Note de lecture
« Les enquêtes interdites au cœur de Pegasus : Ou comment Mohamed VI a versé dans l’espionnage de masse » : Plongée au cœur du système mafieux marocain
Ce livre de 430 pages que nous avons pu lire, évoque des orgies pédophiles à Mrrakech auxquelles prennent part bon nombre de hauts responsables occidentaux. Il parle aussi des 5 à 6 millions d’euros proposés à l’auteur en échange de son silence.
Omar Brouksy, journaliste marocain d’investigation, correspondant LOCAL de l’AFP, a signé en janvier 2021 un livre à révélations et à sensations de pas moins de 430 pages, dont le titre : « Les enquêtes interdites au cœur de Pegasus : Ou comment Mohamed VI a versé dans l’espionnage de masse », tient parfaitement ses promesses. L’avant-propos plante d’entrée de jeu le décor d’un voyage guidé à travers les dédales sulfureux du Makhzen. La corruption et l’achat des consciences y côtoie les formes de chantages les plus sordides qui soient, comme en témoigne le sordide épisode de la trahison par Pedro Sanchez, président du gouvernement espagnol, de la cause sahraouie. « On n’abdique pas l’honneur d’être une cible », disait Cyrano. Certes, mais Omar Brouksy se serait bien passé de cet honneur-là : être une des cibles journalistiques des services secrets marocains, ivres de la puissance technologique de leur nouveau jouet Pegasus, vendu au Maroc par la firme NSO avec la bénédiction du gouvernement Netanyahou. Ce volume rassemble « le corps du délit » : deux livres-enquêtes publiés par Nouveau Monde éditions, respectivement en 2014 et 2017, qui ont fort irrité le Palais royal marocain, suscité une salve d’attaques légitimistes sur la Toile marocaine et restent à ce jour interdits à la vente au Maroc (si on vous assure du contraire, tentez donc de les commander auprès d’un libraire marocain…). Omar Brouksy est une des cibles majeures du logiciel Pegasus utilisé par les services secrets de son pays pour museler toute enquête ou voix critique, en traquant les sources des journalistes. À l’origine de cette surveillance, ses deux livres-enquêtes qui ont fortement irrité le Palais Royal. Interdits de vente au Maroc, ils restent incontournables pour comprendre comment le royaume chérifien a basculé dans l’espionnage de masse, jusqu’à cibler les dirigeants de l’État français. Ce n’est pas tout. Mohammed VI derrière les masques de pépère père des pauvres voulant rompre avec le règne despotique de son père Hassan II, dévoile la face cachée d’un monarque ambigu. Nourrie d’entretiens dans les coulisses du pouvoir, cette enquête fouillée aborde tous les aspects d’une monarchie qui peine à mettre ses actes en conformité avec ses discours, se laisse déborder par les emportements du roi, éclaboussé par les bévues de son entourage. Le Palais Royal et les grandes entreprises du pays sont livrés aux mains de quelques proches, fustigés par l’opinion publique sous l’expression de « monarchie des potes ». La République de sa Majesté explore également les liaisons dangereuses entre élites françaises et pouvoir marocain, entretenues par des hommes et des femmes de l’ombre recrutés pour « protéger » l’image de la monarchie. La romance publique entre présidents français et souverain marocain n’échappe pas aux petits à-côtés matériels, chaque partie soignant l’autre par de juteux renvois d’ascenseurs, sans égard pour l’intérêt général. Appuyée sur de nombreux témoignages de première main, cette enquête en dit long sur le régime marocain comme sur les dérives de la République française, toute acquise à «Sa Majesté». Ce texte, essentiel pour comprendre ce qui se joue dans le scandale actuel, sont complétés par une postface inédite de l’auteur, récit de son expérience personnelle de «l’affaire». Ancien correspondant de l’AFP au Maroc, journaliste et universitaire marocain, Omar Brouksy est une des rares voix indépendantes du journalisme dans son pays. Il est depuis des années espionné par les services marocains, et depuis 2018 visé par le logiciel Pegasus. Sa plainte dans cette affaire est appuyée par Reporters Sans Frontières. Il est également pris pour cible par les centaines de « barbouzes-journalistes », qui alimentent les dizaines de « sites » créés par les services marocains pour intimider les voix libres et/ou les faire chanter. Brouksy, qui évoque dans son livre les orgies pédophiles auxquelles sont conviés de nombreux hauts responsables européens (français notamment), sont certainement filmés à leur insu, avant de faire l’objet de sordides chantages, notamment concernant l’épineuse question du Sahara Occidental. L’auteur révèle également dans son ouvrage comment il lui a été proposé la modique somme de 5 à 6 millions d’euros en échange de son silence. Ainsi fonctionne le système makhzenien dont les promesses de printemps ont vite fait de se transformer en automne. L’hiver arrive aussi ç grands pas…
Kamel Zaidi