Le commando Georges
Youssef Ben Brahim : l’homme de main des mercenaires
L’hommage officiel qui lui a été rendu en 2010, en France, où le nom de ce grand harki de la région de Saïda, bras droit de Georges Grillot, chef du commando éponyme, témoigne de la place qu’il occupait dans les rangs de ce groupe de mercenaires.
Recruté par Georges Grillot, sur recommandation du colonel Bigeard qui le qualifiera de « chef sensationnel », Youssef Ben Brahim avait adhéré à l’insurrection armée contre l’occupant dès novembre 1954, et était chargé pendant longtemps d’acheminer des armes, des munitions et des fonds à partir du Maroc. Pour des raisons qui restent, à ce jour, inexpliquées – même si des historiens colonialistes soutiennent qu’il aurait été « écœuré » par la conduite des dirigeants du FLN au Maroc – , il rallie en 1959 l’armée ennemie, avec armes et bagages et accepte l’offre du lieutenant Georges Grillot d’intégrer le commando de chasse qu’il venait de créer et qu’il voulait former essentiellement d’anciens de l’ALN. Ce dernier, travaillant en coordination étroite avec le colonel Bigeard, avait comme plan d’infiltrer l’ALN, en essayant de calquer son mode d’action et de déploiement, tout en noyautant en profondeur les milieux acquis aux moudjahidine. L’expérience de Youssef Ben Brahim et celle de ses « compatriotes », dont les plus connus sont Bendida et Riguet, furent d’un grand apport à l’entreprise macabre des officiers français. Il assura longtemps le recrutement et l’instruction des harkis, en garantissant leur protection et celle de leurs familles. Mais il fut surtout une sorte de « commissaire politique » qui se proposait d’intervenir même dans des conflits domestiques ou de type tribal, tout en entretenant des relations permanentes avec les autorités locales et traditionnelles.
Certains historiens français aiment à répéter que Youssef Ben Brahim fut séduit par le slogan pompeux du commando : « Chasser la misère », mais son palmarès au sein de ce groupe prouve que son objectif premier était de se venger contre ses frères et de faire subir à ses compatriotes les pires représailles. Sa participation zélée aux grandes répressions des manifestations du 11 décembre 1960 à Saïda, qui durèrent plusieurs jours, montre bien qu’il était décidé à rester loyal à l’ennemi, alors que les lueurs de l’indépendance se profilaient à l’horizon. C’est le type même de harkis qui ne pensaient ni à se repentir ni même à s’effacer lorsqu’arrive l’heure des comptes.
Voici un témoignage qui illustre bien les crimes commis par ce félon contre son peuple. Le 23 janvier 1961 à Saïda, alors que les manifestations d’indépendance se poursuivaient sans interruption, de jeunes manifestants, durement réprimés et pourchassés par les forces coloniales, s’étaient retranchés au quartier Boudia. Les commandos, à leur tête Youssef Ben Brahim, secondé par ses acolytes, Riguet et Smain, firent une incursion dans le quartier et forcèrent les portes à coups de massues. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait, ce qui engendra la mort de cinq civils appartenant à une même famille.
Pour leur prouver leur confiance, les dirigeants du commando le nommèrent sergent, dès le départ, avant de le promouvoir au grade d’aspirant, puis de sous-lieutenant et, enfin, de lieutenant, adjoint de Gorges Grillot avec un officier français, Bénésis de Rotrou. Au sein du commando, il se distingua par un dynamisme à tous crins et un dévouement sans faille en faveur de la France et de son armée. Mettant sa connaissance du terrain, des hommes et de la population au service du commando, ce dernier réussit à anéantir presqu’entièrement les maquis de l’ALN dans la région de Saïda.
Voyant son ardeur et son zèle, et pour l’encourager à aller de l’avant, les autorités coloniales, sur instigation de son mentor, le colonel Bigeard, ont tôt fait de le décorer de la médaille militaire. C’est le général de Gaulle qui la lui remit de ses mains en septembre 1960, c’est-à-dire trois mois avant les manifestations populaires du 11 décembre qui surprirent les états-majors français par leur ampleur. Quelques mois plus tôt, De Gaulle s’était adressé personnellement au lieutenant Youssef Ben Brahim, le 27 août 1959 : « Terminez la pacification et une ère nouvelle s’ouvrira pour l’Algérie ! »
Avant même la signature du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, Youssef Ben Brahim quitte l’Algérie pour la France, avec sa famille. Avec son garde du corps, un certain Daho, et un autre harki, Smaïn, il ne lâchera pas prise, puisqu’il continua à s’en prendre aux militants du FLN et à user impunément de leurs armes.
Installé avec d’autres harkis en Dordogne, où il a acheté une petite ferme, il se chargea longtemps d’organiser sa communauté regroupée dans un camp et livrée, comme on le sait aujourd’hui, à elle-même. Entré en conflit avec l’un d’entre eux, il est abattu en 1968. Attentat que des sources proches des nostalgiques de l’Algérie français imputaient, sans preuve, à d’anciens membres du FLN.
In Memoria