Les échanges de visites diplomatiques s’intensifient : L’Algérie se repositionne sur l’échiquier international
Chef d’Etats, Premiers ministres, ministres… se succèdent à Alger. Le président Tebboune a effectué, en retour, des visites officielles en Turquie, en Italie, en Egypte, en Tunisie, au Koweit et au Qatar. L’Algérie est, tour à tour consultée, courtisée, sollicitée. Elle fait entendre sa voix sur des dossiers sensibles. Elle revient en force dans les affaires continentales et régionales, après une éclipse diplomatique qui aura duré une décade.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a relevé, mercredi 31 août, le rôle proéminent de l’Algérie dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. Ce n’est ni un hasard ni une complaisance. L’Algérie s’investit réellement dans le règlement du dossier malien et au-delà, dans toute la région du Sahel, déstabilisée par des conflits armés et le terrorisme transfrontalier. Son influence s’affirme de jour en jour. Ce n’est pas sans raison que cette question épineuse a été abordée avec le président français Emmanuel Macron, lors de sa récente visite officielle d’amitié en Algérie, et avant lui avec tous les chefs d’Etat ou Premiers ministres –et ils sont très nombreux- avec lesquels le président Tebboune s’est entretenu au Palais d’El-Mouradia ou au cours de ses déplacements d’Etat à l’étranger (Turquie, Italie, Tunisie, Egypte, Koweit et Qatar).
Après une éclipse diplomatique, qui a duré une décade, l’Algérie est revenue en force dans les affaires continentales et régionales. Elle se réapproprie son statut d’allié stratégique et d’acteur incontournable. Le pays reprend, aussi en main, le dossier de la Libye, dont les troubles politiques et les violences entre parties rivales menacent les 982 kilomètres de frontières communes. Doucement mais surement, il transcende le lobbying marocain au sein des instances internationales. Le repositionnement a commencé à prendre forme à la Conférence internationale de Berlin sur la Libye, en janvier 2020. Invité par la chancelière Angela Markel (un camouflet pour le Maroc écarté de la rencontre), le président algérien a plaidé en faveur d’une « feuille de route aux contours clairs, qui soit contraignante pour les parties, visant à stabiliser la trêve, à stopper l’approvisionnement des parties en armes afin d’éloigner le spectre de la guerre de toute la région ». Il a encouragé « les parties libyennes à s’asseoir autour de la table pour résoudre la crise par le dialogue et les voies pacifiques et éviter ainsi des dérapages aux conséquences désastreuses ». Il a privilégié le parachèvement du processus électoral, constamment repoussé aux calendes grecques. « L’Algérie n’a eu de cesse de déployer des efforts pour inciter les parties libyennes à adhérer au processus de dialogue, parrainé par les Nations Unies et accompagné par l’Union africaine » a-t-il rappelé. La détermination des plus hautes autorités algériennes à empêcher, par tous les moyens, l’occupation de Tripoli par les milices a induit les effets escomptés. Le belliqueux maréchal Haftar a certes menacé de s’attaquer aux frontières algériennes. Il s’est rétracté rapidement, en imputant le dérapage à une manipulation médiatique. Il assiège, par intermittence, la capitale libyenne sans s’aventurer à la prendre de force.
C’est dire que les « efforts » de l’Algérie sont payants. En avril 2022 à partir d’Alger, le chef du gouvernement d’Unité nationale libyen, Abdelhamid Dbeibah, a d’ailleurs salué son « rôle important en faveur de ces élections (constamment reportées) et de leur nécessaire tenue dans les meilleurs délais possibles, ainsi que son soutien à la coopération économique entre les deux pays, notamment dans le domaine du pétrole et du gaz, à la lumière de la conjoncture mondiale ».
L’aide de l’Algérie est sollicitée, en outre, en Guinée-Bissau, en proie à une crise politique profonde. Récemment venu à Alger en visite officielle, le président Umaro Sissoco Embalo a exprimé sa « volonté de renforcer les relations entre nos deux pays et de redynamiser leurs liens, d’autant plus que le rôle de l’Algérie est central et important dans l’établissement des liens de l’unité africaine, la lutte contre le terrorisme et l’instauration de la sécurité et de la stabilité sur le continent ». En contrepartie, le président Tebboune s’est engagé à ouvrir une ambassade à Bissau.
