Mériem Merdaci, éditrice et ancienne ministre de la Culture : « L’Algérie au cœur »
Dans une interview exclusive accordée à La Patrie News, l’ancienne ministre de la Culture, Mériem Merdaci, fille du célèbre sociologue et historien, le défunt Abdelmadjid Merdaci, a esquissé un tableau de la situation du secteur de la culture en Algérie, tout en relevant les lacunes à combler, notamment la situation des éditrices et éditeurs, mais également le marché du livre qui laisse à désirer. Une occasion également pour notre interlocutrice de revenir sur le parcours honorable de son père, un grand historien qui a porté l’Algérie dans son cœur. Le défunt nous a quittés le 17 septembre 2020 à l’âge de 75 ans des suites d’une longue maladie.
Entretien réalisé par Yahia Maouchi
La Patrie News : Que devient Madame Merdaci après avoir quitté le gouvernement en 2019 ?
Mériem Merdaci : Pour le moment je suis en pause, mais ceci ne m’empêche pas de participer aux activités culturelles, puisque j’ai grandi et baigné dans ce monde. Cela n’empêche pas non plus, d’apporter quelques contributions autour de la question mémorielle algérienne, notamment l’histoire de la guerre l’indépendance. J’avais déjà apporté une contribution sur les événements du 19 mars 1962, dont nous avions fêté le 60e anniversaire il y a de cela quelques mois et tout récemment une modeste contribution sur le double anniversaire de 20 août 1955/1956.
Je dirais que c’est une réorientation un peu logique vers les questions d’histoire vu que je baigné dans ce domaine-là, et que j’ai fait un Master II à l’université de Paris XIII en Histoire, Société et Culture. Certes je travaille beaucoup sur les questions de l’histoire mais je reste toujours dans le domaine de la culture, de l’édition, qui est mon domaine de prédilection, outre le domaine du journalisme étant donné que j’étais pendant trois ans journaliste au quotidien ‘’La tribune ‘’. En plus de consacrer du temps pour rencontrer des artistes et acteurs culturels avec qui je suis toujours en contact.
La Patrie News : Quel regard portez-vous objectivement sur la situation du 7ème art en Algérie ?
Mériem Merdaci : Le cinéma a toujours été un legs très lourd dans le domaine de la culture. L’état des salles de cinéma qui reste toujours un problème, ainsi que le coût très élevé pour produire un film. Certes, l’Etat essaie d’aider, bien évidemment, les producteurs qui s’engagent dans ce domaine mais après quand on est confronté à des questions de bureaucratie, de moyens, demande de sponsoring, à des questions qui concernent directement les moyens matériels et techniques, là plusieurs questions peuvent être posées.
Le président de la République parle à raison de relancer l’industrie du cinéma et sur le terrain beaucoup de chose manquent encore, la chaîne n’est pas encore complétée. La distribution, en est un élément essentiel. Il faut compléter le maillon pour arriver à une vraie industrie du cinéma.
Les autorités elles-mêmes ne peuvent pas tout faire, donc, il faudrait qu’il y ait une alliance entre le privé et le public pour attirer le meilleur des acteurs culturels qui sont sur le terrain et que l’Etat puisse toujours garder sa notoriété. Il y a encore beaucoup de choses à faire, beaucoup d’efforts à fournir pour que le cinéma algérien brille de nouveau et le contexte actuel semble être de bons augures.
La Patrie News : Et quel constat pour le 4e art et les maisons d’édition ?
Mériem Merdaci : Pour le théâtre, je dirais que le 4e art a toujours survécu à toutes les guerres et à tous les problèmes et il renaît à chaque fois de ses cendres. Il y a aussi des collectifs qui travaillent sur le terrain pour faire vivre et revivre le théâtre algérien.
Pour le livre, c’est une autre paire de manches. En tant qu’éditrice, avec mes 11 ans de métier, je dirais que le constat est vraiment amer. Nous sommes dans une phase d’après Covid 19 où le livre souffrait déjà avant, et dans une phase où le fonds d’aide au livre n’existe plus, il est révolu. Donc, pour passer d’une étape à une autre ce n’est pas évident.
Le secteur du livre est affaibli sur plusieurs plans. Economiquement, la cherté et la rareté du papier due aux problèmes d’importation reste le premier handicap dans la production du livre. Et la question qui se pose est : est-ce que l’Etat va pouvoir palier à tous les problèmes ? Une fois encore, on ne peut pas tout traiter et régler en même temps. Et là encore c’est une question de concertation et de recherche pour trouver l’origine du problème afin de lui trouver une solution.
