20 août 1955 dans les monts Les jours d’après
Terroriser les mechtas et isoler les poches de l’ALN dans les maquis
Les semaines et les mois qui ont suivi le 20 août 1955 furent terrifiants par l’intensité de la répression et la désolation dans les campagnes et les mechtas. Toutes les mechtas de Ain Zouit, Zeramna, Rakada, Oued Bibi, Oued Tangi, Béni Guendouz, El Aifat, Zarzour sont en fumée. Hommes, femmes, enfants et bêtes erraient sur les chemins escarpés des monts de Skikda et de Collo. Les habitants de certaines mechtas ont pris le chemin de Ain Zouit quand d’autres s’étaient réfugiés dans les forêts à l’abri de l’armée française sans pour autant rejoindre les rangs de l’ALN. L’armée coloniale procédait au pilonnage systématique aux canons et aux mortiers poussant les civils à la fuite et au refuge en forêts pour échapper à la mort. Cette échappatoire est de courte durée, puisque à leur tour les massifs forestiers sont brulés au napalm. Les bidons arrivaient du ciel laissant peu de temps aux vivants à se mettre en marche sur les pistes et sentiers forestiers. Cette procession sans fin de fellahs signe le début de la politique de regroupement et des zones interdites initiée dès la fin 1955. L’armée coloniale fidèle à sa devise « tire, tue indistinctement, pilonne, brûle, installe une politique de terreur et l’annoncer ensuite. ». Et, ce n’est pas la première fois dans son histoire qu’elle expérimente une nouvelle forme de terreur. Les mechtas de Zeramna, Béni Guendouz, Rakada, Oued Bibi, Oued Tangi, Zarzour et Rihana ont été regroupées dans les camps de la SAS de Ain Zouit. Vu l’importance des populations déplacées, deux camps ont été installés. Celui de Rakada, Zeramna qui a reçu toutes les populations montagnardes et celui de Oued Bibi qui a reçu les populations du Sahel et du littoral.Cette politique répressive sans discernement avait pour objectif de tuer dans l’œuf l’insurrection populaire. La terreur a commencé à faire douter la population dans les capacités de résistance de l’ALN embryonnaire. Consciente du danger encouru, la direction du FLN /ALN donne instruction au moudjahid Smaïn Belgat d’attaquer le camp militaire de Zarzour. Le résultat est spectaculaire même s’il n’a pas fait de victimes dans les rangs de l’armée française. Il fallait, et c’était son objectif, maintenir vivace le sentiment de l’insurrection dans la population et, en second lieu, obliger l’armée française à sortir de ses campements.
Fausse accalmie et généralisation des camps de regroupement et création des groupes armées de défense (GAD)
En 1956, il ne s’est presque rien passé. La rébellion vivait de mauvais moments avec le regroupement des paysans dans les camps de regroupement des SAS, la création des groupes armés de défense (GAD) et l’enrôlement forcé de supplétifs, les goumiers. Ce cordon établi autour des zones de la guérilla renforcé par les zones interdites continuellement pilonnées par l’artillerie et les ratissages a fait beaucoup de victimes dans les rangs de l’ALN. Les dépouilles des djounoud abattus sont continuellement exposées à l’entrée du village, un procédé pour terroriser la population et afficher la supériorité de l’armée française sur la guérilla.
1957, année de tous les dangers et de la terreur
Malgré toutes les pressions, l’ALN et son bras politico-militaire résistaient. Des réseaux de soutien sont montés grâce surtout à l’intrépide, Si Ali Ben Khaled, premier dirigeant issu de la région. Ces réseaux de résistance et de solidarité ont concerné quasiment toutes les franges de la population, y compris les supplétifs goumiers, natifs de la région. La toile patiemment tissée renseignait les foyers de guérilla sur les déplacements de l’armée coloniale et approvisionnait les maquis en produits de consommation et munitions.
Démantèlement du premier réseau de la résistance
A la fin de l’année 1957, un incident mineur dans les rangs des goumiers relevant d’une inconscience et d’un manque de vigilance a coûté la vie à plus de 70 civils, entre moussebiline et contributeurs. Dans une banale partie de carte espagnole, le plus jeune de la section des goumiers perd la partie, humilié par ses copains, il menaça toute la compagnie de la dénoncer au lieutenant. Pour le malheur de la section, le lieutenant du camp militaire un sanguinaire pied-noir de Philippeville parlant parfaitement l’arabe était accoudé au comptoir, à l’écoute de la dispute. Il ne lui fit pas beaucoup pour se saisir du jeune goumier. Sous la torture, le supplétif se mit à table. Trente goumiers, cotisants au compte de l’ALN et pour certains parmi les plus engagés dans l’approvisionnement en grenades et munitions des maquis, furent assassinés sans procès. Les cris des suppliciés sous la torture dans un puits de l’ancienne maison forestière transformée en caserne, s’entendaient à des centaines de mètres à la ronde. A l’aube, au petit jour ou à la tombée de la nuit, l’armée française les enterrait dans des fosses communes dans deux endroits, El Aifat, à côté du campement militaire de Zarzour à une dizaine de kilomètres de Ain Zouit, ou à Aâzib Maârat.
