Exclusif / Pr Mohamed El Amine Boudjella : « J’aurais tendance à encourager les tests sérologiques en Algérie. »
Professeur Mohamed El Amine Boudjella est professeur en médecine interne* (voir biographie express). Dans cet entretien, il revient sur la situation relative à l’épidémie de coronavirus, mais également sur la gestion de cette dernière dans les hôpitaux algériens.
On assiste à ce qui semble être un déclin de l’épidémie de coronavirus, peut-on dire qu’on a dépassé le pic ?
Pour pouvoir dire que nous avons dépassé le pic ou non, il faut des indices. Alors, comment les récolter ? Il faut savoir que la covid-19 est à l’origine d’un modèle épidémiologique actuellement bien connu. Autrement dit, sur 100 personnes contaminées, il y aura 80% de cas asymptomatiques. Sur les 20% symptomatiques, il y a 80% de formes bénignes et de 15 à 20% de gravités variables, allant de la forme sévère jusqu’à la forme très sévère qui cause le décès.
De ce fait, faudrait-il s’intéresser aux sujets symptomatiques ou ceux asymptomatiques par le biais du dépistage massif dont tout le monde parle ? Si nous prenons en compte uniquement le nombre des sujets symptomatiques, nous pourrions dire que l’épidémie est en déclin. Les chiffres communiqués par le ministère de la Santé l’indiquent d’ailleurs.
En plus, je remarque dans le service dont je fais partie une baisse de la demande hospitalière depuis une dizaine de jours.
Cependant, si nous raisonnons comme dans les pays qui veulent en savoir davantage, autrement dit procéder au dépistage massif des sujets asymptomatique qui représentent 80% des cas, les choses deviennent plus compliquées en raison du manque de moyens, mais aussi de la maîtrise technologique.
Dans ces cas, que faut-il faire pour dépister un maximum de citoyens ? D’autres procédés existent-ils pour palier à ce manque de moyens ?
Globalement, il y a deux types de tests : ceux directs, comme la PCR, qui certifient que le patient est porteur du virus et les tests sérologiques réalisés par prélèvement sanguin pour permettre de distinguer ou non la présence d’anticorps spécifiques au coronavirus.
Dans le cas algérien, j’aurais tendance à encourager les tests sérologiques puisque nous sommes au huitième mois de l’épidémie. Les tests PCR étaient intéressants au tout début de l’épidémie.
Avec ce recul de huis mois, il est préférable, à mon sens, de faire des tests de sérologie, notamment chez les universitaires ou encore dans les entreprises pour identifier le taux d’immunisation collective. Et puis, éventuellement, faire des PCR sur des sujets qui ne sont pas immunisés quand ils ne sont pas symptomatiques ou quand ils ont eu un contact suspect.
Tout cela nous mène vers la problématique de sortie de crise. C’est-à-dire, soit on met fin à l’épidémie par la rupture de la chaîne de transmission ou par l’immunisation collective. Cette dernière peut être obtenue par la maladie ou par l’effet du vaccin qui n’est pas pour aujourd’hui.
Est-il possible en Algérie de procéder à des tests massifs de sérologie ?
Prenant en compte les huis mois de recul, le fait que nous ne soyons pas un pays producteur de tests PCR et le coût moindre de la sérologie, j’aurais tendance à encourager plutôt les tests de sérologie que les PCR, si nous devions généraliser les tests.
Car les sérologies donnent une information qui couvre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Par contre, la PCR donne le résultat du moment.
D’ailleurs, nous pouvons voir, à titre d’exemple, les joueurs de football à l’étranger testés à plusieurs reprises, puis s’avérer positifs au coronavirus au bout du quatrième ou cinquième test.
Si nous faisons la PCR, c’est pour la répéter parce que tant que le candidat est négatif, il demeure toujours candidat à l’infection. J’ajoute qu’il est possible que des PCR négatives passent à des sérologies positives. En effet, les sujets dont les tests PCR sont négatifs peuvent avoir une sérologie positive.
Si je dois donner une cartographie de sortie de crise, j’aurais tendance à faire des sérologies à grande échelle pour avoir des données sur l’état d’immunisation de la population, mais aussi sur l’utilité du vaccin ou non actuellement. C’est-à-dire, si vaccin il y a, faut-il vacciner actuellement ou différer l’opération.
Est-ce que la surcharge au niveau des hôpitaux a baissé ?
La diminution est perceptible. Nous étions (à l’hôpital Zemirli) jusqu’à 140 consultants par jour. Actuellement, nous en sommes à 40 / 50 par jour, soit un taux de régression située entre 40 et 60%.
Au tout début de l’épidémie, nous étions entre 23 et 50 consultants par jour. Certes, ce n’est pas représentatif, mais les collègues travaillant à Sétif, Blida ou Oran, affirment la même chose.
Concernant le protocole thérapeutique, est-ce que le traitement à base de chloroquine est administré en Algérie malgré les polémiques autour du professeur Didier Raoult ?