Le marché du livre est en souffrance, les librairies et certaines maisons d’éditions sont en train de fermer pour plusieurs raisons, sans oublier la loi du livre qui a été faite sur mesure pour quelques éditeurs à l’époque dont les textes d’application tardent à venir pour cause de lenteurs administratives. Pour ne prendre que cet exemple, le livre algérien ne peut être exporté parce que la loi actuelle le considère comme une simple marchandise. Il est, de fait, soumis à la loi de l’exportation de marchandise et est considéré comme telle et non comme œuvre culturelle.
Je pense qu’il faudrait une longue et approfondie réflexion pluridisciplinaire sur le devenir du livre et de tous les acteurs dans ce domaine ainsi que sur le marché du livre en lui-même.
La Patrie News : Quels sont vos projets ?
Mériem Merdaci : Je suis sur un projet pour reprendre un peu le travail que j’ai délaissé, à savoir la maison d’édition, qui est malheureusement en stand-by mais surement qu’elle reviendra dans un avenir proche. C’est un projet qui me tient énormément à cœur, surtout que c’est un projet que nous avons bâtis avec feu mes parents et avec nos propres moyens mais sur le plan administratif, je ne peux pas encore reprendre le travail, congé spécial oblige.
Ainsi, l’une des dernières promesses que j’avais faites à mon père de continuer son œuvre. Il se trouve qu’il a laissé beaucoup de travaux, là j’ai commencé crescendo par la traduction de certains ouvrages qu’il a laissés, notamment du français vers l’arabe, tel que son ouvrage « cinquante clés pour le cinquantenaire » qui est en cours de corrections, et son ouvrage, « GPRA, un mandat historique ». C’est un peu les projets sur lesquels je suis en train de travailler pour le moment.
La Patrie News : Vous êtes la seule femme éditrice à Constantine, quel est votre commentaire ?
Mériem Merdaci : Pendant onze années j’étais parmi les rares femmes qui se battaient dans un milieu quasi-exclusivement masculin de l’édition en Algérie mais la femme a pu casser plusieurs tabous. Le challenge réel d’être éditrice femme, femme politique, et ministre femme, c’est de devoir préserver ce statut-là. Le soft power, pour lequel je me bats depuis un moment déjà, est primordial maintenant. Dans le contexte actuel, contexte économique et politique, on doit aller vers le soft power. Il y a des combats que nous pouvons mener autrement et d’autres qui peuvent être gagnés ainsi, c’est ma vision des choses. Le challenge c’était de défendre les droits de la femme pour être meneur, et cela ne pouvait être accepté par tout le monde.
La Patrie News : Parlez-nous un peu de vos ouvrages, et quels sont les romans et les écrivains qui vous ont le plus marquée ? Et pourquoi ?
Mériem Merdaci : Concernant les ouvrages que nous avions édités, le choix de la maison d’édition, « Champ libre », était d’encourager les jeunes plumes ainsi que les auteurs inconnus, de donner la chance à ceux qui ont un talent ainsi qu’aux jeunes auteurs algériens d’éditer leurs œuvres. Au-delà des murs et des ponts de Constantine, le challenge était de dire, il y a des jeunes auteurs algériens qui ont les capacités de faire des merveilles, de porter la littérature algérienne et qui ont réussi leur pari.
Concernant mes lectures, j’ai pioché dans la bibliothèque de la maison l’un des premiers ouvrages que j’avais lu, « Vers et proses » de Maïakovski, c’était un peu ma période d’intérêt pour la littérature russe. J’ai survolé par la suite d’autres œuvres poétiques, les incontournables Malek Haddad, Mahmoud Derouiche, Nizar Qabani, Baudelaire, Shakespeare. L’un des ouvrages offert par mes parents et qui m’avait aussi marqué était « Les dix petits nègres » d’Agatha Christie et c’état le premier roman policier que j’avais lu ou si je pus dire, que j’avais dévoré.
D’autres genres de lectures m’avait aussi passionné, telle que les livres sur l’histoire, notamment, l’histoire de l’Algérie pour n’en citer que quelques uns, « Les origines du 1er novembre 1954 », de Benyoucef Benkhedda ou encore « Boussouf et le MALG : la face cachée de la révolution», de Dahou Ould Kablia.
Et mon livre de chevet actuellement est « Influence et manipulation : l’art de la persuasion », de Robert Cialdini.
