Le congrès de la Soummam
DEFI MAJEUR contre l’armée française
Par le Moudjahid AISSA KASMI
LIRE LA PREMIÈRE PARTIE :
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A rappeler que la sécurité du congrès avait été confiée à Si Amirouche et ses assistants Hamaï Kaci, Abderrahmane Mira et Ahmed Fedal, dit Si Hamimi, honorés et passionnés de remplir une mission aussi importante et cruciale pour l’avenir de la Révolution et de son triomphe. A la tête de près de mille cinq cents moudjahidine bien armés, mais surtout très conscients de la responsabilité qui leur incombait dans ces circonstances tout à fait exceptionnelles, ils se sont investis totalement pour être dignes de la confiance placée en eux par le haut commandement de l’ALN. Malgré la présence inhabituelle de tant de maquisards dans un espace aussi réduit, la mobilisation quasi générale de l’ensemble de la population locale (hommes, femmes et adolescents), pour assurer, en plus de la sécurité, la nourriture de tout ce monde-là, le secret des lieux avait été bien gardé et le congrès s’était déroulé dans de très bonnes conditions de sécurité et de logistique, à la satisfaction générale. Chapeau bas à toutes les femmes du douar Ath-Waghlis qui ont battu à cette occasion tous les records connus jusque-là, dans la préparation des galettes, du couscous et de tout ce qui va avec comme accompagnement.
Pour les organisateurs de la rencontre, assurer la nourriture de près de deux mille personnes dans des montagnes éloignées des centres urbains et de surcroît en pleine guerre, avec des moyens du bord, était une question qui se posait en termes de défi de taille qu’il fallait relever coûte que coûte, d’autant que depuis l’histoire de la mule « traîtresse » d’Allaghan, qui a mis la puce à l’oreille de l’armée française qu’une importante réunion des cadres de l’ALN allait se tenir incessamment, le commandement de cette armée était affolé et avait pris toutes les dispositions possibles et imaginables pour connaitre le lieu de la réunion en question afin de décimer d’un coup de maître la direction de la Révolution. Il parait qu’Abane Ramdane aurait déclaré après le succès du congrès : « Il fallait être fou pour organiser un tel congrès en ces lieux », conscient qu’il était des dangers mortels pour la Révolution si le lieu avait été découvert et investi par les forces ennemies. Il faut souligner à l’intention de ceux qui écriront demain l’histoire de la guerre de libération nationale que la rencontre de la Soummam a été le premier et le dernier congrès des responsables du FLN à se tenir à l’intérieur du territoire national durant la Révolution. Toutes les autres réunions ultérieures des chefs de la Révolution ont eu lieu soit au Caire, à Tunis ou à Tripoli, en raison de l’impossibilité de les tenir en Algérie.
Avant de parler des résultats proprement dits du congrès de la Soummam, il me semble utile de rappeler également que pour les responsables invités à participer à la rencontre, il n’était pas question, comme pourraient le penser certains, d’emprunter la route (véhicule, train ou bus) pour se rendre au lieu prévu. La délégation partie d’Alger, au début du mois de juillet 1956, comprenait notamment Abane Ramdane, Ben M’Hidi Larbi, Ouamrane Amar, Sadek Dehilès et Ali Mellah. Elle avait pris la route des maquis escortée par une protection d’une quarantaine d’hommes et au cours du trajet, elle avait été accrochée à plusieurs reprises par les bataillons de l’armée française. La première fois, le 3 juillet à Z’bar-Bar (Palestro) où Abane et Ben M’hidi avait fait le baptême du feu. La deuxième, le 7 juillet, près de Bouira où Ouamrane avait été blessé au mollet gauche. La délégation de la zone II (Nord-Constantinois), composée de Youcef Zighoud, Mostefa Benaouda, Lakhdar Bentobal, Abdelhafid Boussouf, accompagnée d’une forte escorte, avait également livré plusieurs batailles en cours de route à travers monts et vallées entre la région de Skikda et la vallée de la Soummam.