Dire que l’absence d’un traitement est une spécificité de la covid-19 est totalement faux. La majorité des viroses aiguës n’ont pas de traitement spécifique. C’est vraiment rare. Il faut faire la différence, lorsqu’il s’agit de virus, de ce qui est aigu et de ce qui est chronique. Je donne l’exemple de l’hépatite C qu’on peut soigner grâce à un traitement antiviral.
En revanche, la covid19 est une infection aiguë à comparer à la rougeole ou à la grippe. Et pour tous ces virus, il n’existe aucun traitement spécifique.
Maintenant, quelle a été la place de la chloroquine dans la prise en charge des patients atteints de la covid-19 ? Pour nous, médecins, c’est une stratégie globale dont la chloroquine fait partie.
Il faut voir dans quelles circonstances nous avons été amenés à prescrire la chloroquine. Il y a d’abord les observations biologiques, mais aussi ce que la situation nous imposait. Il fallait, donc, s’accrocher à n’importe quelle arme thérapeutique susceptible de diminuer le taux de mortalité parmi les sujets atteints de la covid19.
Vous parlez de Didier Raoult. Il a démarré d’une simple observation biologique qui démontrait qu’administrer la chloroquine, associée à l’azithromycine, ou les donner isolément, était à l’origine, dans des proportions variables en faveur de l’association, et non des médicaments pris isolément, de la réduction de la charge virale.
Il s’est dit, par logique, que s’il réduisait la charge virale, il réduirait la contagiosité et l’intensité de la réaction immunitaire qui est la deuxième phase de la maladie, et qui est le mécanisme principal de décès au cours de l’infection. Ce n’est pas le virus qui tue, mais c’est l’intensité de la réaction immunitaire.
Seulement, Didier Raoult avait un petit souci dans sa démarche. Il lui est reproché de ne pas avoir pris un groupe témoin dans ses études, même s’il l’a fait quelque part. Mais pour lui, c’était immoral de ne pas donner la même chance à tout le monde.
Après, les difficultés rencontrées par le professeur Raoult sont assez justifiées. Car il était difficile de prouver l’efficacité du traitement chez des malades qui devaient guérir de toute façon sans l’effet du médicament.
En ce qui concerne l’Algérie, du moins ce que je pense, j’ai toujours demandé à mes collègues ou étudiants de ne pas être en faveur d’un médicament donné. C’est une stratégie globale dans laquelle nous essayons d’utiliser tous les médicaments qui sont bien tolérés, dont l’innocuité est prouvée. En somme, des médicaments qui nous aident à réduire le taux de mortalité.
Est-ce que la chloroquine est toujours administrée ?
Oui, elle l’est toujours. Toutefois, il faudra probablement comparer dans le futur nos taux de décès à ceux dans d’autres pays du monde pour voir si nous étions bons ou mauvais.
Biographie express :
Né le 31 juillet 1969 à Blida, Mohamed El Amine Boudjella est professeur en médecine interne et chef de l’unité d’endoscopie à l’hôpital Zemirli, située dans la commune d’El Harrach au sud est d’Alger. Détenteur d’une option en gastro-entérologie, Pr Boudjella était membre du laboratoire algérien de recherche sur l’helicobacter pylori (LARH), puis son directeur de 2012 à 2017.
Avant d’opter pour la médecine, il était élève au technicom Larbi Tébessi option comptabilité et commerce, toujours à Blida. « L’année du baccalauréat, j’étais parti à Djelfa. J’ai été donc orienté vers la filière scientifique », se rappelle-t-il avec amusement.
Une fois le sésame obtenu, il s’était inscrit à la faculté de médecine d’Alger en 1986, « un peu par vocation, mais aussi sous l’influence des parents ». « A l’époque, la première année s’effectuait en tronc commun à la faculté de Bab Ezzouar. C’était d’ailleurs la dernière année où l’on a enseigné la médecins dans cette fac », ajoute-t-il.
Fort de son expérience algéroise, Pr Boudjella finit par rentrer dans sa wilaya natale en 1998, pour occuper pendant une année et demie un poste au Centre anticancer (CAC) de Blida. « C’était l’unique en Algérie », indique-t-il.
De retour à Alger, il avait fait partie du LARH sous la direction du professeur Brahim Touchane. Après le décès de ce dernier, il fut désigné directeur.
Même s’il fait la navette entre Blida et Alger tous les jours, et ce, depuis des années, le professeur Mohamed El Amine Boudjella refuse de quitter l’hôpital public.
« J’ai fait partie d’un service dirigé par un homme très ambitieux, en l’occurrence le professeur Touchane. A un moment donné, il nous a légué la lourde tâche de pérenniser la transmission de certains gestes qu’on était les seuls à savoir faire en Algérie », explique-t-il. Et d’ajouter, « il faut donc que je forme un maximum de personnes pour que la maîtrise de cette discipline ne disparaisse pas ».