La Patrie News : Parlez-nous un peu de votre défunt père et de son influence sur votre personnalité ainsi que sur votre carrière…
Mériem Merdaci : Feu mon père était un patriote, nationaliste, un défenseur des libertés. Un Professeur d’université qui a formé plusieurs générations, il a été l’écrivain qui a su défendre ses idées, l’homme de culture, le sportif, il a dirigé le club de football le MOC (Mouloudia Olympique de Constantine) à une certaine époque.
Mon père a toujours porté l’Algérie dans son cœur partout où il allait. Il est intervenu un peu partout dans le monde, il est toujours parti pour défendre la culture algérienne, et surtout l’histoire de notre pays, et cela dans les pires moments, notamment dans les années 1990. Mon père a toujours cru en une Algérie debout. Il a toujours défendu ce principe sans aucune couleur politique. Pendant la période de terrorisme mon père avait la possibilité de quitter l’Algérie en famille et de s’installer ailleurs, mais il a préféré rester dans son pays et continuer son combat.
Tout cela, fait partie de la formation que feu mes parents m’ont inculquée pour me battre pour mes convictions, d’avoir des principes dans la vie, me battre pour ma patrie, d’où mon engagement perpétuel et je continuerais toujours à le faire jusqu’à mon dernier souffle.
Mes parents m’ont exhorté à m’intéresser à tout ce qui concerne la culture algérienne, l’histoire de l’Algérie, de pouvoir aider les gens, sachant que notre maison était toujours ouverte pour tout le monde, des chercheurs qui sont venus de l’hexagone ou d’ici aux simples gens qui sont venus des quatre coins du pays. Notre maison était une vraie zaouïa. Et cela a créé un vrai bouillon de culture.
Concernant l’influence de feu mon père sur ma carrière, à la maison on a toujours vécu dans la démocratie. Après avoir eu mon baccalauréat, j’ai opté pour le journalisme, je voulais faire comme mon père et le métier de journaliste m’intéressait beaucoup. J’ai, donc, exercé pendant trois années en tant que correspondante culturelle et en même temps j’étais étudiante à l’université de Constantine. En mars 2008, je monte ma maison d’édition. Bien évidemment, l’influence des parents elle se trouve là. C’est le cours naturel des choses.
Après, j’ai fait mon Master II à l’Université de Paris XIII, je me suis inscrite en doctorat, mais finalement j’ai opté pour mon pays. Je suis rentrée pour continuer à porter la maison d’édition et continuer à me battre pour notre l’Algérie.
La Patrie News : Abdelmadjid Merdaci a toujours porté Constantine dans son cœur et l’Algérie chevillée au corps avec un attachement profond qui transparaissait fortement à travers ses nombreux ouvrages et contributions sur l’histoire, la littérature, le théâtre, la musique, le cinéma et même le sport…
Mériem Merdaci : Pour lui c’était naturel, comme pour ma mère d’ailleurs, souffrir et se battre pour le pays et porter Constantine dans son cœur. Aux derniers jours de sa vie ; mon père est parti à Constantine en plein Covid 19, il a fait le tour de la ville à pied et il a rencontré des gens qu’il n’avait pas vus depuis longtemps, c’était comme un au-revoir.
Il a consacré deux ouvrages importants à la ville de Constantine, dont le dernier était « Constantine, Mille et un an » édité en trois langues, il a parlé de tout ce qui concernait la ville de Constantine, sans compter les articles, les contributions, et les colloques auxquels il a participé ou bien organisé.
Pour l’enseignement, mon père a commencé à enseigner à l’université dans les années 1970, tout au début de l’édification de l’université des frères Mentouri, et il a continué à enseigner jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite. Il a enseigné la sociologie, la communication et l’information, et je l’ai eu même comme professeur. Mon père m’a également inculqué le côté réalisation, puisqu’il a réalisé quelques documentaires, et deux films, « El Achik », mais bien avant il a réalisé dans les années 1980 « La ligne d’arrivée », notamment avec Amar Laskri. Ainsi, le cinéma fait également partie de la longue liste des choses qu’il a faites.
La Patrie News : Abdelmadjid Merdaci était un patriote qui aimait sa ville et son pays et n’avait de cesse d’organiser des rencontres et de prendre des initiatives pour faire vivre la culture, notamment avec son ami Benjamin Stora…
Mériem Merdaci : Défendre la culture algérienne était primordial pour lui, c’est quelqu’un qui a beaucoup voyagé pour faire connaître ce que son pays produisait, et voilà pourquoi les Moudjahidine et les martyrs se sont battus, et voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. L’attachement à la défense de l’Algérie dans les pires périodes que nous avons vécues, c’était très courageux, et c’était un suicide aussi de défendre l’Algérie dans les années 1990, ce n’était pas facile du tout. Quand feu mon père parlait des libertés, c’est en se référant à la proclamation du 1er novembre qu’il le faisait.
