Entretien
Yefri Benzerga, Président de l’Association des Algériens de Charente-Maritime : « La majorité des casseurs ne sont pas Algériens ! »
Usant d’un langage pondéré et mesuré, qui est aussi celui de la sagesse, Yefri Benzerga, petit fils de moudjahid et Président de l’Association des Algériens de Charente-Maritime , revient pour nous sur les derniers évènements qui secouent la France, et une partie de l’Europe, à la suite de l’assassinat par un policier du jeune Nael. Il y affirme tout de go que l’écrasante majorité des casseurs ne sont pas des Algériens ou des Maghrébins. « Cette stigmatisation des Algériens en particulier, et de l’émigration en général, répond à un agenda bien tracé, qui consiste à faire le lit de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France ». Une pareille affirmation, venant d’une source s’exprimant depuis le cœur de ces violents évènements, rejoint totalement celle de Nacer Khabat, secrétaire général du Moudaf (mouvement dynamique des Algériens de France). Or, si la stigmatisation des Algériens est si forte et si présente dans bon nombre de médias hexagonaux et de discours politiques, cela répond à deux mobiles différents, et se complétant l’un l’autre : d’une part baliser la voie pour l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite à la faveur de l’élection française de 2024, et de l’autre tenter de faire ombrage à la montée en puissance de la diplomatie algérienne. Or, rien ni personne ne saurait gêner cette marche inéluctable de l’Histoire, en train de s’écrire sous nos yeux.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Tout d’abord, une réaction de ta part, en qualité de citoyen algérien, petit fils de moudjahid, après le décès tragique du jeune Nael ?
Yefri Benzega : Je souhaite tout d’abord rendre hommage à cette victime, le jeune Nael. « Rabbi yarrahmou ». Pour moi, il ne s’agit rien moins que d’un assassinat. Face à ce crime, j’avoue que je suis partagé entre la stupéfaction, la désolation et la colère. La colère face à des représentants de l’Etat et des pouvoirs publics. Les représentants de l’ordre public sont en effet censés protéger les citoyens à travers la loi et le droit, et non pas de les exécuter sommairement. D’où mon sentiment de colère incommensurable. La police est là pour protéger les citoyens et faire respecter la loi, pas pour les assassiner.
Est-ce qu’il était possible de prévoir cette flambée de violence après cette bavure policière, qui s’est soldée par le décès du jeune Nael, en clair est-ce que la France était depuis longtemps sur une poudrière ?
La France est en effet sur une incandescente poudrière. Elle vit une crise de régime démocratique, et une sévère crise de représentativité citoyenne. Et, surtout, la France souffre d’une crise identitaire très sévère. C’est avant tout cela qui est problématique aujourd’hui. Depuis au moins une quinzaine d’années, les politiques français de touts bords jouent avec le feu. Inconsciemment ; ils œuvrent à jeter de l’huile sur le feu, en acceptant de traiter avec l’extrême droite. En France, presque tous les acteurs politiques font de la crise migratoire un cheval de bataille essentiel. Or, à mon sens, la question de l’émigration est un faux problème. Cette question est devenue une thématique redondante pour détourner l citoyen de ses préoccupations véritables, et des vrais débats de l’heure, comme le pouvoir d’achat ou bien la réforme des retraites, ainsi que les prestations sociales dont bénéficient les émigrés. Pour moi, la question de l’émigration est un grossier leurre. Les prestations sociales dont nous bénéficions ne sont qu’une infime goutte d’eau dans un océan, comparées aux évasions fiscale des grands patrons. Donc, oui, la France vit une crise sociale, identitaire, et je dirais même une crise de régime.
Est-ce que la France fait face à une problématique d’intégration ou est-ce plus compliqué que cela ? dans tous les cas, où pourrait résider une solution durable après le retour au calme ?