Dans le sillage des « supplétifs goumiers », plus de 20 civils du réseau de soutien ont été arrêtés, soumis à la torture et exécutés.
Période allant de la fin 1957 à la fin 1959
Cette période de fausse accalmie était non moins la période la plus sanglante. Les sentiers et chemins forestiers par où passaient les fellagas étaient parsemés de mines anti-personnel posées par l’armée coloniale. Quand ce n’est pas une vache ou une chèvre qui sautait sur une mine, c’est un djoundi. La section des goumiers entièrement décapitée à la suite de la découverte du réseau des cotisants et de soutien des maquis fut remplacée par des harkis que l’armée française fit venir d’ailleurs. Je crois que la découverte du réseau de soutien à l’ALN a fait perdre toute la confiance de la SAS dans les habitants des camps de regroupement de Ain Zouit. Cette section de sanguinaires installa dans les camps de regroupements la peur et la désolation parmi la population. La chasse des maquisards reprit de plus belle. Les civils sont autorisés à faire le marché dans la ville de Philippeville (Skikda) une fois par semaine. Le camion de transport des civils ouvrait la voie au convoi militaire donc au cas où une mine est placée sur la route les premières victimes en seraient les civils. Tout le tracé de la route entre Ain Zouit et Philippeville à la veille du départ est sécurisé par les harkas et des sentinelles sont placées tout le long de la route. En somme, l’armée française a tissé autour des maquis une toile presque hermétique – tout se sait de l’intérieur comme de l’extérieur. Les maquis manquaient de tout, ils étaient au bord de l’asphyxie.
Eté 1959 : l’opération « Pierres Précieuses »
Un malheur comme on dit ne vient jamais seul, les maquis asphyxiés furent soumis à l’été 1959 à une opération Challe d’envergure. Des milliers de tirailleurs sénégalais, de parachutistes et de légionnaires de la légion étrangère aidés par les harkis soumirent toute la région à une pression sans précédent. Cette opération « Pierres Précieuses » occasionna dans les rangs de l’ALN de grosses pertes. Il arrivait au survivants djounoud, terrés dans des grottes inaccessibles, de se nourrir pendant des semaines de racines et d’herbes.
Année 1960
Cette terreur de l’année 1959-1960 a été suivie immédiatement par l’élimination dans une embuscade sur les hauteurs de Stora au lieu-dit Oued M’dina du responsable politico-militaire de la zone, Ali Ben Khaled. Son corps, compte tenu de son importance, fut trainé de jour derrière une jeep et exposé sur la place du village de Stora. Cet intrépide résistant, mobilisé dans les rangs de l’ALN aux premiers instants de la résistance, échappa dans un premier temps à un guet-apens. Il s’en est fallu de peu ou presque à ce que le lieutenant de la SAS le prenne vivant et c’était le but poursuivi par ce redoutable chasseur de fellagas.
Le capitaine de la SAS, un redoutable espion chasseur, voulait le prendre vivant, une lutte au corps à corps s’en suivi et le chahid Guermèche Ali Ben Khaled s’en échappa en fracassant le tibia du capitaine. Un berger d’un âge avancé, qui était en compagnie de Ali Benkhaled, fut arrêté ; soumis à la question, le capitaine de la section le retourna. Depuis, il est devenu l’informateur de la section de la SAS.
Le remplacement de Ali Ben Khaled ne tarda pas. Son cousin Tahar Bouhouita Guermèche prit la relève et fut à son tour éliminé dans une méprise par un jeune djoundi en faction de sentinelle. Au retour d’une mission, il oublia le mot de passe, un jeune djoundi pris de panique lui tira dessus. La direction du réseau politico-militaire suite à ce tragique incident fut confiée à un lettré du nom de si H’sane.
Forte de sa puissance et presque assurée de sa victoire militaire l’armée française desserra d’un cran la pression sur les civils et c’est justement cette période de mai- juin 1960 que l’ALN choisit pour frapper un grand coup.
L’embuscade au lieu dit Rmila
Une section spéciale de l’ALN au fait des brimades infligées aux civils par la section des harkis décida de les éliminer. L’opération fut menée de main de maître et aucun détail n’a été négligé. La section se positionna une semaine avant et étudia tout le dispositif de sécurité du convoi militaire au retour de Philippeville. Aidée par Smain Belgat qui s’occupa de toute la logistique, la section militaire de l’ALN choisit de ne s’attaquer qu’aux harkis, maillon faible du dispositif de sécurité militaire de l’armée française. Elle laissa passer tout le convoi de transport des militaires et des civils éliminer toute la section des harkas en faction de sécurisation et de protection du convoi militaire.
Au dernier poste de la relève des sentinelles au lieu dit R’mila, cette section de l’ALN lança l’offensive. Toute la section des harkas fut éliminée. Cette bataille a permis à l’ALN de récupérer un important armement. Une furie s’est installée dans les camps de regroupements et le soir même un ratissage d’une grande ampleur a été engagé.
Deux jours après, Smain Belgat fut arrêté sur dénonciation et ne sera libéré que six mois plus tard. Il a échappé de peu à la mort. Le commandant qui l’a libéré lui a fait une révélation : « Ta chance c’est qu’il n’y a pas eu de victimes françaises parmi les morts. »
IN MEMORIA