Pour la question de Benjamin Stora, je dirais que ce dernier est, d’abord, l’ami de la famille, lui et mon père c’est une amitié de plus de 40 ans, ils se sont rencontrés en 1982 lors d’un colloque en France. Benjamin Stora est parmi les rares et les premiers historiens à avoir défendu l’Algérie outremer, et qui continue de le faire. Et il y a toujours eu cette complicité entre les deux hommes, parce que les travaux des deux historiens se complétaient. Ils ont eu toujours le même discours sur l’apprenyissage de l’histoire en milieux scolaires, sur l’ouverture des archives, partant du principe qu’un historien a aussi besoin des archives pour pouvoir travailler chose qui n’est pas accomplie à 100%. Certes une partie des archives a été ouverte mais il reste encore d’autres pour pouvoir écrire l’histoire de notre pays qui ne peut être écrite que si le travail des chercheurs et historiens est facilité.
Le combat aussi c’était de tout étaler, ce n’était pas de glorifier l’histoire de la guerre d’indépendance ou de glorifier certaines personnalités, mais de dire voilà le combat de chacun et ce que chacun a apporté. Entre Benjamin et mon père, il y avait les recherches, ils ont eu des ouvrages en commun, des interviews ensemble, toutefois des questions restent toujours en suspens et que nous devons défendre aussi maintenant, tel que la question des essais nucléaires, notamment à Reggane, l’ouverture des archives, le dossier des disparus, tous les martyrs qui sont tombés au combat dont personne ne connaît les tombes, les personnes torturées. Moi-même, petite-fille d’un commissaire politique du PPA, Mohamed Sadek Benazouz, l’un des rares rescapés des torturés de la ferme Ameziane de Constantine, je m’interroge sur les conditions et la longue liste des militants, moudjahidines et martyrs qui ont subis d’affreuses tortures durant toute la période de la colonisation française.
Nous ne sommes plus dans la question de l’affrontement mais nous sommes dans le soft power, qu’est ce que je peux faire mais intelligemment, et comment le faire, au final pourquoi le faire, c’est pour l’écriture de l’histoire réelle de notre pays et que cela soit préservé et transmis aux générations futures. Nous espérons que les évolutions récentes sur les questions mémorielles, notamment, la mise en place d’une commission mixte algéro-française, dessineront une nouvelle feuille de route dans l’écriture de notre histoire et le traitement des dossiers susnommés, entre autre, dans le strict respect de la souveraineté de notre pays.
La Patrie News : Outre les qualités morales et culturelles du défunt, Abdelmadjid Merdaci formait avec son épouse, Zineb Benazouz, un couple extrêmement et extraordinairement soudé et inséparable, sa femme était toujours présente à ses côtés en toutes circonstances…
Mériem Merdaci : C’était un couple emblématique de Constantine. C’était le couple qui se tenait la main dehors et qui allait partout ensemble. Ils étaient de tous les combats ensemble, ils ont partagé tout ensemble, ce sont 48 ans de vie commune. Mon père enseignait la sociologie et maman était étudiante chez-lui, c’est comme ça qu’ils se sont rencontrés. Quand mon père travaillait sur un texte, celle qui corrigeait c’était maman. La communication était très importante pour eux. C’est l’image que tout le monde a gardé de mes parents que Dieu ait leurs âmes.
La Patrie News : Un dernier mot ?
Mériem Merdaci : Nous espérons le meilleur pour notre patrie dans un contexte géopolitique et économique très sensible, nous sommes dans un tournant où l’Algérie est en train de se repositionner sur le plan international. Nous sommes dans un tournant, au 60ème anniversaire de l’indépendance de notre pays et le combat continue toujours. Se battre toujours pour la souveraineté, pour l’unité nationale, c’est très, très important, nous avons besoin d’inculquer aussi à toutes les générations la loyauté et l’amour de la patrie.
Moi je crois en une Algérie qui va encore être plus forte. Malgré tout et en toutes circonstances, tant qu’il y a des hommes et des femmes qui croient en ce pays, des personnes qui se battent pour notre Nation, l’Algérie restera toujours debout. Et je le dis toujours, l’Algérie au cœur.