Un étudiant d’Odessa témoigne de la guerre en Ukraine à La Patrie News : « Nos corps aussi vibraient sous les bombardements »
La nuit tombe lentement sur Odessa ce jeudi 24 Février. Mais comme dans toutes les villes ukrainiennes, la tombée du soleil ne changera rien, car il n’y aura pas de nuit en fait. Dans la zone en ébullition, des centaines de personnes tentent de réagir tant bien que mal à la guerre qui s’est déclarée ce matin.
Poutine a frappé, ainsi mise en exécution, sa menace fait basculer des milliers de vies.
L’exode est inévitable. Comme tant d’autres, Mohamed, étudiant en cinquième année de médecine prend immédiatement la décision de partir.
Le contacter, lui parler, tenter d’en savoir plus sur ses intentions est un pari perdu d’avance.
Le jeune homme originaire de Kabylie a des préoccupations beaucoup plus grandes. A peine le temps de rassurer sa famille par des amis qui ont déjà fui les lieux à la mi-journée, de se préparer à un très long voyage au bout duquel il peut enfin nous parler, raconter.
La discussion a lieu après son passage en Roumanie, plus de trois jours après… Trois longues journées durant lesquelles se déroule un voyage épuisant, historique, stressant « au point où je sentais mes intestins s’entremêler, mon activité digestive était complètement modifiée, j’avais un poids insoutenable dans le ventre, s’était comme si tout mon stress, tout le choc, le poids le la guerre s’y était concentré ».
Parti vendredi, il arrive dimanche, vers 18 h, heure d’Alger, Mohamed vient d’accomplir les formalités côte roumain, il peut enfin souffler : « il y a beaucoup de taxis qui attendent autour des frontières, il y a même des particulier venus proposer leur aide par solidarité avec les réfugiés qui arrivent » dit-il alors.
L’étudiant algérien est accompagné de trois camarades qui comme lui ont pris la décision de quitter Odessa après les premières heures qui ont suivi l’invasion russe. Il raconte ses premières heures : « c’était terrible incroyable, terrifiant, on entendait des bruits d’explosion qui faisait tout vibrer, même nos corps, même si on se trouvait en lieu sûr, nous avions tous le même réflexe, baisser la tête ou se cacher sous une table.
Il n’y avait pas de cris, les ukrainiens n’extériorisaient pas leur peur comme nous ou comme les européens, beaucoup sont même sortis dans les rues voir les colonnes de fumées qui se dégageaient au loin ».
Les bombardements « n’ont pas duré trop longtemps, mais pour nous c’était une éternité, nous savions alors qu’il y aurait des morts ». Les nouvelles annoncent le décès de 18 personnes dans un village à la périphérie de la ville.
Mohamed et ses compagnons prennent la décision sans tergiverser : partir. Les frontières les plus proches sont celles qui mènent vers la Roumanie, 600 km à parcourir en tout pour atteindre le premier point de contrôle.
« Avant de partir, mes amis et moi avons tenté de réunir le minimum d’affaires, les plus utiles aussi car il ne s’agissait pas de s’encombrer non plus. On a acheté des bouteilles d’eau, des biscuits et ce qu’on a pu trouver surtout car il y avait une grande panique sur place et beaucoup de commerçants n’ont pas ouvert ce jour-là ». Mohamed décrit la situation qui prévalait alors : « ce sont des gens très nationalistes sur place, tout le monde adhérait immédiatement à la décision d’armer des civils, je ne les ai pas vu quand ils ont fait ça, mais on nous a dit que même des femmes voulaient s’armer pour défendre leur territoire dans les villages ».
L’exode commence en milieu d’après-midi. Les esprits sont encore secoués par les évènements, la crainte de voir les bombardements se rapprocher est très vive.
« Les transports étaient vraiment mobilisés ce jour là, ce n’était pas seulement commercial, il y avait une sorte de solidarité spontanée qui installée parmi la population».
L’étudiant et ses camarades prennent le départ en bus. « Nous pensions que cela serait mieux, mais en fait nous avons très vite regretté car cela prenait beaucoup plus de temps qu’avec un taxi, les routes étaient aussi très encombrées, tout le monde dit que c’était plus fluide que vers la Pologne mais c’était relatif durant les premiers moments qui ont suivi l’invasion russe ».
Le voyage de Mohamed dure huit heures. Le bus les dépose cependant à près de 200 km de la frontière. Le temps de s’approvisionner en eau et de la nourriture que certains commerçants refusent cependant de leur céder.
« Il y avait une très grosse tension sur les lieux, comme partout certains commerçants ont augmenté les prix, certains rationnaient et refusaient de vendre de grosse quantités pour laisser des vivres à ceux qui viendraient ensuite, mais le pire dans tout cela c’est qu’ils affichaient une nette hostilité aux étrangers qui quittent leur pays, c’est comme s’ils se voyaient abandonnés, trahis on a très vite quitté cette région car il fallait continuer vers les frontières ».
La suite du voyage se déroule en taxi, « mais il nous a déposés à près de vingt km, on a dû finir à pied ». Lorsque les étudiants arrivent aux frontières, il fait déjà presque nuit.
Sur place il y a du monde. Des transports attendent. Nouveau taxi… direction l’ambassade d’Algérie à Bucarest où Mohamed et ses camarades sont logés depuis en attendant leur rapatriement vers Alger.
Amel Zineddine