Oui, je le confirme. La France butte sur un sévère problème d’intégration. Les dirigeants de ce pays n’ont jamais voulu intégrer, ou faciliter l’intégration, des différentes ethnies et cultures qui, pourtant, devraient être sa force et sa richesse. La France, faut-il le rappeler, a colonisé bon nombre de pays, dont l’Algérie. Or, elle n’a jamais cherché à intégrer, ni réussi à le faire, ces différents peuples au sein de sa société. D’où, l’effondrement de son ancien empire colonial. En effet, la libération de la plupart de ces peuples s’est faite par la force, et par des guerres de libération. Actuellement la France est en train de récolter tout ce qu’elle a semé en termes de non-intégration. Aujourd’hui, les générations issues de l’émigration ne savent pas sur quel pied danser. Ils ne sont ni citoyens de leurs pays d’origine, car considérés comme émigrés, ni citoyens français à part entière, où là encore ils demeurent comme des émigrés. Ce sont quand même des enfants de la République française, qui n’arrivent quand même pas à se situer, ou à définir clairement leur identité. Allez parler à certains de ces jeunes des valeurs républicaines. Ils ne savent hélas pas ce que c’est. En clair, la France fait face à un grave problème de culture civique. Ce n’est pas tout. Il ne faut surtout pas tomber dans ce piège facile et grossier qui consiste à lier ces violences à la communauté algérienne vivant en France. Attention, oui attention. Je condamne personnellement, et au nom de mon association, la violence, quelle qu’elle soit, et d’où qu’elle vienne. Ce qu’a fait ce gamin ne justifie absolument pas qu’il soit quasiment abattu de sang froid. Il n’est pas question non plus de lui rendre justice à travers la violence et les saccages. Pour moi, l’ordre doit être rétabli. Il doit être respecté par tous. Il existe de nombreux autres moyens d’exprimer sa colère et ses ressentiments. Je renvois encore une fois les autorités françaises face à leurs responsabilités. En effet, ces mêmes autorités sont les premières à s’exprimer et à faire des déclarations à chaque fois qu’il y a des manifestations dans des pays tiers, comme l’Algérie ou bien la Chine, pour appeler au respect de la démocratie, des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Eh bien, que la France en fasse autant intra muros. J’appelle ces mêmes dirigeants français à faire respecter ces mêmes valeurs citoyennes et républicaines sur leur propre sol. Cela, tout en réitérant mon appel pour un rapide retour au calme, ainsi qu’au respect des biens individuels et communs. Le piège dans lequel certains tentent de nous faire tomber consiste à dire que l’émigration serait synonyme de saccage, de violence et d’incivisme, alors que ce n’est pas du tout le cas. J’en veux pour preuve que la majorité des gens qui sont en train de casser et de piller ne sont pas du tout algériens. Cette stigmatisation des Algériens en particulier, et de l’émigration en général, répond à un agenda bien tracé, qui consiste à faire le lit de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France.
Entre la gauche de LFI qui accable les services de sécurité et une droite qui s’en prend à l’émigration, quelle tendance lourde pourrait l’empoter, et est-ce l’élection présidentielle française sera vécue en 2024 dans un climat aussi délétère et tendu ?
Il est fort probable que l’élection présidentielle de 2024 permette l’arrivée au pouvoir du courant extrémiste et xénophobe de l’extrême droite. Aussi, je fais partie de ceux qui disent qu’il faut être vigilant, et faire très attention. Il faut absolument éviter de tomber dans le piège de ces apprentis-sorciers, hélas de plus en plus nombreux. Il faut également faire attention aux intérêts suprêmes de l’Etat algérien. Cela est d’autant plus primordial que l’image de l’Algérie rayonne de plus en plus fort à travers le monde, grâce à l’ambitieux plan de développement initié par le président Tebboune, et le retour en force de la diplomatie algérienne dans le concert des nations. L’Algérie est un puissant pays-pivot en Afrique et dans le bassin méditerranéen. Elle remporte de plus en plus de batailles diplomatiques. Cela a de quoi faire grincer pas mal de dents.
N.B : Yefri Benzerga, 32 ans, est le Président de l’Association des Algériens de Charente-Maritime. Il est également membre du comité national algérien de soutien au peuple sahraoui et ancien candidat aux élections législatives de juin 2021 en zone II.