La moudjahida Saliha Azza, veuve de Mohamed Rouaï : « Si Tewfik fut d’une discrétion légendaire »
Elle fut moudjahida et infirmière au sein de la clinique de si Abdeslman Haddam à Oujda où elle a connu d’ailleurs celui qui sera plus tard son époux. La fille de Abdelkader Azza, un authentique militant de l’UDMA de Ferhat Abbas qui fut lui-même gagné à l’idée du combat libérateur à Sidi Bel Abbès, raconte son activité au sein d’une structure de santé de l’ALN et sa vie à côté de l’une des figures les plus marquantes du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG), le défunt Mohamed Rouaï, dit El Hadj Tewfik jusqu’à sa disparition le 26 mai 1977.
De prime abord, l’ancienne infirmière de l’ALN, qui avait regagné le maquis de la liberté, en 1956 à Sidi Bel Abbès, avoue ne connaître que peu de choses sur les activités de son défunt mari au sein de l’ancêtre des services de renseignements militaires algériens.
Elle évoque, d’ailleurs, plus l’homme que fut Mohamed Rouaï que son action au sein des structures de la Révolution. « Il était très discret et parlait très peu de son action au sein du MALG », a-t-elle souligné, ajoutant que même après son retrait volontaire de la vie politique après l’indépendance, il n’évoquait jamais ce qu’il avait vécu avec ses compagnons. Mohamed Rouaï était un homme serviable, disponible et à l’écoute des gens qui le sollicitaient. C’est dans ce cadre que Mme Saliha Rouaï raconte l’aide qu’il avait prodiguée à un prisonnier qui se sentait lésé et qui l’avait appelé au secours. « Une fois, il a reçu une lettre d’un prisonnier qu’il ne connaissait pas du tout. Ce prisonnier lui demandait de l’aide car il se sentait lésé dans ses droits », raconte-t-elle, affirmant que « si Tewfik est allé lui rendre visite en prison, pour lui dire : si tu as été lésé, je vais t’aider mais si tu as commis le délit qu’on te reproche, je ne vais rien faire pour toi ». Il avait envoyé maître Touil qui était avocat et son ami, selon Mme Salaha Rouaï, en lui demandant de faire le nécessaire. S’apercevant que la personne concernée était lésée, si Tewfik est intervenu pour qu’il soit rétabli dans ses droits, a-t-elle confié pour illustrer la disponibilité de son défunt mari et son parti pris pour la justice et le droit.
J’étais logé chez Kaid Slimane, un commerçant algérien installé à Oujda. Un jour, raconte Mme Saliha Rouaï, Kaid Slimane est venu à la clinique pour se faire soigner suite à une crise d’asthme. Je lui avais fait une piqure, ajoute-t- elle, pour le soulager. Il m’avait invité chez lui et depuis, il m’avait pris en affection, au point où j’étais traité au même titre que ses filles. Il fut un second père pour moi, reconnaît-t-elle.
Mme Saliha Rouaï, affirme encore, en se référant à ce que lui avait raconté le gendre de Si Abdeslam Haddam. Il s’agit d’une visite du colonel Lotfi et feu Rouaï au domicile de Haddam. Ce dernier prit congé de ses invités pour se coucher vers 21 h. Réveillé vers 6 heures du matin, il fut étonné de voir les deux hommes assis à la même place entrain de discuter.
Evoquant les conditions dans lesquelles elle avait connu son futur mari, elle a rendu un vibrant hommage au docteur Abdeslam Haddam qui avait mis sa clinique, sise à la rue de Casablanca à Oujda, à la disposition de l’ALN. « Le docteur Abdeslam laissait de côté ses malades pour recevoir durant la matinée des moudjahidine malades ou blessés. J’étais infirmière et j’exerçais dans cette clinique.
Il y avait le responsable de cette clinique Abdeslam Haddam, les docteurs Allouache et Berkat qui recevaient les moudjahidine », se souvient-t-elle. « C’est dans cette clinique que j’avais reçu le père de Rouaï, M. Dahou qui avait conseillé à son Mohamed de me prendre comme épouse. » Juste après son retour en Algérie, M. Dahou fut assassiné par les autorités coloniales.
« El-Hadj Tewfik venait souvent discuter avec Haddam, lors de ses fréquentes missions dans la région », raconte-t-elle pour affirmer qu’elle avait remarqué son sérieux et sa disponibilité pour aider les moudjahidine.
Le mariage eut lieu le 29 mai 1959, en présence du père de Saliha,
Abdelkader Azza, de Boumediene, du colonel Lotfi et de Kaïd
Ahmed, dit le commandant Slimane qui était l’ami de Azza au sein de l’UDMA.
« La crise de l’été 1962 était comme une catastrophe pour Mohamed Rouaï. Durant cette période pénible, il avait mis à la disposition de la Révolution un camion de 10 tonnes qu’il avait acheté auparavant», se souvient encore Mme Saliha Rouaï qui précise que son défunt mari avait mal vécu ces événements dramatiques de la crise entre le GPRA et l’état-major de l’ALN.
Tout en vantant les soins qu’il prodiguait à la famille du colonel Lotfi, en mettant à l’oeuvre la dernière volonté du défunt Lotfi, avant de rentrer en Algérie et de tomber au champ d’honneur, elle a néanmoins rappelé les appréhensions de si Tewfik face à quelques aspects de la politique de Boumediene, notamment sur la question de la Révolution agraire à laquelle il fut très réticent, sinon franchement critique.
Si Tewfik disait, raconte-t-elle, que « cette politique va détruire ce qui reste du secteur de l’agriculture dans notre pays ».
En parfait autodidacte, si Tewflk, qui connaissait, selon son épouse, presque par coeur l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, avait de l’admiration pour Lincoln. « Il disait que Lincoln était un patriote qui aimait son pays. » Si Tewfik, qui avait la même admiration pour George Washington, et pour les mêmes motifs, avait rendu visite à ce pays. Il était partisan d’un rapprochement avec ce pays, révèle-t-elle, tout en reprochant aux USA leur position vis-à- vis de la Palestine.
Nacer Zenati