En plus de la réussite de son organisation au plan sécuritaire et logistique, le congrès de la Soummam a abouti à l’adoption d’une véritable charte appelée « Plate-forme de la Soummam » qui est le premier document doctrinal après la brève déclaration du 1er novembre 1954. Cette plate-forme fixe de façon précise les fondements et les objectifs de la Révolution algérienne, les voies et les moyens devant mener à l’indépendance, la désignation des organes de la Révolution (CNRA et CCE), la transformation des zones en wilayas, l’organisation hiérarchique de l’ALN, etc. Dans une conférence donnée au Maroc le 5 février 1960, Lakhdar Bentobal, alors ministre de l’Intérieur du GPRA, avait déclaré en parlant de ce congrès : « Après le 20 août 1956, la Révolution avait été dotée d’une plate-forme, d’une ligne de conduite et de principes bien établis qui ont permis l’unification dans tous les domaines, et ce, pour la première fois depuis le début de notre Révolution, alors qu’auparavant, chaque wilaya vivait renfermée sur elle-même, volait de ses propres ailes. » Au sujet de l’élaboration de la plate-forme adoptée par les congressistes, il faut retenir que la rédaction du projet initial avait été confiée bien avant le congrès, à un groupe de trois militants chevronnés qui sont : Amar Ouzegane, Mohamed Lebjaoui et Abderrazak Chentouf qui ont travaillé sous la supervision de Ramdane Abane et de Larbi Ben M’hidi.
Pour conclure cette modeste contribution et démontrer davantage le sens de la victoire éclatante de la Révolution algérienne sur l’armée française et le colonialisme en général, il me plait de reproduire ci-dessous un article aussi clair que pertinent publié par Saâd Dahlab (l’un des principaux et fins négociateurs des accords d’Evian), dans l’hebdomadaire Algérie-Actualité du 19 mars 1965, dans lequel il décrit magistralement la situation qui prévalait entre les deux antagonistes tout au long de la Révolution : « L’armée française, immense, moderne, riche en hauts faits d’armes, gardienne vigilante de l’empire français, n’imaginait jamais perdre un jour l’Algérie « joyau » de cet empire. Agression, guerre coloniale, répression collective, dispersion par les armes de toute manifestation de masse, chasse aux nationalistes, exécutions sommaires, tortures, destruction de milliers de villages, incendies de forêts, parcages de populations entières, enfumades d’êtres humains et d’animaux dans des grottes, camps de concentration, prisons, guillotine, peloton d’exécution, barrages de mines et de fils de fer électrifiés le long des frontières, pendant 132 ans, l’armée française, ne recula devant rien, eut recours à toutes ces opérations sanglantes et impitoyables, pour conquérir l’Algérie, établir l’ordre colonial, le maintenir par la force et garantir la présence française. Et voici qu’un jour, au faîte de sa puissance, elle s’arrêta net. Ordre de cessez-le-feu. Le ciel tombait. Est-ce un ordre ou une paralysie subite. L’armée française ne bougera plus. La veille, à Evian, les négociateurs algériens et français s’étaient pour la première fois serré la main après la signature de l’accord. Seul le général de Camas était resté figé dans une sorte de « garde-à-vous », le visage blême, le regard morne et presque éteint, comme frappé à mort. Je lui arrachais presque la main pour la serrer. A travers sa douleur, on sentait toute celle de l’armée française. Celle-ci n’était pas battue. Mais le rideau tombait pour toujours sur la tragédie séculaire dont elle était l’auteur. La conscience soudaine de la vanité de son entreprise la frappait de stupeur et de consternation. ». Que dire de plus que cette cinglante sentence de notre éminent diplomate Saad Dahlab ?
Aujourd’hui, alors que nous célébrons le 64e anniversaire de l’historique congrès de la Soummam, précédé une année avant par la grande insurrection populaire du 20 août 1955 dans le Nord Constantinois, sous la direction du chahid Zighoud Youcef dit Sidi Ahmed, le devoir de mémoire et l’obligation de reconnaissance envers tous ceux qui ont offert généreusement leur vie pour que vive l’Algérie nous interpellent pour dire humblement et simplement : gloire éternelle à tous nos martyrs.
Par le moudjahid AISSA KASMI