Passif historique franco-algérien
Des plaies encore béantes
Le 18 mars 1962, les accords du cessez-le-feu étaient signés entre l’Algérie et la France, mettant ainsi fin à 130 ans de joug colonial et à plus de 7 ans de lutte armée.
Un demi-siècle plus tard, le passif historique franco-algérien reste inchangé et la réconciliation entre les deux pays reste une vaine promesse.
Lorsque les négociateurs des deux pays se sont assis à la table des négociations, les visées n’étaient pas les mêmes pour chacun d’entre eux. L’Algérie aspirait à recouvrer son indépendance et à retrouver la paix, tandis que la France tentait de préserver ses acquis, surtout qu’elle avait essuyé de sérieux revers notamment en Indochine en 1954 d’où elle avait été chassée et qu’elle avait accordé l’indépendance de la Tunisie et du Maroc en 1956 pour justement pouvoir garder l’Algérie, son département d’outre-mer. Mais ses calculs ont été biaisés car le peuple algérien n’a jamais baissé les bras et s’est battu pour libérer sa patrie.
Les Algériens n’avaient que trop soufferts des injustices et des exactions commises à leur encontre par les Français. D’après certaines estimations, on avance le chiffre de 20 000 personnes qui auraient trouvé la mort, victimes de famine, d’épidémies et d’exécutions arbitraires. Des milliers d’autres se sont retrouvées regroupées dans des camps d’internement, dans des conditions inhumaines, comme l’a fait Hitler avec les Juifs, durant la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, 50 ans après l’indépendance de l’Algérie, les Algériens n’ont rien oublié de ces années de douleur et d’injustice et continuent encore à subir les contrecoups de cette guerre meurtrière.
Les essais nucléaires dans le Sahara algérien
Le 22 juillet 1958, le général de Gaulle fixait la date de la première explosion expérimentale au 1er trimestre 1960 et ce, en dépit du moratoire décidé en 1958 par les USA, l’ex-URSS et la Grande Bretagne interdisant les essais nucléaires atmosphériques. Cependant, les armées avaient déjà créé, en février 1956, le Groupe d’études des expérimentations spéciales et, en juillet 1957, décidaient d’implanter un champ de tirs nucléaires près de Reggane. Le 13 février 1960, à 7 h 04, à 40 km au sud de Reggane, a eu lieu le premier tir nucléaire français, la bombe atomique française ou bombe A, sous le nom de code «Gerboise bleue», atteignant une puissance de feu nucléaire estimée à trois fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima. Hamoudia a été le point zéro de l’explosion. Suivront «Gerboise blanche» (1er avril 1960), «Gerboise rouge» (27 décembre 1960) et «Gerboise verte» (25 avril 1961). Plus d’une centaine de soldats auraient été contaminés et une dizaine auraient trouvées la mort. A partir du 7 novembre 1961, les autorités françaises décident d’effectuer les prochains tirs atomiques dans des galeries souterraines creusées dans les montagnes du désert, au Hoggar, notamment à In Eker à 150 km au nord de Tamanrasset afin d’éviter toute contamination.
Ainsi, treize tirs en galerie ont été effectués dont quatre n’ont pas été totalement contenus ou confinés. Leurs noms de code : Agathe, Béryl, Améthyste, Rubis, Emeraude etc. En 1966, après l’indépendance de l’Algérie, la France abandonne ses expériences au Sahara, selon les accords d’Evian.
Conséquences sur la population et l’environnement
Les effets des essais nucléaires, atmosphériques à Reggane et souterrains à Tamanrasset, continuent, aujourd’hui encore, à se faire ressentir avec des pathologies caractéristiques des radiations. Bien que les morts n’aient pas été recensés car considérés morts de cause naturelle à l’époque, faute d’encadrement sanitaire, les maladies sont évidentes même chez les animaux. Les témoignages des victimes algériennes confirment les séquelles physiques et psychologiques profondes laissées par ces armes telles que les défigurations, les maladies dermatologiques et respiratoires ainsi que l’apparition de maladies graves telles que les cancers de la peau, du poumon ou du sang, la stérilité ou l’alopécie.
