Palestine-Sahara Occidental : entre troc et colonisation
Pascal Boniface est un politologue français, fondateur et directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Il a traité entre autres de l’arme nucléaire, du conflit israélo-palestinien et de géopolitique du sport.
Il parle dans sa dernière intervention du deal entre Donald Trump, le président américain sortant et le roi du Maroc, Mohamed VI par lequel, tous deux se sont entendus sur le dos de deux peuples, de deux Etats encore sous domination étrangères, les considérant comme une marchandise pour une entente stratégique : le Maroc reconnait l’entité sioniste et normalise ses relations avec Israël, contre une reconnaissance des USA de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental.
Le spécialiste rappelle que c’est une victoire diplomatique pour Donald Trump qui continue de forcer la main à tout pays montrant des signes de faiblesses mais aussi, et surtout, pour Netanyahu qui accorde une importance beaucoup plus grande à la normalisation avec le Maroc qu’avec le Bahreïn ou les Emirats Arabes Unis qui ne représentent rien sur l’échiquier régional ou arabe, contrairement au Maroc, beaucoup plus grand et beaucoup plus influent. En plus, le roi du Maroc préside le comité Al Qods-Jérusalem et il est donc bien plus impliqué dans la résolution du conflit israélo-palestinien.
L’existence d’une opinion marocaine favorable à la Palestine et qui le démontre à chaque occasion a empêché le Roi du Maroc de faire état jusque-là d’une normalisation avec Israël de peur de s’attirer l’animosité et la rancœur de la majorité de son peuple, déjà éreinté par la mal-vie et les difficultés économique du royaume.
Par contre, la souveraineté sur le Sahara Occidental est devenue une cause nationale qui fédère la quasi-totalité des marocains sur cette question et obtenir une reconnaissance, même de la part d’un président des Etats-Unis sortant, est perçu comme une victoire diplomatique très importante. De ce fait, l’annonce de la normalisation des relations avec Israël qui coïncide avec la reconnaissance de la souveraineté sur le Sahara Occidental ‘fera passer la pilule’ et la société marocaine serait plus encline à l’accepter contre la reconnaissance de ce qu’ils croient être leur droit sur les terres du Sahara Occidental.
Qui plus est, il est à noter que la reconnaissance au grand jour d’Israël par le Maroc revêt une bien plus grande importance que la reconnaissance par les USA de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental puisqu’elle leur était déjà acquise, les américains étant depuis longtemps plus proches de la vision de Mohamed VI que de celle du Polisario ou de l’Algérie.
Et là, le politologue abat une carte maitresse, reconnaissant à l’Algérie une constance dans ses positions et dans ses principes, à l’inverse du Maroc ‘Plie face aux occidentaux’.
‘’L’Algérie pourra, une fois de plus, se présenter comme pays phare portant la voie des pays du Sud, se distinguant de son rival marocain qui, à l’inverse, plie face aux Occidentaux’’, a-t-il affirmé – remarquer ‘une fois de plus’.
L’auteur continue ensuite en comparant la normalisation des pays du Golfe avec l’entité sioniste en rappelant que c’était l’intérêt commun (l’Iran) qui les a rapprochés, de même que pour le Soudan qui est confronté à de grandes difficultés financières et qui espère bénéficier des largesses américaines et israéliennes.
La technique de Trump consistant à faire grande pression sur certains pays pour la normalisation avec Israël contre des aides matérielles et obtenir ainsi, ce qu’il veut. Ironie du sort, le Maroc a déjà été victime de cette technique de Trump qui a menacé les pays qui ne voteraient pas pour les USA (USA, Mexique, Canada) pour l’organisation de la Coupe du Monde de 2026, privant ainsi le … Maroc de celle-ci.
Pourtant, malgré cette victoire mitigée, le roi Mohamed VI pourrait faire face à un débat houleux au sein de la société marocaine à cause de l’abandon de la cause palestinienne qui, rappelons-le jouit d’un soutien très fort dans tous les pays arabes, du moins chez les populations de ces pays.
Par cette décision unilatérale, Trump et Mohamed VI risquent d’embraser la région et porter les combats même à l’intérieur du Maroc, sans oublier la situation sociale explosive à l’intérieur du Royaume. Le silence complice de l’Europe et d’une partie de l’Afrique pour ce qui est de la question palestinienne n’est pas non plus fait pour apaiser les esprits et constitue inévitablement ‘un foyer incandescent et qui ne peut que produire de la violence à terme’.
Avec cette ultime trahison, Mohamed VI, et aux dires mêmes des pays occidentaux, se dirige vers une situation dangereuse où il risque de laisser des plumes et … son trône !
Tahar Mansour