Entretien
Omaima Abdeslam, ambassadrice du Front Polisario auprès des Nations Unies et d’autres organisations en Suisse : « Après l’Espagne, l’ONU nous a trahis aussi ! »
Diplomate chevronnée, maniant le verbe avec une rare dextérité, Omaima Abdeslam, ambassadrice du Front Polisario auprès des Nations Unies ne croit hélas plus aux vertus de la diplomatie, des négociations et du dialogue fructueux. Après les trop nombreuses trahisons subies par le peuple sahraoui tout au long de son combat pour arracher son indépendance, il ne lui reste hélas plus que l’option de la lutte armée.ert c’est d’autant plus dommage et regrettable comme le rappelle à bon escient notre interlocutrice que le peuple sahraoui, tolérant, pacifiste et adepte d’un islam moderne et ouvert, est un facteur de stabilité de toute cette région du monde. Aider à régler le conflit du Sahara Occidental en permettant à ce peuple de décider librement et souverainement via un référendum d’autodétermination, c’est en finir avec l’émigration clandestine, le terrorisme, le trafic de drogue et… l’odieux chantage marocain. Ecoutons plutôt cette diplomate très dynamique, et cette grande militante de la cause sahraouie…
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Comment vivez-vous et réagissez-vous à la trahison par le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez de la cause sahraouie ?
Omaima Abdeslam : ce changement de position de la part de Pedro Sanchez a été très majoritairement rejeté par la société civile espagnole ainsi que sa classe politique. Le peuple espagnol a clairement exprimé à tous les niveaux son rejet catégorique de cette violation flagrante de la constitution espagnole, mais aussi du droit du peuple sahraoui à son autodétermination. C’est le deuxième fois que le gouvernement espagnol trahit de cette façon honteuse le peuple sahraoui. Et ces deux trahisons ont été menées en cachette. La trahison espagnole est à chaque fois honteuses et insoutenable qu’elle se fait systématiquement en cachette. Avant la trahison de Sanchez en 2022 les accords de Madrid de 1975 s’étaient eux aussi faits en cachette. J’ajouterais à cela que tous les conflits civils espagnols ont commencé en Afrique. La guerre civile des années 1930 avait par exemple commencé à Sidi Ifni, à Sebta et Mellila. Même si je ne souhaite pas que l’Espagne sombre dans un conflit interne aux conséquences incommensurables, force est de dire que la honteuse trahison de Sanchez ne sera pas sans conséquences sur la vie politique et institutionnelle espagnoles. En attendant, la chute de Pedro Sanchez ne fait pas de doute pour moi, à cause du rejet massif par le peuple espagnol de sa honteuse trahison. Sa transgression de la constitution de son pays ne peut en effet pas rester sans conséquences. En attendant la suite des évènements, il faut rappeler que l’Espagne a des responsabilités légales et historiques vis-à-vis du Sahara Occidental. Elle est responsable et coupable du drame du peuple sahraoui, qui perdure jusqu’à ce jour. Le pire, c’est que l’Espagne persiste et signe dans sa honteuse trahison et fuite en avant.
Quelles conséquences peuvent avoir cette trahison sur l’évolution de la cause sahraouie, sachant précisément que l’Espagne est légalement considérée comme étant la puissance administrante de ce territoire non-autonome ?
Ce changement de position ne change rien du tout. C’est le peuple sahraoui qui tient son destin en main. Les coups que nous subissons régulièrement, tel que les consulats ouverts en territoires occupés, n’ont aucune valeur juridique. La trahison espagnole ne change rien à la donne sur le terrain. Cette donne est la suivante : le Maroc occupe illégalement un territoire qui ne lui appartient pas, en pille les ressources et y viole les droits de l’Homme.
Lors de la première tournée dans la région de Staffan de Mistura, envoyé personnel du SG de l’ONU pour le Sahara Occidental, celui-ci n’a pu se rendre dans les territoires occupés. Est-ce normal ? Est-ce que le peuple sahraoui qui y vit y est retenu en otage ?
En effet, il n’est pas normal du tout que le Maroc interdise à l’envoyé personnel du SG de l’ONU de se rendre dans ces territoires. C’est d’une gravité extrême. On pourrait en déduire que l’ONU a perdu tout pouvoir sur le Sahara Occidental. L’ONU, au lieu d’aider à résoudre ce conflit, et j’ai le regret de le dire ici, est hélas devenue est partie de ce problème. Avant ce revirement de l’Espagne, la France avait systématiquement neutralisé le conseil de sécurité. Il ne nous reste plus qu’à nous battre par tous les moyens à notre disposition. Et c’est ce que nous faisons depuis le 13 novembre 2020. C’est à nous peuple sahraoui d’arracher notre indépendance par la force. Nous avons perdu toute confiance en l’ONU, même si nous continuons à respecter la légalité internationale et à nous inscrire dans ce processus.
Il est vrai que l’histoire nous a appris que la liberté ne se donne pas, mais doit plutôt être arrachée. Nous constatons aujourd’hui qu’à la faveur du conflit ukrainien, la politiquer occidentale des deux poids deux mesures est dénoncée sur la place publique. Comment est-ce qu’aucune sanction n’est prise à l’encontre des responsables marocains, à commencer par Mohamed VI lui-même, qui occupent illégalement depuis 1975 un territoire qui ne leur apparient pas ?
