Samir Rouabhi, expert en nouvelles technologies l’affirme : « Les influenceurs sont les mercenaires d’un système médiatique qui les dépasse»
L’affaire des étudiants arnaqués par une société fantôme impose presque un débat public sur la responsabilité des influenceurs dans les publicités mensongères et les escroqueries
Propos recueillis par Soulef Biskri
La Patrie news: Comment se construit une carrière d’influenceur ?
Samir Rouabhi : Il s’agit pour une personne de rassembler une population qui la suit assidument, pour différentes raisons. C’est la nouvelle version des idoles, dont nous suivions la moindre information dans les media.
En pratique, un influenceur se construit une carrière en se faisant connaître pour quelque chose. Il doit choisir un ou plusieurs plateformes de diffusion. Habituellement Youtube, Facebook, Instagram ou TikTok, parce qu’elles sont les leaders du marché mondial. Elles offrent, à la fois, des outils d’édition des vidéos, un canal de diffusion et dispense de tous les tracas techniques, des outils de monétisation et une audience conséquente de plus d’un milliard d’individus pour chacune des plateformes.
Devenu une personnalité publique, l’influenceur se bâtit une image publique, en fonction de l’audience ciblée. Cela inclus une image visuelle, une gestuelle, un type de discours, un contenu avec un positionnement clair, etc.. Une image d’influenceur se construit presque de la même manière que celle d’un chroniqueur TV.
Il y a aussi et surtout un contenu. Et c’est là que presque tout va se jouer. Un influenceur peut se faire connaitre comme humoriste, comme expert dans un domaine, par exemple en donnant des conseils dans les jeux vidéo, présenter des recettes de cuisine,.. Ailleurs dans le monde, il est habituellement nécessaire d’avoir une très forte expertise dans le domaine. Oum Walid, avec ses 10 millions d’abonnés est l’une des plus grandes réussites, en la matière.
Si le domaine présenté n’est pas maîtrisé, il y a besoin d’une équipe de production qui prépare du contenu, de façon attractive bien-sûr. Je donne l’exemple de mon influenceur favori. Il s’appelle Benjamin Brillaud, il a une chaine Facebook qui s’appelle Nota Bene et il est expert en vulgarisation des évènements historiques. Il vous fait aimer les cours d’histoire qui vous faisaient dormir pendant votre scolarité. Eh bien, lui c’est un vidéaste. C’est un pro de la vidéo, de la mise en scène, de la présentation. Et il a toute une équipe avec lui qui prépare les sujets à présenter, rédige les contenus..
En général, la popularité des influenceurs vient de la viralité du contenu qu’ils proposent
Comment provoquer justement la vitalité d’un contenu ?
Une création se propage de trois manières : soit elle est très likée et commentée, alors la plateforme se charge de la diffuser encore plus. Soit : les abonnés sont incités à la partager, ce qui va la rendre visible pour de nouvelles personnes. Soit enfin elle est sponsorisée. La. construction d’une communauté demande beaucoup de temps et/ou de d’argent.
C’est un business qui génère beaucoup d’argent. Comment les annonceurs (et dans certains cas les escrocs) tirent profit de l’image de ces influenceurs qui offrent généralement des contenus futiles ?
Il existe plusieurs façons de financer la création de vidéos. La façon la plus saine est de faire appel aux outils, offerts par la plateforme de diffusion utilisée. Ce sont les vidéos qui s’incrustent au milieu de la vôtre et qui vous rapportent des centimes à chaque diffusion. C’est une méthode saine parce qu’elle n’influence pas énormément le contenu, qui n’est pas, en conséquence, mis sous la pression d’un sponsor.
Le problème c’est qu’avec le temps et l’augmentation du volume de vidéos disponibles et du nombre d’utilisateurs sur la plateforme, le rendement de la publicité baisse drastiquement. Il y a une décennie, faire un million de vues offrait des revenus confortables. Aujourd’hui, 30 vidéos YouTube ont fait plus de 3 milliards de vues. Que peuvent rapporter un million de vues ? Des miettes.
S’imposent alors d’autres façons de gagner de l’argent : les sponsors , la publicité directe sur le plateau,…
L’influenceur devient une personnalité publique avec une audience fidèle. Pour faire mousser cette célébrité, qui lui rapporte de l’argent, le mieux encore c’est de dire et faire des banalités, des futilités. Une grande partie de l’internet est peuplée par la génération Z, les digital-natifs. Ils sont habitués déjà à perdre des heures à se partager des choses de ce genre. Ça ne choque absolument personne.
Avec un peu de cynisme, on dirait que c’est la façon la plus rapide de gagner en audience. La moindre apparition d’un tel personnage est suivie par des nuées d’ados et de jeunes adultes. Cela lui permet ainsi de gagner de l’argent en tournant de la pub pour tout et n’importe quoi ou de tenir des rôles secondaires dans des films ou d’apparaitre dans des émissions TV.
Ils deviennent les mercenaires d’un système médiatique dans ils ne comprennent pas vraiment les tenants et les aboutissants.
On peut par exemple offrir à un influenceur un million de dinars pour tourner une pub de 3 minutes, dire deux phrases ou porter des basquette et d’en faire la promotion.
A mon humble avis, ce genre de choses n’arrive qu’avec de jeunes influenceurs, sans formation, sans encadrement et sans connaissances particulières. Ils deviennent alors les jouets entre les mains des tenants du business.
Deux influenceuses (une française et une serbe) se sont suicidées, en décembre dernier car harcelées par les followers après avoir été adulées. Comment vous expliquez le comportement versatile des followers ?
Ah oui ! Le suicide de Maëva Frossard alias MavaChou. C’est une histoire tragique d’un couple d’influenceurs qui au début se sont entendu, ont étalé leur vie intime absolument jusqu’au moindre petit détail. Puis ont complètement exposé médiatiquement leurs enfants, complétement sacrifiés sur l’autel de l’audimat. Ils racontent tout. Même quand leur fils faisait une bêtise ou qu’ils l’emmenaient chez la psy. A la recherche de l’audimat, ils allaient dans des détails de plus en plus sordides.
Ils ont exposé leur séparation, chacun sur sa propre chaine YouTube, en révélant des détails sur l’autre pour lui faire du mal et gagner en nombre de vues. Il se trouve que les followers de Maëva alias MavaChou ont commencé à se lasser de cette histoire et à la chambrer sur ses agissements. Voire parfois la harceler. Elle a donc perdu la face et n’a pas su demander de l’aide. En état de dépression, elle a fini par se suicider.
C’est une illustration triste, mais parfaite de ce qui nous attend dans cette tendance à mettre notre vie à nu sur internet. Je pense que la loi a un rôle ici mais elle est le plus souvent impuissante. Il faudra par exemple de nouveaux cours sur le sujet dans les écoles ou des émissions télé sur les comportements en ligne.
S.B