L’environnement, non plus, n’a pas échappé aux suites de l’usage inconsidéré de ce type d’armes.
Après des décennies de revendications, de mobilisations et de réclamations, de la part de l’Algérie (associations des victimes…), l’Etat français a, finalement, fini par reconnaître les victimes comme telles, pour la première fois de l’histoire commune des deux pays. Toutefois, l’indemnisation des victimes est conditionnée par trois critères exigibles et cumulatifs, à savoir justifier d’abord de la présence dans des zones géographiques déterminées, justifier la présence dans ces zones à certaines périodes déterminées, et enfin, être atteint d’un des dix-huit cancers radio-induits, tels que listés dans le décret d’application du 11 juin 2011. L’indemnisation est possible pour les victimes directes, mais également pour les ayants droit (veuves ou enfants des victimes, aujourd’hui décédées).
Mines antipersonnel et barbelés électrifiés
Afin de couper la route au financement, l’approvisionnement et à l’armement, les militaires français ont eu recours, durant la guerre de libération, à l’édification de deux barrages de barbelés électrifiés et procédé au minage des frontières orientale et occidentale algériennes.
Ces «sème la mort» qui ont fait des centaines de victimes par le passé, continuent, aujourd’hui encore, à faire arracher des vies innocentes, 50 ans après la fin de la guerre.
Les MAP ont entraîné la mort de 3 526 personnes tandis que 3 000 autres sont handicapées. Par ailleurs, 51 communes sont toujours considérées comme à haut risque (chiffres de 2009).
Entre 1963 et 1988, 1 482 km sur les 2 500 au niveau de la ligne Challe et Morice qui comportait pas moins de 10 883 mines, soit une moyenne de 1,3 mine par habitant, ont été dépollués.
Entre 2004 et 2009, 416 000 mines ont été supprimées permettant de récupérer 2 000 hectares de terres.
La désillusion des pieds-noirs
Dans les mois qui suivent la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, 1200 000 Français d’Algérie, soit 10 % de la population locale, quittent le pays, sans espoir de retour. Si nombreux sont ceux qui ont imputé ce départ précipité au «climat de terreur instauré par le FLN» (sic), beaucoup réfutent cet argument fallacieux. L’historien Benjamin Stora explique, pour sa part, que «les Européens ont eu très peur. Mais peur de quoi ? Peur surtout des représailles aveugles, d’autant que les pieds-noirs savaient, et savent toujours, que le rapport entre leurs morts et ceux des Algériens était d’au moins un pour dix ! Quand l’OAS est venue, un grand nombre d’entre eux l’a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l’OAS. Pourtant, une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens».
Mais ils ne sont pas tous partis. On avance le chiffre de 200 000 Français restés en Algérie après l’Indépendance! Plus des deux tiers d’entre eux se sont regroupés à Alger et dans ses environs
Toutefois, ils sont nombreux à partir fin 1963, début 1964, notamment des fonctionnaires dont le contrat est arrivé à expiration. Sur les Européens qui sont en Algérie après l’Indépendance, il y a ceux qui sont là au titre de la coopération technique (instituteurs, ingénieurs …), 4000 agriculteurs français allaient aussi bientôt plier bagages. Au début des années 1990, il ne restait plus, en Algérie, que 2 000 Français, dont une poignée de pieds-noirs.
Aujourd’hui, nombre d’entre eux en veulent vraiment à la France d’hier mais pas aux Algériens d’aujourd’hui. Tous ceux qui sont revenus depuis racontent l’accueil chaleureux qu’ils ont reçu en tant que pieds-noirs. «Autant de signes qui entretiennent chez les rapatriés le sentiment douloureux que si les deux communautés n’avaient pas été broyées par l’Histoire, elles auraient pu continuer à vivre ensemble».
In Memoria