Absolument. C’est cette politique des deux poids deux mesures qui a fini par réduire à néant l’autorité de l’ONU, et par en entamer très sévèrement la crédibilité. Certains dirigeants israéliens et américains jouissent d’une impunité tout simplement scandaleuse. C’est cette permissivité onusienne qui a aggravé le conflit sahraoui, et renforcé l’impunité de Mohamed VI.
Votre déception vis-à-vis de l’ONU est totalement compréhensible. Permettez quand même une question subsidiaire relative à ce sujet. Est-ce à dire que vous n’attendez rien du tout du conseil de sécurité, qui doit se réunir le 20 avril courant pour se pencher sur la question du Sahara Occidental ?
L’ONU doit accomplir beaucoup d’actions justes et urgentes en notre faveur afin de recouvrer notre confiance. Il n’en demeure pas moins que nous, au Polisario continuons de travailler avec les Nations-Unies et d’adhérer au processus de paix. Mais, avec cette attitude de la part de l’ONU, vis-à-vis de lac question du Sahara Occidental, notre confiance est totalement perdue en cette organisation mondiale. L’attitude de l’ONU est pour le moment totalement inacceptable et scandaleuse pour nous. Et c’est la raison pour laquelle nous avons repris le combat armé, et n’adhérons plus au processus de paix.
Lors de son escale dans les camps de réfugiés, de Mistura a reçu une volumineuse documentation répertoriant les graves dépassements marocains, allant jusqu’aux viols, détentions arbitraires, tentatives d’assassinats. Est-ce que le silence de l’ONU et de Guterres va durer encore longtemps ?
Nous informons de manière détaillée l’ensemble des instances et institutions à Genève de tout ce qui se passe dans les territoires occupés sahraouis. Comme vous le savez, le Maroc n’y dispose pas de la puissance administrante. La protection du peuple sahraoui est donc du ressort exclusif de l’ONU. Notre protection et notre intégrité morale et physique dépend directement du Haut commissaire aux droits de l’Homme que préside Mme Bachelet. Or, le manque de volonté politique, ainsi que les ingérences et interférences de certains Etats ont permis au Maroc de poursuivre impunément ses violations des droits de l’Homme, de même que le pillage de nos ressources naturelles. Les responsables onusiens sont systématiquement tenus informés de ce qui se passe au Sahara Occidental. Le cas de Soltana Kheya n’est pas isolé. On recense par exemple plus de 400 cas de disparitions forcées, non résolues jusque-là. Le peuple sahraoui n’est pas protégé. L’absence ou le manque de volonté politique encourage et perpétue l’impunité marocaine. C’est une honte pour l’ONU, pour la communauté internationale et pour toute l’humanité. Certains « amis » du Sahara Occidental au conseil de sécurité, en sont en fait des ennemis. Ils monopolisent cette question, et empêchent les autres Etats d’assumer leurs responsabilités pour agir enfin en faveur de la tenue d’un référendum d’autodétermination. C’est d’ailleurs la seule issue possible et acceptable. Le monopole de ces cinq Etats du conseil de sécurité est plus inacceptable que jamais.
Lors de notre dernier entretien, vous aviez développé une idée particulièrement intéressant pour moi, à savoir que le peuple sahraoui est un facteur et un acteur de stabilité de toute cette région sensible de la planète. Permettre son indépendance, c’est en finir dès lors avec le terrorisme, l’émigration clandestine et le trafic de drogue. Pourquoi est-ce que les grandes puissances qui tiennent en main l’unique et incontournable solution à ce problème, s’évertue-t-elles à faire la sourde oreille à vos revendications alors que leur intérêt réside assurément dans votre indépendance ?
Ce que vous dites est particulièrement vrai. Le hic, c’est que les pays qui tiennent en main les clés de la solution sahraouie priorisent des préoccupations immédiates au détriment des intérêts des peuples de cette région, dont le nôtre. Gardez en mémoire que l’on parle ici de la grande Algérie, de la Tunisie, de la Libye, de l’Egypte, de la Mauritanie… le Maroc, à lui seul, est devenu un problème très grave pour les peuples et les dirigeants de tous ces pays. Il l’est également pour les Européens même s’ils donnent l’air de ne pas s’en rendre compte. Le chantage marocain à l’endroit des dirigeants européens est tout bonnement inacceptable. La question non-résolue du Sahara Occidental continue de bloquer le développement socioéconomique de toute cette région du nord de l’Afrique. Des millions de personnes sont affectés par ce conflit qui perdure depuis 1975. Il est plus que temps d’y mettre un terme définitif. Ces populations sont prises en otage par le Maroc, qui utilise un odieux chantage contre l’Occident pour perpétuer sa politique du fait accompli. Le chantage marocain et la lâcheté de beaucoup de dirigeants européens sont absolument inacceptables. Il faut en finir avec le régime du Makhzen, et libérer au passage le peuple marocain, lui aussi pris en otage par ce pouvoir dictatorial et prédateur. Nous avons les moyens d’arrêter le trafic de drogue, l’émigration clandestine et le terrorisme. Pui, nous somme un puissant facteur de stabilité au niveau de toute cette région d’Afrique du nord.