Sur la question du Sahara occidental, l’hégémonie de l’Algérie est incontestée et sa position immuable et inaliénable. Elle soutient inconditionnellement le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination sous l’égide des Nations unies. Elle ne transige pas sur ce principe, quitte à rompre totalement ses relations diplomatiques avec le Maroc et à se brouiller sérieusement avec l’Espagne, sortie –pour des raisons occultes- de la légalité internationale pour soutenir le plan d’autonomie proposé par le Royaume chérifien. Cette constance dans ses positions confère à l’Algérie de la fiabilité et lui concède la reconnaissance de la communauté internationale. En mai dernier lors d’une conférence de presse qu’il a animée conjointement avec le président Tebboune à Ankara, Receep tayeep Erdogan a considéré « hautement le rôle que joue l’Algérie en Afrique du Nord et au Sahel ». Moins d’un mois plus tard au terme de son séjour à Alger, l’envoyée spéciale de l’Union européenne pour le Sahel, Emanuela Claudia del Rey, a déclaré : « l’Algérie a un rôle clé dans la région du Sahel, en tant que garant politique de l’accord de paix d’Alger au Mali, ainsi qu’en tant que pays faisant partie de la région du Sahel, une région qui souffre de problèmes liés au manque de stabilité au niveau de la sécurité ».
Dans une sphère géopolitique plus large, l’Algérie se profile dans la stature d’un partenaire idéal au regard des pays du vieux continent, tourmentés par une crise énergétique sans pareille. Elle offre l’avantage de la situation géographique dans le bassin méditerranéen, d’un désendettement extérieur total, d’une stabilité politique et institutionnelle, d’une infrastructure pétrolière et gazière dense, de grandes réserves en énergies fossiles et un potentiel solaire incommensurable. Proactive, l’Italie a su rentabiliser la visite d’Etat du président Tebboune en Italie puis la venue du Président du Conseil des ministres italien, Mario Draghi (depuis démissionnaire), en juillet 2022, pour augmenter ses livraisons en gaz algérien de 4 milliards de m3. Une performance dans une conjoncture, augurant d’un hiver froid, en Europe (la Russie a déjà coupé les vannes de ses gazoducs à une partie de l’Europe). De nombreux pays du vieux continent, particulièrement la France et l’Allemagne, s’échinent à obtenir un accord aussi providentiel. L’Espagne aussi, paradoxalement. Pour cause, ce pays subit durement les contrecoups de son rapprochement contre-nature avec le Maroc, au détriment de ses relations bilatérales avec l’Algérie. « J’aimerais être celui qui ira en Algérie » a déclaré, mardi dernier, Pedro Sanchez, chef du gouvernement ibérique lors d’une conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand Olaf Scholz. Il a réitéré son appel courtisan, ce jeudi, sur les ondes d’une radio locale. « J’ai toujours défendu que l’Espagne pouvait avoir d’excellentes relations avec les pays voisins comme l’Algérie. Nous travaillons pour que les relations puissent être réorientées » a déclaré. Le vœu est assurément pieux, dès lors qu’il émane de l’homme à l’origine de la crise latente entre les deux Etats. Une crise dont il n’avait probablement pas mesuré, à son amorce, l’impact politique, et surtout économique sur son propre pays et sa population. Pedro Sanchez a détissé, en se désengageant unilatéralement de ses responsabilités morales envers le Sahara occidental, des liens auparavant solides avec l’Algérie. Mal lui a pris, puisque le plus grand pays de l’Afrique, en superficie et en richesses naturelles, « joue actuellement un rôle central sur le nouvel échiquier international », de l’avis des experts internationaux en géopolitique. « La récente découverte de gaz confirme un statut de puissance-relais qui intéresse Russes et Chinois pour le potentiel qu’elle recèle en matière de positionnement stratégique, permettant de rayonner sur toute l’Afrique. Ces deux pays, qui ne cachent pas leur volonté de présence sur le continent noir, bénéficient d’une attention particulière d’Alger à travers un partenariat dense, stratégique, et jamais démenti » souligne-t-on. En mai 2022, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov arrive à Alger pour consolider une relation bilatérale, vieille de 60 ans. « Notre dialogue politique se développe de manière active, tout comme la coopération économique, militaire et technique et les liens humanitaires et culturels » avait-il affirmé.
En parallèle à ses actions dans les zones de conflits dans sa région, la consolidation de ses partenariats économiques notamment avec les européens et son rapprochement stratégique avec Moscou, Pékin et Ankara, l’Algérie s’attelle à resserrer les rangs d’une communauté arabe fragmentée. Le Sommet arabe, prévu à Alger le 1er et le 2 novembre, en sera un prélude ou peut-être carrément un aboutissement. « Les efforts de l’Algérie, gouvernement et peuple, seront couronnés de succès dans l’exécution de cette mission que l’Etat algérien mènera avec succès, lui qui a déjà abrité des sommets similaires » a pronostiqué le Secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheït, lors de son passage à Alger.
L’Emir du Qatar Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani, l’Émir du Koweït, Nawaf al-Ahmad al-Jaber al-Sabah, le roi Selmane Ben Abdelaziz Al Saoud, le président égyptien Abdelfatah El Sissi, ses homologues tunisien Kais Saeid, libanais Michel Aoun et mauritanien MohamedOuld Cheikh El-Ghazouani, ainsi que le président palestinien Mahmoud Abbas et évidemment le président sahraoui Brahim Ghali adhèrent pleinement à l’initiative d’Alger, au gré d’échanges de contacts intenses, ces derniers mois.
S. Biskri