est la dignité humaine. Ils résistent seuls, face à l’ignominie, au fascisme et la dictature. Devant les envahisseurs, les peuples sont capables de rester debout. J’admire ces Sahraouis qui se battent et se sacrifient depuis 45 ans. Dans leurs camps de fortune, ils construisent des écoles, des hôpitaux. Montrent qu’ils sont capables de gérer leur pays je suis également admiratif devant ces Palestiniens, pour qui se lever simplement le matin est un acte de résistance. Ils