Le 1er Novembre dans les Aurès-Nemencha
Attaques sur plusieurs fronts
Le démantèlement de l’OS en 1950 et la crise du MTLD entre messalistes et centralistes ont précipité la création du CRUA sous l’impulsion des Six, plus tard concrétisée dans la réunion des Vingt-deux du mois de mars 1954 à Clos-Salembier, aujourd’hui El-Madania, dans la maison de Lyès Derriche. Ces « dissidents » du MTLD, certainement lassés des luttes intestines qui minaient le mouvement, ont, à l’unanimité, choisi la voie de l’action armée et opté pour la confrontation avec l’ennemi. Quelques mois plus tard, l’Algérie s’embrasait à travers des actions synchronisées, soigneusement menées. Entre-temps, des tentatives de sauver le MTLD de l’implosion furent initiées, en vain, les deux parties en conflit campant opiniâtrement sur leur position. C’en était fini de Messali, de ses partisans et des centralistes.
Le 1er novembre 1954, le feu est mis aux poudres et des actions sont signalées un peu partout en Algérie. Dans les Aurès-Nemencha, cette date, restée pour la postérité, est méticuleusement préparée, rien n’est laissé au hasard. Mostefa Benboulaïd était connu pour son sens de l’organisation. Il n’a mis au courant que ses hommes de confiance réunis le 20 octobre 1954 dans la maison d’Abdellah Oumezziti, à Lokrine, un petit bourg situé à quelques encablures de Chemora, à l’est de Batna. A cette réunion, ont pris part Chihani, Adjoul, Laghrour, Nouichi, Hadji et Khantra, tous décidés à s’engager dans l’insurrection armée. C’est la première fois que la date du 1er novembre est évoquée bien que quelques-uns d’entre eux soient déjà au courant. Pour la simple raison que juste après son retour d’Alger où s’est tenue la rencontre des 22, ce même Benboulaïd a, dans une discrétion digne des grands révolutionnaires, réuni dans sa ferme à Lambèse, Adjel Adjoul, Tahar Nouichi, Messaoud Belaggoune et Abbas Laghrour auxquels il a communiqué la date du déclenchement des hostilités.
La machine est enclenchée et le train mis en marche. En seulement quelques jours tout était fin prêt pour passer à l’action. D’autant que l’ennemi ne surveille que le MTLD. Aucun soupçon n’est éveillé malgré les préparatifs accélérés dans cette région connue pour son relief montagneux, accidenté et fortement boisé. La révolution est en marche. Il ne reste que les dernières retouches pour la déclencher le jour J. Des hommes sont mobilisés et des instructions fermes données. Mostefa Benboulaïd et ses proches collaborateurs veillent au grain. Ils ont pour mission de sensibiliser les troupes, de distribuer les armes et les uniformes le jour même du passage à l’action. Les chefs sont triés sur le volet et le dispatching minutieusement effectué. Il faut donc attendre l’heure H pour lancer la Révolution qui, comme tout le monde le sait, durera huit longues années ponctuées par la victoire sur l’une des plus grandes puissances militaires de l’époque.
Mostefa Benboulaïd, l’architecte des attaques du 1er novembre dans les Aurès, est déterminé à découdre avec l’ennemi, la seule voie pour recouvrer l’indépendance confisquée depuis 1830. Dans cette région du pays, le sentiment anticolonialiste s’est accru au fil des années et tellement renforcé que le passage à l’action est inévitable.
L’heure H est donc arrivée. Des groupes de combattants sont formés et chacun a sa propre mission, bien étudiée et savamment organisée. Batna, Barika, Mchounèche, Khangat, Sid Nadji, Ouldja, Kimmel, Khenchela, Zalatou, Ichemoul, Ain Touta et enfin Khroub et Ain M’lila sont les cibles arrêtées par les chefs. Chacune doit recevoir la visite des moudjahidine, bien encadrés par Mostefa Beboulaïd, Abbas Laghrour, Tahar Nouichi, Hocine Berrehaïl, Abdelhafid Soufi, Ali Benchaiba, Messaoud Benaissa, Nouaoura, Bachir Hadji et enfin Hadj Moussa. La machine mise en branle, chacun part de son côté pour inscrire son nom en lettres d’or dans la postérité.
Batna est sous la coupe de Benboulaïd secondé par Ali Baâzi et Mohamed-Chérif Benakcha qui doivent attaquer les bureaux de la sous-préfecture et les locaux de la gendarmerie. Quant à Tahar Nouichi, Belgacem Grine, auteur du premier accrochage avec l’ennemi, le 29 novembre 1954, et Hadj Lakhdar, ils sont chargés d’appuyer ces attaques tout en faisant sauter la station d’essence et la poudrière militaire. La guerre éclate grâce à ces hommes armés de leur seule conviction et de quelques fusils ramassés çà et là.
Peu après minuit, l’ennemi est pris d’assaut dans différents bourgs de la région. Dans la capitale des Aurès, Hadj Lakhdar et ses compagnons, dont le nombre est estimé à une soixantaine, attaquent leurs cibles et se replient instantanément. Le même scénario se déroule à Khenchela à 3 heures du matin. Les agents du commissariat sont neutralisés et délestés de leurs armes. Un autre attentat a lieu à Aïn Silène à la sortie nord de la ville de Khenchela. Arris est coupé du reste de la région alors qu’à Tkout, les éléments de la gendarmerie sont tous neutralisés par le groupe de Bachir Chihani. Au sud de Batna, les hommes de Hocine Berrehaïl arrêtent un bus de voyageurs à Tighanimine. Le jour n’est encore levé. Le caïd hadj Sadek sur le point de dégainer son arme est abattu alors que deux instituteurs français sont malencontreusement touchés par les balles. Bien d’autres actions armées sont signalées un peu partout dans la région. C’est le début d’une guerre meurtrière. Au total, 70 actions sont dénombrées dans tout le territoire national. Leur coordination et leur synchronisation ont, à l’époque, marqué les esprits. Dans les Aurès-Nemencha, l’ennemi est dérouté mais a essayé de minimiser la portée de ces attaques. Mais pour mesurer cette portée, il n’y a pas mieux que le quotidien français, Le Figaro qui titrait en grosse manchette : « L’Aurès en état d’insurrection ».
In Memoria